Un flocon de neige.
Deux flocons de neige.
Trois flocons de neige.
Quatre flocons de neige.
Cinq flocons de neige …
L'esprit silencieux, Sungura observa les moindres détails du paysage qui accueillait sa demeure Nordique, près des Sources Chaudes, loin des montagnes gelées qui avaient maintes fois servi au voyage de ses ancêtres. Poserait-elle un jour ses pattes sur le sol glacé des collines aux contours brillants à cause du soleil couchant ? La petite se questionnait, rêveuse, le cœur rempli d'espoir. Il y a peu de temps, sa petite famille et elle avaient fêté sa toute première année d'existence, à elle et son frère. Désormais, elle était préadolescente, son corps se préparait d'avance aux changements morphologiques qu'elle subirait dans le futur. L'adolescence ? Cette période paraissait tendue et floue pour certains, pour d'autres elle n'en était que joyeuse et profitable. Qu'en serait-il pour elle ? Serait-elle encore plus rejetée par ses camarades ? Ou l'accepteraient-ils enfin, comprenant que quoiqu'il arrive, quoi qu'elle devienne, elle serait toujours comme eux, elle serait toujours aussi Nordique qu'eux ? En attendant, les choses ne s'arrangeaient pas pour Choyo. Le temps passait, et son frère reflétait toujours un peu plus la soi-disant « allure » des Jangowas. Elle ne savait à quoi ils ressemblaient … cependant, elle refusait de croire que son faux jumeau deviendrait comme eux plus tard, autant physiquement que mentalement. Il était le plus adorable des lionceaux … et, en écoutant les rumeurs qui circulaient dans le Clan – elle n'était malheureusement pas tout le temps là à ses côtés, malgré sa profonde envie de changer la donne -, elle ne cessait de s'inquiéter pour lui, parce qu'il changeait, parce que désormais, selon les autres, Choyo commençait à prendre un malin plaisir à s'en prendre aux plus faibles, c'est-à-dire ceux qui étaient du genre de Fikra, à ne « pas être gâtés par la vie ». Il ne pouvait pas se familiariser à la brutalité de l'ancienne famille de leur mère … C'était impossible ! Elle croyait en lui, en son cœur, en sa bonté transmise dans le sang des Nordiques ! Assurément, son frère ne serait jamais un Jangowa, il ne serait jamais un méchant. Elle le savait. Il ne le serait jamais.

Soudain, ses mirettes clignèrent. Un papillon blanc, dont les belles ailes battaient dans l'air, attira l'attention de la jeune princesse qui songeait et regardait la nature représentative du Nord. Il s'éloigna, comme si de rien n'était, tandis que la petite lionne s'ébrouait et le suivait lentement, fascinée. Qu'est-ce qu'il était beau ! Un désir de domination parcourut le corps de la femelle gris-bleu. Sungura plaqua ses oreilles contre le crâne, le regard braqué sur lui. Et si elle essayait de l'attraper ? Elle pourrait l'offrir à sa mère, qui se trouvait non loin de là ! Sa tête se tourna un instant en direction d'une pierre chaude, qui servait de trône à la reine nordique. Son compagnon n'était pas là, comme d'habitude, occupé par ses fonctions de monarque. Elle se détourna de l'emplacement de sa mère et reprit son objectif primordial : capturer le papillon.
Alors, la chasseresse donna un coup de patte dans le vide. Le papillon l'esquiva, elle tenta de nouveau sa chance. Encore raté. Encore raté. Encore raté.
Finalement, la petite bête se dirigea vers Suki. Sungura trouva encore plus d'intérêt à cette mini-chasse : sa mère serait contente de la voir ainsi, déterminée, puis plus tard victorieuse lorsque ses dents croiseraient les ailes fragiles de sa proie de neige. La lionne suivit le papillon et continua son manège, qui était de le toucher, voire de l'assommer. Elle rata son coup, plusieurs fois. Cela dit, au lieu de ronchonner, la petite se mit à rire, à s'amuser, à sourire. Ce jeu était très amusant, elle pourrait sûrement apprendre aux autres enfants Nordiques à chasser le papillon, plus tard.

«  Sungura ? » l'appela Suki, une fois qu'elle l'eût remarquée, non loin d'elle, entrain d'embêter le minuscule habitant du Nord.

Aussitôt, Sungura cessa de le poursuivre. Elle tourna la tête, les oreilles dressées, la mine curieuse. Le sourire de sa mère réchauffa son cœur, lorsqu'elle l'aperçut. Maman est la plus belle, pensa-t-elle joyeusement.
Tout en s'approchant, la jeune femelle l'entendit déclarer :

«  Tu m'as surprise mon cœur, je pensais que tu serais partie jouer dans la neige, un peu plus loin. »

Non, non ! Elle ne s'était pas contentée de « jouer dans la neige » ; elle avait chassé un papillon. Et les papillons, c'était très dur à chasser !
La petite la rejoignit et se colla contre la douce fourrure de sa mère, c'est-à-dire entre ses pattes. Sungura posa sa tête sur l'une des pattes avant de Suki – sans demander son autorisation, mince ! - et, fièrement, elle la corrigea :

«  J'ai fait mieux : j'ai chassé un papillon ! C'est super beau à regarder, » assura-t-elle en coulant un regard vers le papillon blanc qui disparaissait, au loin, dans le décor blanc du Nord : «  J'ai essayé d'en attraper un pour te l'offrir, mais … C'est plus difficile que je le pensais, » avoua finalement Sungura, soudainement attristée par cet échec. Peut-être que Yuki, elle, savait chasser le papillon ? La fille du Roi n'arrivait pas à croire que, malgré son âge, elle n'arrivait pas à attraper une prise aussi petite. Enfin … Ce n'était pas comme si les papillons étaient la nourriture favorite des lions. Doucement, la lionne grise ferma les yeux, et se mit à ronronner, toujours blottie contre sa mère.

Sa mère savait toujours quoi faire pour la consoler. Sans répondre, Suki frotta son museau contre le sien en ronronnant à son tour, chose qui détendit la petite femelle frustrée. Elle ne semblait pas lui en vouloir pour le papillon.

«  Allons ma puce ... » finit par déclarer la féline sable, «  Ce n'est pas grave. Tu es encore jeune. Et tu sais ? C'est en échouant qu'on apprend. Le tout est que tu n'abandonnes pas face à la difficulté. »

Sungura ferma les yeux, bercée par ces paroles. « Le tout est que tu n'abandonnes pas face à la difficulté » … D'un coup, elle ne pensait plus à sa proie, mais à leur situation actuelle. Elle avait raison. Il ne fallait pas abandonner, même si les choses étaient compliquées, même si les obstacles étaient presque impossibles à surmonter, même si certains Nordiques posaient sur elle des regards lourds de mépris, même si sa famille était quasi indésirée dans le Nord, même si …
La femelle grise poussa un doux soupir en songeant à cela. Assurément, beaucoup de choses la travaillaient, en même temps de la blesser par la même occasion. Son aînée ajouta :

«  Je suis sûre que seras la plus grande chasseuse de la Terre des Lions un jour. Et aussi la plus grande Reine du Nord. »

Vraiment ? Soudain, l'intéressée ouvrit les yeux. Elle se mit sur le dos, de quoi pouvoir regarder le visage de sa mère et, les yeux brillants, elle sourit. Sa figure maternelle savait vraiment ce qu'il fallait lui dire pour lui remonter le moral. Rares étaient les lions qui ne la savait pas rêveuse, en même temps ! La fille de Késhia rêvait beaucoup lorsqu'il s'agissait d'imaginer son avenir, en particulier le déroulement de son futur règne lorsqu'elle serait Reine, peut-être acceptée de tous à ce moment-là. Serait-elle digne de succéder à son père ? Son règne serait-il encore meilleur que le sien ?
Silencieuse, Sungura écouta la suite, parce que Suki n'avait pas terminé.

« Mon cœur ? Il y a quelque chose dont je voudrais te parler si tu veux bien. »

Cette fois-ci, le silence ne fut pas de mise. En proie à la curiosité, la jeune princesse miaula, désireuse de connaître le sujet en question :

«  Oui ? De quoi veux-tu me parler, Maman ? »

Etait-ce au sujet de Choyo ? De Késhia ? De ses projets à venir ? D'un problème avec le Clan ? D'une sortie prochaine ? Les sujets défilaient dans sa tête. Sungura se releva et fit face à sa mère, assise, le regard braqué dans le sien. Attentive, elle attendit.

Sa mère lui répondit par un rire léger. A l'évidence, elle savait que sa fille brûlait d'envie de connaître le sujet en question, et ce dans les moindres détails. La demoiselle grise, qui n'était toujours pas complètement satisfaite de la «  réponse  » de la reine – après tout, un rire n'égalait pas les mots ! - se contenta de la regarder avec des yeux intéressés, la bouche légèrement ouverte, les oreilles dressées sur la tête, l'attention braquée sur elle. Suki possédait toute son attention.
Au moins, songea Sungura pour elle-même, ça ne doit sûrement pas être quelque chose de grave. Maman ne rirait jamais pour des choses pareilles !
Finalement, le silence se brisa sous le rappel de son aînée.

« Tu n'es pas sans savoir que ton frère est fier de son sang Jangowa, mon cœur. »

Immobile, la petite lionne parût ne pas comprendre les choses, au cours de quelques minuscules secondes après avoir entendu cela. Mais en vérité, au fin-fond de son cœur, elle imaginait déjà le pire. Choyo et les Jangowas. Pourquoi diable lui parlait-elle encore de lui et d'eux  ? Elle n'avait jamais vraiment aimé les Jangowas. Même, elle les avait craint. La simple idée de lancer des mots à leur sujet ne l'enchantait guère, néanmoins Choyo était également concerné, alors d'un coup, la situation devenait plus sérieuse.
Le cœur battant, le visage déformé par des traits inquiets, elle attendit la suite à contre-coeur. Par amour pour son frère, elle craignait désormais que les révélations à venir de sa mère ne viennent à lui faire penser que, pour l'instant, elle ne fût toujours pas débarrassée d'eux pour toujours. Elle tenait tant à son jumeau …
Comme elle se l'était promis un peu plus tôt, il ne serait jamais un Jangowa, et ces mots n'étaient pas balancés en l'air.

« Je voudrais l'emmener dans le Désert. » révéla Suki.

La femelle aux yeux bleus écarquilla les yeux. L'emmener dans le Désert ?! Quelle idée ! Et pourquoi pas lui faire rencontrer des Jangowas, tiens ?! La princesse ouvrit la bouche pour protester, les oreilles soudainement plaquées contre le crâne. Seulement, sa mère lui demanda :

« Penses-tu que cela lui ferait plaisir ? »

Non, absolument pas ! Sungura ne répondit pas, partagée entre ses propres craintes et sa bonté de cœur. D'un côté, elle voulait protéger son jumeau, lui éviter toutes rencontres avec les méchants félins du Désert. Mais de l'autre … Leur mère restait quelqu'un de confiance, elle ne se doutait pas que Choyo serait en sécurité à ses côtés. En plus, comme celle-ci le disait si clairement, son frère était fier de ses origines ensablées, alors il lui serait bien égoïste de sa part de lui priver une telle sortie à cause de sa personne. Que faire ?
Un soupir s'échappa de la bouche de son interlocutrice. Cette dernière la connaissait très bien, et sans mal, elle parvenait à lire dans ses pensées.

«  Je sais que tu ne portes pas les Jangowas dans ton cœur Sungura et je comprends pourquoi. Mais je tiens quand même à te demander ton avis.  »

La petite cessa instantanément de patienter. Il fallait qu'elle parle, il fallait qu'elle exprime ses doutes.

«  Mais … Pourquoi ? » dit-elle d'une voix parfaitement claire mais inquiète. D'habitude, parler de ce genre de sujet lui rendait la tâche difficile lorsqu'il lui fallait de trouver ces mots qui exprimaient ses sentiments face à la situation. «  Les Jangowas sont tellement cruels ! Le pardon n'est pas dans leurs cordes et puis, ils sont agressifs avec tous les intrus. Tu le sais aussi bien que moi, Maman … S'ils te revoient avec Choyo, si vous n'êtes pas protégés, ils vous feront du mal. Je ne veux pas que ces lions posent leurs griffes une fois de plus sur ma famille, elle ne mérite pas ça. Ni toi, ni Choyo, ni Papa ne mérite ça. »

Sa gorge séchait. Son père, qui pourtant n'était pas aussi lié aux Jangowas que sa mère, était tout autant susceptible de souffrir que elle. Il ne pouvait ni approcher les Jangowas si ce n'était à la frontière. Il tenait lui aussi à sa compagne, Sungura ne pouvait être qu'étonnée si Késhia ne s'était pas un instant douté de la sûreté du voyage de son fils et de sa bien-aimée en l'apprenant.

«  Es-tu sûre que c'est une bonne idée ? … Est-ce que quelqu'un vous accompagne ? Papa est-il au courant ? Je ne sais pas exactement où se trouvent les frontières, mais elles doivent être loin, très loin d'ici. Je ne pense pas que tu puisses aller quelque part dans le Nord avec mon frère sans que vous ne soyez dérangés par le froid … à part si un guide veille sur vous. »

Sur ces mots, Sungura se tût. Ses petits yeux bleus se plantèrent dans ceux de Suki qui étaient baignés dans un bain d'émeraude. La petite espérait que sa mère prendrait en compte tous les potentiels dangers que sa fille lui avait relevés. N'était-ce pas naturel de vouloir protéger sa famille, après tout  ? De ne désirer que le bien des rares personnes qui l'aimaient d'un amour sincère  ? Tout d'abord, la Reine Nordique parût attristée par ses propos. Elles ne semblaient pas la réjouir, chose prévisible mais qui, malgré tout, serra secrètement le cœur de la jeune princesse. Un doux sourire s'afficha soudainement sur les babines de sa mère à la fin de son discours. Elle soupira, amusée, puis contempla silencieusement ce paysage de neiges et de glaces qui avait toujours protégé les Nordiques des menaces extérieures. Sungura suivit son regard, en quête d'anticiper la réaction de son interlocutrice.

«  Sungura. Regarde autour de toi. Ce monde de neiges et de glace. C'est le tien. Un héritage que tu as reçu de ton père. Ton frère lui, a reçu son sang du Désert. Vous êtes aussi différents que complémentaires … Mais lui aussi a le droit de connaître son héritage, tu ne crois pas  ?  »

Ce voyage reste dangereux  ! Persista à croire la féline gris-bleu. Elle ne répondit pas, la gorge serrée. Suki la regarda et lui déposa une lèche sur le crâne. La demi-Nordique ronronna faiblement. Son ronronnement cessa au moment où elle reprit, sourcil haussé  :

«  Et puis … Penses-tu réellement que ton grand-père était un être cruel  ? Et ta grand-mère  ? Penses-tu qu'ils étaient les monstres que tu vois chez les Jangowas  ? … Et moi  ? N'étais-je pas une Jangowa avant de rejoindre ton père  ?  »

Avec de tels arguments, elle semblait avoir le dernier mot. Sungura ouvrit la bouche mais se ravisa, ne sachant quoi dire. Elle avait raison, mais … Non … Elle ne pouvait pas avoir tort … Le voyage … restait dangereux.

«  Mais … Vous êtes … des exceptions à la règle,  » se défendit vainement la petite lionne, avant de soupirer doucement, vaincue par sa mère. Elle était consciente que ses propos ne tenaient plus trop la route, malgré son ardent désir qu'était d'avoir raison. «  Mais le voyage reste dangereux. Choyo a déjà dû mal à supporter le froid dans les Sources Chaudes, qui pourtant ont un peu le mérite d'apporter la chaleur aux Nordiques. Qu'en sera-t-il au moment du voyage, lorsque vous devrez traverser les paysages glacés  ? Il n'y a pas d'autres Sources Chaudes dans le Nord, à ma connaissance.  »

Au moins, elle aurait essayé. C'était probablement sa dernière offre.

De nouveau, Suki lui adressa un doux sourire. Un certain frisson parcourut l'échine de la petite à cette constatation : lorsque sa mère souriait de cette manière au cours d'un débat comme celui-ci, à ses yeux, ce n'était jamais bon signe. Probablement était-il qu'elle avait de nouveaux arguments contre sa pensée à lui faire passer ? Sungura la vit soudainement relever la tête, le regard perdu dans l'horizon.

«  Nous saurons nous débrouiller. » affirma-t-elle. «  Ne t'en fais pas. Ton frère et moi sommes plus résistants que ce que tu sembles croire. » Une courte pause se fit alors, avant qu'elle ne lui confie, sincère : «  … Sungura ? Je suis heureuse que tu m'aies donné ton avis, même s'il n'est pas le mien. »

La Reine Nordique soupira. Elle ajouta avec soulagement :

«  Et je suis heureuse de constater que tu es prêtes à argumenter pour maintenir tes idées au lieu de simplement te laisser faire. »

Le compliment réchauffa le cœur de la petite Princesse. Si sa mère lui disait quelque chose comme cela, alors ce devait sûrement être vrai. Elle était têtue, tenace, profondément attachée à ses idées. Sungura imagina un instant les avantages que pourrait lui procurer ce trait de caractère, à l'avenir. Le Nord aurait de la chance … Leur probable et future Reine ne se laisserait pas faire par les menaces extérieures ou intérieures. Il vaincrait, de toute évidence.
Cette image délicieuse fit ronronner la féline au masque blanc.

«  Promets-moi que tu ne changeras pas ça, d'accord ? »

Sans quitter des yeux sa mère, elle hocha la tête et répondit :

«  Oui, c'est promis !  Enfin, toutefois, je reste certaine que le voyage sera dangereux. N'est-ce pas ? Tu m'as dit que je ne devais pas me laisser faire, alors c'est ce que je fais, » ronronna Sungura sur un ton taquin. Enfin … Faire passer le morceau de viande ainsi avec une pointe d'humour ne serait pas de refus. Ainsi, sa mère n'aurait pas à relancer la conversation et se disputer avec elle pour cette idée de voyage.

Pour elle, elle ne se laisserait pas faire et garderait ses idées intactes, quoi qu'il advienne. Mais …

«  Maman ? Je n'y ai jamais réellement pensé auparavant, trouvant cela plus que naturel, mais ... quelque chose me tracasse. »

Les tensions dans le Nord, son père, le rejet de Choyo ? Pourquoi les Nordiques faisaient-ils tout cela ? Pourquoi la plupart d'entre eux semblait-il leur en vouloir ? Les conditions physiques de Choyo étaient un problème, d'accord, mais ils pouvaient très bien s'adapter à lui. Les Lions Blancs n'étaient-ils pas purs et sages, après tout ? Ils pouvaient bien accepter les différences de leurs camarades – surtout s'il s'agissait du fils d'un monarque qui n'avait fait que le meilleur pour le Nord jusqu'à aujourd'hui ! -. Se pouvait-il qu'il y ait des Méchants, dans le Nord ? Sungura pensait pourtant que les méchants ne se trouvaient qu'à la limite des frontières qui séparaient les montagnes aux autres royaumes, surtout dans le Désert, avec les Jangowas.

«  Des Nordiques sont méchants et méprisants lorsqu'il s'agit de nous, » reprit la Princesse d'une voix soudainement brisée. Elle avait de plus en plus mal à l'idée que, malgré la haute opinion qu'elle se faisait d'elle-même, ses camarades ne soient pas en accord avec ses pensées orgueilleuses mais justes. «  Qu'avons-nous fait de mal ? Pourquoi ne serions-nous pas une famille royale comme une autre ? Les Nordiques sont censés être bons et justes. Et pourtant, j'ai l'impression que la « nouveauté » ne leur plaît pas et qu'ils sont incapables de s'adapter à des choses nouvelles et uniques. »

Sur cette confession, Suki balaya sauvagement le sol de gauche à droite. Un profond soupir s'échappa de sa bouche avant qu'elle ne confie aussi :

«  Quand j'ai suivi ton père Sungura. Je m'attendais à trouver une terre paisible et des lions bienveillants. Maintenant, je me rends compte que je ne trouverai rien de cela ici. »

La dure réalité serra davantage le petit cœur tout fragile de la jeune princesse. Elle le savait, ce ne serait pas sa mère qui donnerait un avis positif sur ces félins qu'étaient les Nordiques. Elle ne pourrait jamais la consoler si ce n'était qu'en mentant, quand bien même si elle désirait redonner de l'espoir et le sourire à sa très chère fille. Elle et Choyo souffraient tout autant qu'elle du froid des montagnes et du point de vue de certains Lions Blancs. Alors, à force …

«  Les Nordiques, en bien des points, ressemblent beaucoup plus aux Jangowas qu'ils ne veulent bien l'avouer. Ils n'aiment ni le changement, ni ce qui leur est étranger. C'est ironique pour des lions se croyant si haut-dessus des autres d'être ainsi comparable à ceux souvent appeler les « brutes de la Terre des Lions ». »

De nouveau, sa mère laissa échapper un soupir. Sungura, quant à elle, frissonna à la prononciation du mot « Jangowa » … Elle qui les considérait comme des vilains matous sans cœurs et sans pitié, voilà que l'idée de les comparer aux Nordiques brisait en quelque sorte ses plus profondes croyances enfantines : les Nordiques étaient le Blanc, les Jangowas étaient le Noir. Comment son Clan pouvait-il se permettre de virer au Gris comme ça, alors que, dans les contes des anciens, les multitudes d'aventures et de légendes à leur sujet avaient pourtant démontré la beauté de leurs cœurs et la noblesse de leurs gestes ? Décidément, la petite femelle gris-bleu se savait au courant de beaucoup de choses qu'elle préférait oublier pour moins souffrir. Etait-ce la manière de fonctionner de Késhia, tiens ? Il sentait la tension monter au sein des Nordiques, mais fermait les yeux comme si de rien n'était, comme s'il se doutait de rien tout en vaguant à ses occupations normales.

«  Mais ce qu'ils pensent n'a pas d'importance. Ce sont des idiots. Ne te préoccupe pas de ce qu'ils peuvent penser. Pour moi, tu seras toujours ma petite Princesse, la Future Reine du Nord. »

Suki frotta son museau contre sa joue. La demi-Nordique ronronna et se blottit une fois de plus contre elle. Sa maman … sa chère maman. Les temps étaient compliqués, Sungura le savait avec pertinence, pourtant elle parvenait à retrouver de l'apaisement et de l'amour dans le giron de ce qu'elle qui l'avait mise au monde. Oh que oui, qu'elle resterait la Princesse du Nord. Et la fille de Késhia, la digne fille de Késhia parviendrait à rétablir la paix au sein de son Clan. Choyo ne serait plus rejeté sans raisons, Késhia soufflerait un peu et Suki, sa battante de mère, retrouverait le sourire en ces lieux glacés où elle avait autrefois cru y vivre un conte de fées.

«  Je te le promets, Maman … Quand je serai grande, j'arrangerai tout. Tu seras enfin heureuse. »