Comme à son habitude, le désert ne faisait de cadeau à personne et ce n’est pas Ukali qui après un an d’exil et de solitude pleine, qui dirait le contraire. La nuit avait été rude, le froid avait envahi le moindre grain de sable et malgré l’habitude d’une année, chaque nuit en solitaire était une épreuve. Il fallait lutter pour sa survie, trouver le moyen de ne pas tomber en hypothermie, ne pas craindre le froid glacial de la nuit et survivre à la chaleur ardente la journée, c’était tout une épreuve. Ukali l’avait appris à ses dépens il y a de cela un an. Un an était passé depuis qu’il n’était pas revu les siens. Une longue année. Une année d’exil voulu par la tradition du Grand Désert. Celui qui avait à l’initiative de ce grand projet avait certainement voulu écarter les êtres les plus faibles du Clan, pour ne garder que les meilleurs. Le lion à la musculature sèche par son année en solitaire, à ne pas manger plus que nécessaire et à errer parmi les ombres et les mirages du désert, avançait péniblement dans la nuit. Le plus pénible dans l’histoire n’était certainement pas le froid qui régnait, il y était accoutumé, mais bien les pensées qui le hantaient. Depuis qu’il avait revu Jaliwa, son amie d’enfance, et que cela n’avait pas été comme il l’avait espéré, comme il se l’attendait, il songeait à tout ce temps passé seul, ces épreuves qu’il avait bravées d’un revers de patte et à tout ce qui avait pu le changer. À quoi s’attendait-il en même temps ? À ce que tout soit exactement comme avant ? À ce qu’ils se retrouvent tous les deux, inchangés, comme lorsqu’ils étaient petits ? N’avait-il pas songé qu’un an séparait sa retrouvaille de son départ ? Il savait qu’il avait changé. Ce qu’il ignorait, c’est que de son côté, Jaliwa aussi.

Il marcha une grande partie de la nuit, le petit matin sonnait, la chaleur revenait à une vitesse folle. Les pensées sordides, elles, ne quittaient pas le corps du lion. Pendant leur entrevue, la belle Jaliwa lui avait annoncé la mort de sa mère. Il en va sans dire que le jeune adulte souffrait de ne pas avoir pu accompagner sa mère dans ce dernier voyage. Il souffrait de ne pas avoir pu rester à ses côtés, de ne pas l’avoir aidé à partir le cœur plus en paix. Quelle torture que de partir seule, sans son compagnon parti avant et sans son unique fils, ne sachant pas si ce dernier était toujours en vie ou non. Ukali ne pouvait s’en vouloir d’avoir respecté la tradition, d’avoir tenu son exil pendant une année entière, mais l’idée que sa mère était partie seule lui restait insupportable. Elle laissait une sorte de grand vide dans son cœur, vide qu’il devrait combler autrement. Pansé, sa blessure, il devait le faire, comme il l’avait fait du temps de la disparition de son paternel. Cela avait été bien plus simple à l’époque. Il lui restait encore sa mère pour l’aider, l’épauler, Jaliwa était à l’époque constamment avec lui, à lui changer les idées et puis, il avait pour mission de redonner le sourire à sa mère. Et cela l’avait beaucoup aidé. Maintenant, à qui est-ce qu’il redonnerait le sourire ? À qui est-ce qu’il pourrait se confier ? Sur qui veiller ? Pour qui tout donner ? Tant de questions qui trottaient dans la tête du mâle et qui lui donnaient une affreuse migraine, faute de réponses convenables ou tout simplement concevables. Las de songer à ces choses-là, il finit par s’asseoir un moment. S’étant installé sur le haut d’une dune, il surplombait légèrement le reste de l’étendue de sable. Ce paysage qui était devenu banal et accoutumé à ses yeux ne lui arrache pas même un sourire, pas même une grimace, une expression désespérément neutre trônait sur son visage alors que le lion jetait un œil sur son domaine, le territoire de son Clan et par extension le sien.

Rien ni personne ne vint troubler ce silence. Pas une âme qui vit ne semblait habiter ce désert et pourtant, on se tromperait lourdement sur les apparences. Ce n’est pas parce qu’on ne les voit pas que les vies ne sont pas là. Ukali le savait parfaitement pour être l’une d’elles. Invisible aux yeux de beaucoup, mais réellement présent. Les habitants du désert ont cet avantage sur ceux vivant totalement à découvert, cet aspect, ce camouflage de leur existence. Cela ne voulait pas dire pour autant que leur existence n’était pas connue. Au contraire, bon nombre de lions censés savaient parfaitement que le désert était l’un des lieux les plus dangereux. Au-delà de rudes conditions météorologiques, des tempêtes de sable qui ne sont que monnaie courante, la présence des Jangowas est un lourd danger. La plupart peu avenants, voir désireux de protéger plus que toutes leurs terres ne feront aucun cadeau aux étrangers, ils ne s’en font d’ailleurs pas entre eux, ce n’est pas pour être charitable avec l’envahisseur inconnu. Lentement, les minutes coulèrent. Le soleil progressait rapidement dans le ciel et la température atteint rapidement son apogée. Peu enclin à bouger de son promontoire de sable, Ukali n’observait plus que d’un œil distrait les alentours, profondément plongé dans ses pensées. Puis, comme répondant à un signal inaudible, après avoir passé de longue, très longue minutes assis ici, il reprit sa route. Recherchait-il une âme qui vit ? Rien n’en était moins sûr. La seule chose dont il était certain, c’est que son ventre grondait. La faim l’appelait. Le dur rappel à une vie qui n’est pas que songe. Comme chaque Jangowas, il reste le seul individu capable de satisfaire à ses propres besoins. Il lui fallait chasser pour manger, travailler pour réussir et rencontrer pour juger.

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Le silence avait déposé son long rideau voilé sur le désert, Ukali avait appris à le respecter et c’est ce qu’il faisait. Glissant sur le sol telle une vipère, ses pas étaient légers, souples, silencieux. Qui aurait cru qu’un lion d’une telle corpulence puisse être aussi silencieux lorsqu’il s’agissait de se déplacer. Seule ombre au portrait, les terribles plaintes de son estomac qui déplorait le peu de nourriture que le lion lui avait servi. Peu enclin à chercher de la nourriture, il s’était résigné. Quoi de mieux à faire ? Il n’allait pas rester là, au beau milieu du désert, à se morfondre sur son vécu, sur la disparition de sa mère et sur ce que cela aurait pu être que de la revoir. Non. Il fallait aller de l’avant. Lutter. Comme lorsque l’exil n’avait pas encore pris fin. Tout cela devait, au lieu de l’affaiblir, le rendre plus fort, plus digne de revenir parmi les Jangowas. Son Clan natal entier attendait son retour. Est-ce que Jaliwa avait prévenu les autres de son retour ? Est-ce que le Clan entier était désireux de le revoir ? Il en doutait. Est-ce que chacun était le bienvenu dans un Clan vide de toute famille ? Ukali n’avait plus personne pour l’accueillir, si ce n’est Jaliwa qu’il avait déjà revu, qui viendrait lui souhaiter un bon retour ? Haussant les épaules face à tant d’interrogation, le grand mâle fini par abandonner ses pensées pour se concentrer sur sa recherche de nourriture. Dans le désert, il fallait s’armer de patiente et de concentration si l’on souhaitait capturer la moindre proie. Ne sortant généralement qu’à la tombée de la nuit, il était encore plus difficile de se mettre quelque chose sous la patte en début de matinée. Avec un peu de chance, peut-être que. Pas convaincu, mais pas non plus résigné à se laisser crever de faim, le lion entrouvrit sa gueule pour inspirer l’air à pleins poumons. Au-delà de l’odeur du sable, au-delà de pistes éventées de quelques petits mammifères, prônait une odeur connue. Un Jangowas n’était pas loin. S’il n’avait pas oublié l’odeur caractéristique des siens, il avait tôt fait d’oublier les odeurs particulières à chacun. Ainsi, il fut incapable de mettre un nom sur celui qui se promenait dans les parages.

Dommage, car s’il avait su, il aurait certainement anticipé la suite. Après s’être désintéressée de la piste du Jangowas, il s’était lié à une hypothétique piste de gazelle. Il n’aurait que très peu de chance de la retrouver et encore moins de l’attraper. Adoptant un trot léger, le nez collé au sol, son attention totalement portée vers sa proie, il ne fit guère attention aux éléments. Le sable étant son allié, le vent n’étant pas levé et le ciel s’éclaircissant au fur et à mesure n’opposaient aucune barrière à sa petite traque matinale. D’un bon pas, il réussit au détour d’une dune à entrevoir quelques empreintes de l’animal. Il n’était plus très loin, mais où. Un coup d’œil sur l’extérieur, après s’être hissé sur une dune de sable, il vit au loin ce qui ressemblait à un animal fuyant. Aucune forme ne se distinguait de là, mais le sable qui s’envolait et s’amassait autour de cette forme sombre laissait entrevoir quelque chose de bien vivant. Le plus étonnant aux yeux du mâle, ce fut de remarquer que la forme ne le fuyait pas, mais fonçait, au contraire, droit sur lui. Tentant d’identifier la nature de l’animal, il détourna un instant le regard, tentant de capter les effluves d’un vent qui fuyait les lieux. Une seconde d’inattention. Une seconde de trop. La forme avait parcouru le peu de distance qui la séparait d’Ukali et lorsque ce dernier reposa les yeux dessus, il n’eut guère le temps de faire un pas sur le côté. La chose percuta de plein fouet les pattes du lion et comme si le choc était anodin, elle se mit à piailler :

« Ukali, Ukali ! Tu es rentré ! Ukali ! Raconte-moi ton aventure, s'il te plait ! S'il te plait, s'il te plait, s'il te plaaaait ! »

N’attendant pas quoi que ce soit pour réagir, Ukali dressa le poil, banda les muscles et envoya balader d’un revers de patte l’importun qui l’avait percuté. S’il était resté calme jusqu’à ce qu’il rencontre cet énergumène, c’était oublié. Ses yeux transcendaient littéralement le corps du jeune lion et s’il n’avait pas reconnu l’odeur portée par ce dernier, il ne l’aurait certainement pas laissé indemne. Tendu au possible, laissant prôner une colère noire et une haine naissante envers le jeune, il se retint néanmoins d’aller plus loin. Comment est-ce que le Clan l’accueillerait s’il tuait l’un des membres de ce dernier ? Qui plus est, un jeune. Décidé à ne pas perdre son temps, à ne pas user de son énergie, Ukali se contenta de contourner l’autre, tous crocs dehors, le regard froid et de reprendre son chemin. La colère avait voilé la faim, mais l’envie de ne pas commettre l’irréparable, le poussa à s’éloigner.

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Un pas après l’autre, le lion espérait que l’autre comprendrait. Au fond, il espérait que le coup qu’il avait reçu et le petit vol plané qu’il avait effectué le calmerait et le contraindrait à ne pas venir. Il ne souhaitait pas d’une compagnie de ce genre. En fait, il ne désirait aucune compagnie. Il voulait simplement chasser pour pouvoir manger. Comment pourrait-il le faire si un énergumène trainassait dans ses pattes en piaillant comme un fou ? Il n’avait aucune envie de se le coltiner comme il ne voulait se coltiner personne. Non. Décidément, il était bien mieux seul, avec pour seul ami et allié son esprit. La colère gonflait encore ses muscles, luire donnant une allure spéciale lorsqu’il marchait. Un peu comme s’il s’apprêtait à lutter dans un combat au corps à corps avec un lion, d’égal à égal. Son adversaire aujourd’hui n’était pas réellement un lion, le combat s’il devait avoir lieu ne serait pas plus équitable que cela, Ukali remporterait ce dernier certainement haut la patte sur le petit, la fierté n’entrerait même pas en lise dans cet affront. Rien que d’imaginer le sang du petit se répandre sur le sable, former des amas rouges dans le beau sable clair, l’ancien exilé se sentait plus serein. Encore un petit pas. Encore un et il serait certainement assez loin de l’autre pour souffler un peu. Pour pouvoir enfin reprendre sa traque, pour pouvoir espérer attraper sa gazelle. Il en salivait en y pensant. Son ventre gronda de nouveau, lui rappelant qu’il était bel et bien vide, faisant tourner ses préoccupations du petit à la chasse. Le plus important était de manger. Un voile infime de colère s’échappa alors qu’il tenta quelques secondes de se recentrer sur cette voix.

« Ukali attends ! Attends ! Waouh c'était trop cool, t'as vraiment trop de force, aha ! Moi aussi je suis super fort eh, regard ! Tu regardes ? Attends ! »

S’il n’avait pas piétiné le sol avec la discrétion d’un troupeau de buffle, le lion ne se serait probablement pas attendu à un retour du jeune. Est-ce qu’il se souvenait seulement de lui ? Est-ce que son nom lui revenait. Un simple coup d’œil sur son corps, sur le peu de crinière qu’il avait pour sa taille, Ukali ne trouva rien dans sa mémoire embrouillée par la colère. Avait-il réellement envie de le retrouver ? Probablement pas. On ne met pas de nom sur l’agacement, la colère, la haine et le mépris. Il maudissait intérieurement les parents de ce jeune qui l’avait mis au monde et qui ne le gardait pas auprès d’eux. Pourquoi est-ce qu’ils ne pouvaient pas garder leur progéniture ? Étaient-ils eux aussi agacés par son comportement ? Ukali ne se posa guère plus la question, bien trop concentré à se contrôler, à ne pas faire demi-tour pour en coller une nouvelle au lionceau qui lui courrait derrière. Pourquoi est-ce qu’il ne pouvait pas lui fiche la paix ? Est-ce qu’il lui avait demandé quelque chose ? Certainement pas. Ukali ne demandait rien à personne, si ce n’est peut-être à Jaliwa, et encore, il évite. Son unique amie n’est pas à ses yeux, elle représente bien trop à ses yeux pour risquer d’anéantir tout lien pour une broutille. Affichant clairement sur son visage son agacement, le corps tendu, la queue balayant l’air, Ukali n’eut même pas un regard vers le lionceau qui devait essayer de faire un je ne sais quoi pour peut-être l’impressionner. Il en faudrait bien plus pour le faire broncher. Bien plus avec ce qu’il avait vécu et vu. Est-ce que le jeune passerait l’exil ? Ukali ne l’espérait pas.

« Ukali, s'il te plait. Raconte-moi ton exil. Je vais bientôt partir et je veux savoir ce qui m'attend. »

Grondant froidement lorsque le jeune vint à lui passer devant, Ukali se retint de l’éjecter une nouvelle fois. N’écoutant même pas les mots de l’autre, ne s’attardant même pas sur sa mimique ridicule, il se contenta de l’écarter d’un revers de patte. Encore une fois, il reparti. Pourquoi sentait-il que l’autre n’avait pas fini de l’agacer ? Pourquoi est-ce qu’il avait ce pressentiment que l’autre n’abandonnerait pas de si tôt ? Qu’il voudrait encore et encore des réponses à ses nombreuses questions ? Comme pour dissuader l’autre, comme s’il pensait réellement que cela fonctionnerait, Ukali fit volte-face, griffes sorties, crocs découverts, il ne mâcha pas les quelques mots qu’il cracha au jeune :

« Écoute, j’en ai rien à secouer de ta tronche. Tu pourrais bien disparaître dans ce désert que je continuerais de vivre normalement. Alors tu sentais gentil de retourner jouer dans les pattes de ta mère, je ne suis pas ta nourrice, alors dégages. »

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Il ne faudrait pas grand-chose pour que le lion ne change d’avis sur le fait de ne pas toucher la pelisse du plus jeune. Il mourrait d’envie qu’on lui fiche la paix. Il avait besoin d’être seul un moment, il l’avait été pendant une année entière, mais il ne sentait aucunement le besoin de retourner auprès des siens, de les côtoyer de nouveau, de s’attacher de nouveau à quelqu’un, pour le voir disparaître ensuite. Non. Il ne voulait plus de cela. Il ne voulait plus d’amis, ne plus avoir aucune bonne relation, cela était devenu inutile, blessant voir même dangereux à ses yeux. Son cœur pleurait encore le départ de sa mère… Pourquoi avait-il fallu qu’elle parte avant son retour ? Et pourquoi est-ce qu’il avait fallu que lui parte en exil ? Au nom de qui ? D’un stupide désert ? De lois tirées de grains de sables tout juste capable d’irriter les yeux et d’être infeste lorsqu’il décide de venir se loger dans les muqueuses des audacieux qui continuaient de vivre ici ? Les nerfs à vif, le mâle ne désirait qu’une chose en cet instant précis : voir disparaître le jeune qui lui tapait sur le système. Il se sentait faible, il sentait le peu de sang-froid qu’il possédait, le quitter. Ce ne serait qu’une question de minutes, voir de secondes, pour que le Grand Désert lui-même, le voit craquer, laisser sa colère l’emporter et prendre le dessus sur son corps et sur ses actes. Est-ce qu’il serait louable de lever ne serait-ce qu’une patte sur ce lionceau ? Après tout, Ukali n’avait-il pas été comme lui plus jeune ? N’avait-il pas lui aussi cherché à savoir ce qu’il se passerait durant son exil ? Combien de lions avait-il enquiquiné pour ne serait-ce qu’avoir un petit récit, une petite tirade ? N’avait-il pas été aussi collant, décidé et insupportable ? Qu’importe. Il trouvait à ce jour cette attitude désagréable et au nom de je ne sais quoi, il en conclut simplement que s’il avait fait l’erreur, les autres, eux, n’y avaient pas le droit. Puis, silencieusement, comme si toute trace de colère avait disparu, le lion fit demi-tour, se retrouvant devant face au désert lui-même, vaste, vide de tout sentiment, de toute émotion et de toute trace de colère. Loin d’être apaisé, les pas qu’il reprit étaient ponctués d’une colère certaine, colère qui ne se dissipait pas. Ne pouvait-on donc pas comprendre qu’un lion veuille être seul ? Pourquoi est-ce que ce lionceau ne pouvait pas l’écouter parler ? Pourquoi est-ce qu’il ne percevait pas la douleur et toute la détresse derrière cette colère et cette envie de solitude ? Peut-être parce que le lion avait appris à ne rien montrer durant son exil, peut-être parce qu’il était devenu aussi froid que la glace, aussi peu expressif que le sable, aussi dur que le roc et aussi inexpressif que le Grand Désert lui-même…

« Attends ! Écoute-moi enfin ! Je sais que... Je sais que tu me prends pour un gamin stupide qui traîne dans tes pattes, mais... Mais toi aussi, t'as été un gamin stupide qui traînait dans les pattes des grands ! Tu viens tout juste de rentrer et tu restes tout seul, quel genre de héros tu es ? Je suis peut-être pas celui que t'attendais, mais visiblement, je suis le seul comité de bienvenu que tu auras. Je parle beaucoup, et si tu me racontes ton histoire, j'irai la raconter à tout le monde. Je l'embellirai même, je ferai de toi le plus grand guerrier que le Désert a connu ! Tout ce que je te demande, c'est de me raconter ton exil. Et après, je te ficherai la paix pour le restant de ta vie si c'est ce que tu veux. Alors ? »


Alors que la tension dans ses muscles s’était légèrement apaisée lorsque son regard avait fondu sur le sable, lorsque ses yeux avaient redécouvert le corps du jeune, lorsque ses oreilles avaient entendu ses lourds pas le poursuivent ainsi que son souffle plus que bruyant, elle était revenue encore plus forte qu’auparavant. Qu’est-ce qu’il clochait chez lui ? se demanda Ukali. N’était-il pas censé ? Lorsqu’il était parti, il ne se souvenait pas avoir laissé des membres aussi agaçants. Il se souvenait simplement de sa mère, de Jaliwa et des autres qui a cette époque lui fichait la paix. Il était heureux à cette époque. Il était heureux lorsque sa famille était encore à ses côtés. Même lorsque son père avait disparu, aspiré par le désert, il n’avait ressentit qu’une douleur qu’il était parvenu à masquer, à accepter, pour le bien de sa mère et de Jaliwa. Il ne voulait en décevoir aucune d’entre elles… Maintenant que sa mère n’était plus là et que Jaliwa avait changé, avait-il réellement une raison de continuer de faire comme-ci tout allait bien ? Avait-il encore quelqu’un à décevoir ? Voulait-il vraiment être le héros dont l’autre parlait ? Il s’en foutait pas mal. À vrai dire, il ne voulait être le héros de personne, il ne le serait d’ailleurs probablement. En ce moment même, il n’aspirait qu’à continuer de poursuivre une banale existence, celle que le désert lui avait tracée, une vie sans émotion, une vie à abattre les opposants qui se dresseraient devant lui, une vie égoïste, mais une vie qui ne l’avait pas épargnée non plus. Comment pouvait-on être bon en ayant la vie qu’il a ? Cela avait beau être simple pour beaucoup, à ses yeux, c’était devenu impossible. Impossible de faire demi-tour, pas de retour en arrière possible. Non. Il allait continuer de mener sa vie comme il l’entendait, comme il l’avait appris seul, à ses dépens, pendant son année d’exil. Les traits profondément irrités, menaçants, dictés par un courroux qui ne faisait qu’augmenter au fil des secondes et du flot de paroles que l’autre crachait bêtement. Les griffes toujours sorties, les crocs toujours dévoilés, rien dans son attitude n’avait changé. Le fait qu’il se retrouve face à un jeune n’y changeait absolument rien, de même que sa menace cachée derrière une proposition qui pouvait sembler alléchante pour certains, mais qui aux yeux d’Ukali, sonnaient comme un profond tissu de mensonges. Rien dans son attitude et dans sa façon d’être n’avait changé. Restant sur ses positions, voulant toujours autant être seul et ne donner un traitre mot de ce qu’il avait vécu, seul, durant son exil, il lança un regard assassin à l’autre et cracha d’une voix qui ne cachait pas le mépris qu’il avait pour l’autre :

« T’es sûr d’avoir un cerveau gamin ? Je t’ai dit que je m’en foutais. Je veux que tu me foutes la paix, c’est si compliqué à comprendre ? Tu crois que tout le monde rêve de devenir un héros ? Je m’en tape bien d’être un héros pour quelqu’un, comme je m’en tape de revoir de si tôt les autres, si c’est pour avoir une vie de merde comme la tienne, de bon lionceau bien rangé, plutôt crever. Tu sais quoi, tu peux bien dire tout ce que bon te semble, simplement, dégage. Dégage avant qu’il ne soit trop tard. Prend cela comme un dernier avertissement. »

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Est-ce qu’il regrettait un seul des mots qui étaient sortis en trombe de sa gueule ? Bien sûr que non. Il avait appuyé chacun de ces derniers avec une colère toute particulière. Était-il vraiment devenu un lion mauvais, égoïste et associable ? Peut-être. Peut-être était-ce aussi la douleur, l’incompréhension et l’appréhension de son retour qui l’obligeait à agir ainsi. Tout cela n’avait pas sa place dans l’esprit en ébullition du lion. Il ne voulait qu’une chose, que le petit déguerpisse, qu’il le laisse continuer de chasser, vivre et pourquoi pas mourir dans ce désert. Il ne voulait croiser personne pour le moment. Il avait besoin de se retrouver de nouveau seul avec le Grand Désert, peut-être trouverait-il des réponses aux questions qui trottent dans sa tête, à cette cascade d’interrogation qui semblait ne pas avoir de fin. Il lui fallait trouver des réponses, une au moins. Il devait trouver sa place dans ce désert ou bien le quitter. Il devait se refaire une place parmi les siens et cela commençait par s’éloigner d’eux pour mettre remettre ses idées et ses convictions au clair. Serait-il bien accueilli ? Le petit semblait juré que non. Est-ce que quelque chose avait changé dans leur façon d’être et de penser ? Est-ce que tous les Jangowas étaient devenus aussi faibles et stupides que ce petit ? Est-ce que l’accueil par ces derniers serait identique ? Chacun s’empresserait-il de lui demander ce qu’il s’était passé ou bien comprendrait-on que certaines choses ne méritent pas d’être dévoilées, que certaines choses peuvent rester à l’intérieur et sortirent que lorsqu’elles l’auront décidée. Les yeux du grand mâle ne quittaient pas ceux de son cadet. Le corps et l’attitude de l’autre laissaient émaner une peur panique. Est-ce que cela faisait plaisir à Ukali ? Probablement. Il pensait certainement qu’ainsi, en étant craint, on lui foutrait la paix. Après tout, il lui avait demandé « gentiment » une fois, il avait insisté, et ce, à plusieurs reprises. Ce n’était pas faute d’avoir essayé de le faire changer d’avis avant. S’il fallait en venir aux crocs et aux griffes, alors soit, il le ferait, pour avoir la paix. La tension dans ses muscles était importante, son esprit embrouillé par la peine et la haine, il savait qu’il pouvait craquer en l’espace de quelques précieuses secondes, peut-être qu’une ultime hésitation de la part du lionceau, une seule remarque supplémentaire et peut-être qu’Ukali ne serait capable de retenir les coups. Aussi incroyable que cela puisse paraître, il ne désirait pas en venir là, il ne souhaitait pas que la colère prennent le dessus sur lui-même, sur son corps, faisant toujours bel et bien partie des Jangowas, il refusait d’abattre l’un des siens, aussi stupide et lourd soit-il.

De longues secondes s’écoulèrent. Allait-il tenir encore longtemps ? Il en doutait. Ses yeux ne renvoyaient qu’un sentiment lourd de colère et de haine envers le petit, le fixant presque de façon meurtrière. Il voulait la paix. Simplement qu’on le laisse seul. Qu’on le laisse souffrir tout seul. Qu’on le laisse se maudire d’avoir disparu. Qu’on le laisse souffrir de l’absence de sa mère, de sa présence plus qu’un lointain souvenir. Quelle assurance il avait eu avant de partir en exil, il songeait déjà à son retour et aux aventures qu’il vivrait. Un peu comme ce lionceau certainement. Il était loin de se douter que ses rêves se seraient écroulés les uns après les autres. Il était loin de se douter, à l’époque, qu’il serait désillusionné de la sorte par le Grand Désert lui-même. Songeant de plus en plus à user de son physique pour faire prendre à l’autre une décision finale, ne le quittant pas une seule seconde des yeux, il le surprit à froncer les sourcils et à tourner les talons. Heureux et soulagé d’accueillir une telle réaction de la part de l’autre, il ne laissa rien paraître et le laissa s’éloigner. Après tout, n’était-ce pas ce qu’il lui demandait depuis le début ? Ukali compta les pas au fur et à mesure que l’autre s’éloignait, se gratifiant d’avoir réussi à éloigner l’autre qui semblait pourtant bien décidé à ne pas le lâcher. Faisant à son tour dos à l’autre, il s’imaginait déjà à le revoir faire demi-tour, mais il n’en fut rien. Un léger souffle, un son inaudible, parvint à ses oreilles, faisant vibrer délicatement ses tympans. Devinant-là une injure à son encontre, il n’esquissa cependant aucun mouvement. Voilà qu’il avait la paix, il n’allait pas la gâcher parce qu’il avait réussi à vexer et à mettre en déroute le jeune. Retrouvant toute sa neutralité et toute sa peine une fois bel et bien seul dans le désert, le jeune revenu d’exil se remit en chasse. Chasse réelle ou chasse aux questions, le Grand Désert lui seul le sait.

HRPG:

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