La nuit venait de tomber sur le royaume de Prideland. Parcourant la savane d’un air égaré, Ahva semblait épuisé mais vivifiée de toute chose. La féline venait de consacrer son entière journée au perfectionnement de son art combattif. Tan Diel avait été à ses côtés la matinée mais avait fini par s’en aller, laissant la princesse seule face à l’écorce des tronc. Son arbre favori était tombé aujourd’hui. Sentimentale, Ahva avait un pincement au cœur en songeant qu’elle ne pourrait plus jamais s’entraîner avec ce si fidèle partenaire. Il lui faudrait trouver un nouvel équipier aussi robuste et ce n’était pas gagné.

Sa marche nocturne s’éloigna du bon chemin pour escorter la princesse jusqu’à la colline aux herbes dorées qu’elle et sa famille affectionnait tant. Sa mère leur avait un jour confié que cet endroit ressemblait beaucoup aux landes de sa terre natale et depuis, Ahva aimait venir se recueillir ici et imaginer la terre de ses ancêtres. C’était plutôt relaxant après une journée entière à combattre. Assise aux sommets d’une colline, la princesse se repentait et songeait combien elle aurait aimé connaître cette partie de sa famille.

Sensible à toute modification de l’environnement depuis son entraînement, la féline perçu bien vite une nouvelle odeur s’approchant. D’abord alertée, elle se concentra sur cet effluve qui n’était pas sans lui rappeler de vieux souvenirs. Etait-ce lui ? Excitée, la princesse patienta néanmoins jusqu’à l’arrivée formelle du voyageur. Sa voix suave résonna dans l’air et la princesse frémit. Sourire aux babines, elle se retourna et croisa le regard de Kosa. Il était enfin revenu. S’inclinant respectueusement après que le mâle ait effectué sa révérence, la lionne soupira :

« Tu es revenu. »

Maintenant face au lion, la princesse prit le temps d’analyser sa nouvelle carrure plus imposante, solide et musclée. Sans doute s’était-il également entraîné pendant son voyage… Il faisait plus adulte. Son pelage assombrit par la nuit mais reflétant les milles couleurs de la lune lui rappelait celui de sa mère. Sanaamu. Ahva fut frappée d’un violent retour à la réalite. Son excitation et sa joie de revoir son ami avait un temps oublié la douleur des siens lorsque la lionne avait rejoint les Grands Esprits à peine quelques jours de cela. Ahva sentait sa gorge se nouer. Etait-il au courant … ? Serait-ce à elle d’annoncer à son ami que sa mère était morte ?

Son sourire se mua bien vite en une mine de tristesse tandis que son regard se voilait d’une ombre que Kosa ne lui avait jamais connu. Kosa n’était parti que neuf mois mais cela laissait le temps aux hasards ou peut-être simplement à la destinée. La princesse avait rencontré Sanaamu quelques semaines après le départ du lion. Réalisant que celle-ci était la mère de son ami, Ahva offrit son aide à la lionne qui, si elle refusa de rejoindre un clan, accepta néanmoins l’aide nourricière de la princesse qui lui apportait du gibier de temps à autre. Les deux lionnes en vinrent même à sympathiser c’est ainsi qu’Ahva eut connaissance de ce lion que Sanaamu portait dans son cœur. Un guerrier Prideland disait-elle. Tous deux avaient fini par avoir un enfant, Chafkà, un adorable petit être que la princesse aimait beaucoup. Coulant un regard vers son ami, Ahva souffrait d’une grande peine qu’était celle de la vérité.

« Kosa, assis-toi. Il y a des choses que tu dois savoir. »

Elle ne souhaitait pas inquiéter son ami mais comment amorcer la bombe autrement ? Il n’y avait pas de bonne manière d’annoncer la mort d’une mère et tôt ou tard, Kosa finirait par s’emplir d’un terrible chagrin. Délicate, la lionne posa sa patte sur celle du lion et la pressa légèrement.

Elle inspira plusieurs secondes puis soutenant son regard azuré, elle lui confia :

« Sanaamu est morte. »

Ahva n’avait jamais annoncé le décès de quiconque à ses proches et encore moins à un fils, elle ignorait comment réagirait Kosa mais elle était là et se tenait prête à faire quoi que ce soit qui pourrait soulager la peine du lion. L’annonce demeurant crue, Ahva pressa davantage la patte de Kosa dans la sienne.

« Je suis navrée de t’apprendre ça Kosa, ce n’est pas comme cela que j’imaginais nos retrouvailles. » Elle lui coula un regard désolé puis ajouta dans un murmure : « Elle est parti sans souffrir. »

La nouvelle lui fut comme un choc. Quoi de plus étonnant… Si elle souhaitait soulager la peine de son ami, Ahva ne pu s’empêcher de détourner les yeux face au néant qui habitait Kosa. C’était trop pénible. Longtemps silencieux tant les mots restaient coincés au fond de sa gorge, le mâle prit soudainement une expression qu’elle ne lui connaissait pas alors que la princesse lui confiait que sa mère n’avait pas souffert. Cessant brutalement tout contact, Kosa se redressa d’un air agacé et laissa éclater sa douleur.

Ahva fut piquée de plein fouet par les mots du lion. Son chagrin était devenu colère et le regard presque menaçant, il lui rétorquait que sa mère était morte en souffrant de ne pas l’avoir revu à temps. Mais que pouvait-elle face à cela, c’était lui qui avait fait le choix de partir ! La princesse avait un temps bien plus côtoyé la femelle que lui et si Kosa connaissait Saanamu comme sa mère, Ahva la connaissait comme une lionne et sa mort n’avait pas été sans la peiner. Tâchant d’amoindrir sa susceptibilité qui avait don de s’accroître de par son impulsivité, la princesse soupira doucement. Kosa était en proie au plus terrible des chagrins, elle devait l’aider à encaisser le choc plutôt que de l’accabler. Cessant de son côté sa ronde macabre, le voyageur finit par lui demander s’il avait d’autres choses à savoir. Ahva sentit sa gorge se nouer. Etait-ce vraiment le bon moment de lui avouer que sa mère avait refait sa vie ? Kosa en serait atrocement peinée tant l’amour qu’il portait à sa mère et à leur lien était flagrant mais il n’y avait guère de bon moment pour cela et Kosa était en droit de savoir.

Elle redressa alors son regard vers le sien et découvrit ces larmes qui ruisselaient de ses joues. Son regard était tellement triste. Ahva ravala sa propre tristesse et soupira une dernière fois avant de se lancer.

« Tu as un demi-frère. » annonça-t-elle de but en blanc. « Il s’appelle Chafka, c’est … c’est vraiment un chouette lionceau. »

Son regard s’emplissait de larme tant elle craignait la réaction du mâle car jamais Ahva n’avait souhaité faire souffrir son ami et pourtant elle lui livrait aujourd’hui la plus grande des peines.

Si la princesse s’attendait à un énième cataclysme, il n’en fut rien. A vrai dire, Kosa semblait dépité mais sa colère se muait en silence et longtemps, il ne dit mots, dissimulant son visage derrière ses pattes rousses. Ahva déglutit, ne sachant trop quelle attitude adoptée. Finalement, il découvrit son visage attristé et s’approcha de la princesse, posant avec délicatesse l’une de ses pattes contre sa joue pour chasser ses larmes. Ahva en fut surprise mais pour autant ne bougea pas d’un centimètre, plongeant son regard dans celui du mâle, prête à accourir dès qu’il lui demanderait son soutien.

Collant son visage contre le sien, Kosa s’excusa de ne pas avoir pris ses émotions en compte. Ahva hoqueta et baissa la tête.

« J’aimais beaucoup Sanaamu mais elle n’était pas ma mère, toi si. Ce n’est pas à toi de sécher mes larmes mais l’inverse. » répondit-elle simplement dans un soupir tandis qu’elle accentuait leur contact.

Kosa prit place à ses côtés tandis que la princesse ne le quittait pas du regard, suspendu à ses babines et aux mots qu’il lui délivrerait. Finalement, il lui parla de leur rencontre et de leur première discussion. D’abord étonnée qu’il ravive de si vieux souvenirs, Ahva demeura respectueuse et l’écouta jusqu’au bout. Ce qu’elle apprit l’étonna : Sanaamu et Kosa avaient été exilés et ce en raison d’un crime où ils n’étaient pas coupables et dont le responsable semblait être son demi-frère. Cela peinait d’autant plus la lionne que celle-ci venait de lui apprendre l’existence de Chafka. Quelle délicate situation.

« Je suis désolée de l’apprendre… c’est injuste. »

Mais l’injustice semblait gagner en masse dans ce monde. Un silence s’installa entre les deux lions tandis que l’air nocturne faisait onduler les herbes dorées. Finalement, Kosa soupira, trop longuement peut-être, et accrocha le regard de la princesse. Il semblait… décidé, comme s’il allait lui livrer le secret de son regard azuré. Ahva guettait son visage, cherchant à y comprendre ce que tramait son esprit mais elle n’eut guère à attendre longtemps car enfin Kosa se confia. Il n’était pas un simple voyageur mais le prince héritier de la Terre Verdoyante, royaume où sa mère avait été reine avant que tous deux ne soient exilés. Si elle s’attendait à cela… la surprise était palpable sur son visage mais bientôt s’y mêla la peine car Ahva semblait comprendre le poids qui avait affliger son ami toutes ces années. Kuzali, sa mère, avait également été exilé de son royaume natale où son père était pourtant roi et bien qu’elle n'ait abordé que très rarement les raisons de son exil, Ahva savait combien cela avait peiné sa mère et détruit son enfance.

La princesse prit une grande bouffée d’air pour lui permettre de mieux assimiler ces informations et elle soupira avant de se tourner vers le voyageur -ou plutôt le prince- et l’on put enfin apercevoir un sourire sur son visage.

« Je me disais aussi qu’il était bien de rare de rencontrer un lion avec d’aussi bonnes manières … » lui glissa-t-elle d’un air presque taquin.

Ahva demeurait une lionne optimiste qui préférait voir la vie du bon côté et si cette nuit s’annonçait morbide par les révélations qui avaient été faite, elle saisissait cette infime chance d’apaiser leurs cœurs par ce qu’elle savait faire de mieux : sourire et illuminer les autres. Se redressant, la lionne ambrée vint se placer face à son ami et effectua une révérence des plus délicieuses.

« Je suis ravie de vous rencontrer, prince Kosa. »

Elle se redressa de sa courbette et offrit un sourire amplement doux et chaleureux à son ami. Cela devait être un secret précieusement gardé toutes ces années et elle était heureuse que Kosa ait choisi de lui en faire part. La princesse était évidemment curieuse de savoir ce qu’il s’était passé mais son ami venait déjà d’éprouver tant de chose qu’elle ne saurait se montrer cruel au point de raviver tous ces souvenirs. Kosa lui en avait suffisamment dévoilé : une dispute qui avait dégénéré. Étonnamment, Kuzali avait été exilé pour les mêmes raisons. La royauté au-delà des frontières de la Terre des Lions semblait bien différente d’ici.

S’asseyant face à lui, Ahva ne quittait pas son air doucereux et lui souriait presque tendre. Si elle se montrait aussi délicate avec le lion, c’était bien parce qu’elle ne pouvait imaginer sa peine mais essayait du mieux qu’elle pouvait de l’apaiser et si elle le pouvait, de lui apporter un peu de réconfort. Accompagnant le souffle du vent, elle lui demanda :

« Que comptes-tu faire maintenant ? »

Retourner voyager ou bien demeurer ici et rencontrer cette famille que sa mère lui avait laissé ? Ce choix n’appartenait qu’à lui.

L'air un peu ailleurs, Kosa lui confia qu'il pensait demeurer sur Prideland quelques temps. Ahva coulait un regard vers son ami tandis que ce dernier abordait le sujet de son demi-frère. La nouvelle ne l'avait guère réjoui mais pourtant, il n'avait pas condamné l'enfant et semblait enclin à lui donner sa chance. Ahva sourit chaleureusement au voyageur tandis que celui-ci lui demandait son aide. Elle serait plus qu'heureuse d'être la passerelle entre les deux frères.

« J'organiserai votre rencontre, ne t'inquiète pas pour cela. » lui dit la princesse d'un ton doux avant d'ajouter : « Ta mère lui a souvent parlé de toi, il a hâte de te rencontrer et je pense aussi que tu es l'une des seules personne à pouvoir apaiser son chagrin. »

Si Ahva était proche du jeune Chafkà et aimait penser à lui comme son petit protégé, elle n'avait pourtant pas le pouvoir de sécher toutes ses larmes et elle était persuadé que Kosa saurait faire plus qu'elle. Cela ferait sûrement tout drôle aux deux frères de se rencontrer mais la jeune lionne était persuadée qu'ils sauraient s'aimer.

« Ne sois pas anxieux à l'idée de le rencontrer. C'est vraiment un chouette lionceau. »

Ahva ne pouvait qu'imaginer les appréhensions de son ami, ce n'était pas une situation évidente mais elle serait à ses côtés pour faire en sorte que tout se déroule à merveille et dès lors que les deux frères prendraient leurs marques, elle s'éclipserait progressivement pour les laisser se découvrir.

Puis, le regard du voyageur s’emplit de douceur et il s'approcha d'elle pour prendre sa patte entre les siennes. Ahva sursauta presque. De sa voix grave, Kosa lui confia qu'il n'avait pas oublié ses paroles d'antan, il était revenu et espérait que la princesse le suivrait dans ses aventures. Ahva cligna des paupières, interdite. Vraiment ? Son visage vacilla d'abord vers une expression de pur bonheur avant de se voiler d'incertitude. La princesse n'avait pas oublié ses rêves d'enfants et il était presque miraculeux que ceux-ci demeurent intact mais les choses n'étaient pas si facile, Ahva n'avait toujours pas trouvé le courage de quitter les siens.

« Partir ? » répondit-elle en écho aux paroles du lion, le regard distant. « Je ... je ne sais pas. J'en ai envie ne te détrompe pas mais je ne sais pas si j'en ai le courage. Mon frère aîné vient tout juste de nous revenir et ma mère, je la sens vieillir... Je ne peux pas partir maintenant. »

Ahva regrettait de ne pouvoir lui dire oui mais son attachement à sa famille était trop fort. Elle donnerait tout pour eux et pour cette raison, elle ne souhaitait les quitter. C'était trop dur. Elle redressa son regard ambré vers son ami et lui offrit un sourire désolé.

« Un jour, peut-être, mais pas maintenant. Désolée. »

Elle était gênée de lui soumettre ce refus mais elle savait que le lion ne s'en offusquerait pas, il était son ami après tout.

D'une voix douce et nulle de reproche, Kosa lui confia qu'il comprenait sa situation et qu'il l'attendrait. Cela fit sourire la princesse. Il ponctua ses mots d'un geste affectueux, ébouriffant le sommet de son crâne ce qui arracha un léger rire à la princesse. Elle appréciait beaucoup leur proximité, Kosa était un ami sur lequel elle pouvait compter et respectivement.

Après un regard entendu, le lion tourna les talons et commença à s'éloigner. Dos à la princesse mais d'un ton suffisamment audible, il souhaita une agréable soirée tout en la remerciant de son soutien. Ahva lui sourit tendrement mais celui-ci ne pouvait la voir. A peine ses mots prononcés, Kosa partit à grande enjambées pour finalement disparaître parmi l'herbe dorée de la Coline. Ahva observa quelque temps son ombre avant de soupirer. Elle n'était pas ravie d'avoir eu à lui apprendre cette terrible nouvelle mais Kosa s'en remettrait, elle en était persuadée. Après tout il avait déjà vécu des drames avant celui-ci, cela renforcer nécessairement un être.

Après cette entrevue, la princesse retourna vers les siens. Approchant du rocher, elle aperçu l'ombre du lycaon se faufilant vers les hautes plateformes du rocher où se dresser l'ombre de son père. Tiens donc. Intriguée, la princesse s'approcha d'eux très discrètement. Elle ignorait encore ce que tout cela allait impliquer.