Il était parfois amusant de voir comme la vie et le destin mettait chaque détail, chaque pièce du puzzle en place, et que l'on pouvait rien y voir avant le moment fatidique où l'ironie de toute cette construction vous tombait sur la tête.

Voilà qu'elle était adulte. Elle ne s'en rendait pas toujours compte, même si elle était définitivement plus sage, peut être aussi plus méfiante, réaliste et acérée. Son corps aussi avait changé, et elle avait désormais la silhouette élancée mais musclée par les longues marches de son voyage, par les divers paysages et climats rencontrés, et les éprouvantes chasses solitaires. Son pelage si sombre était toujours aussi chaleureux, et il aurait mieux trouvé sa place au milieu des arbres de la Jungles et de ses semblables, plutôt que sur les terres poussiéreuses de la Lande.
Pourtant elle était là, près du Baobab, les yeux posés sur un doux lionceau qui lui posait mille questions sur son environnement, un sourire aux babines.

Elle avait revu Wema, plusieurs fois, avec son adorable fille Kaya. Elle avait été sur Outland, où elle s'était fortement agacée de Jango et son jeune frère Fahari, avant de trainer aux abords pour y rencontrer d'autres lions. Elle avait longé Freeland, puis le Nord, mais soigneusement évité les terres des hyènes. Elle avait rencontré tout type d'animaux et de lions, elle avait même revu son cher ami panthère, qu'il lui arrivait encore de croiser aux alentours de la Lande.
Pendant tout ce périple, elle avait changé, grandi, muri et réfléchi. Elle avait finis par abandonner nombre de ses rêves d'enfants, pour en réaliser d'autre. Elle s'était trouvé, elle savait qui elle était et ce qu'elle voulait. Une certaine force se dégageait maintenant d'elle, bien qu'elle n'efface en rien la chaleur habituelle de son sourire.

Si elle était encore sur la Lande des Sans Terres, et non pas encore de retour dans la Jungle auprès de sa famille, c'était pour cette boule de poils crème aux mignonnes rayures. La petite boule de poils lui lança un sourire à faire fondre les cœurs les plus glacés avant d'éclater d'un rire adorable et de s'enfuir en courant. Un sourire aux babines, la Mositu se leva pour trottiner à la suite de Ranà.
Elle les avait croisés, son père et lui, alors qu'elle se reposait sur la Lande. Dévasté par la mort violente de sa compagne, et complètement exténué par le voyage, il avait fallu beaucoup de patience et de tact à la jeune lionne pour convaincre Hatari de rester quelques jours sur la Lande pour se reposer et manger à sa faim, et surtout faire son deuil. Le petit Ranà dont les pattes étaient si douloureuses ce jour là, l'avait donc tout de suite adoptée. Elle s'occupait donc souvent du lionceau pour laisser le temps à son père de se reposer, parfois de chasser et souvent de partir seul pour se reconstruire et éponger sa tristesse. Une fois apprivoisé, l'ancien Jangowa s'était révélé très agréable, protecteur et aimable.

Une odeur particulière vint chatouiller la truffe de la jeune Mositu qui s'arrêta en posant une patte devant Ranà qui s'y cogna en douceur. Le lionceau s'apprêtait à râler en l'attaquant lorsqu'il nota l'immobilité de sa babysitter qui analysait l'odeur portée par le vent. Aussitôt, le lionceau crème se réfugia derrière les pattes de Taali, qui elle tourna lentement la tête en direction de l'odeur qu'elle venait de reconnaître.
Un massif lion noir s'avançait vers eux, et ses oreilles frémirent de son nom soufflé ainsi dans le silence.

Elle ne répondit pas tout de suite, trop surprise pour réagir. A son départ de Prideland, la jeune adulte qu'elle était, avait vu ses espoirs déçus. Il lui avait fallu du temps pour laisser derrière elle ces sentiments qui avaient épris son coeur pendant si longtemps, et pour admettre que leurs volontés et leurs vies feraient chemins à part. Elle avait même rencontrés quelques mâles, avec qui elle avait flirté en tentant de retrouver ce frisson. Et pourtant, pendant tout ce périple, aucun lion ne n'avait réussi à faire bondir son coeur comme la seule vue du demi-Nyeusis venait de le faire.
Et d'un côté, elle le haïssait pour cela.

Le mouvement de Ranà, qui passait sa petite tête sur le côté des pattes brunes pour apercevoir le nouveau venu ramena brusquement Taali à la réalité et elle hocha la tête pour saluer son ami.

Sadaka.

Elle l'observait, dans l'expectative, sans se douter de l'image qu'elle pouvait ainsi donner, debout, méfiante, avec un lionceau dont le regard d'un bleu aussi pur que le sien épiait le lion sombre à l'abri derrière des pattes protectrices, presque maternelles.
Elle n'ajouta rien. Elle ne savait pas quoi dire. Après tout, la présence de Sadaka ici n'était pas si surprenante finalement. Depuis la dernière fois qu'elle l'avait vu, il avait du arriver à ses fins et être enfin Gardien, et ces derniers ne se contentaient pas de patrouiller aux frontières de Prideland, mais aussi aux terres alentours. Peut être même avait-il était envoyé en mission dans d'autres terres.

Taali baissa doucement la tête, léchant le dessus de la tête de Ranà en lui adressant un doux sourire.

Tu n'as rien à craindre mon chéri. Sadaka est un gentil lion, c'est promis.

L'expérience du petit tendait à le rendre plus que méfiant avec les étrangers, et voir un immense et massif lion noir surgir de nulle part avait de quoi terroriser un enfant dont la mère s'était fait violemment assassinée.
Pourtant, il sembla faire confiance à ses paroles et hocha doucement la tête avant d'observer à nouveau Sadaka, sans pour autant quitter l'abri de ses pattes brunes.

Elle sourit affectueusement avant de relever la tête vers le nouveau venu, et d'enchainer pour tenter d'entamer la conversation.

Excuse-le, il est timide.

Pause. Elle soupira doucement puis s'assit gracieusement, enroulant sa queue autour de ses pattes et de Ranà qu'elle gardait entre ses deux antérieurs.

Que fais-tu de ce côté là de la Terre des Lions ? Les Gardiens ont-ils une raison de s'inquiéter des activités sur la Lande ?

La Mositu lui adressa un sourire avenant, mais contenant une certaine réserve. Il y avait plein de choses qu'elle aurait aimé lui dire, comme à quel point elle était heureuse de le revoir, ou comme il lui avait manqué malgré tous ses efforts pour l'oublier. Elle aurait voulu s'élancer pour enfouir sa tête dans cette crinière si sombre et si fournie, sentir son odeur si réconfortante et sa chaleur.
Pourtant, elle restait assise là, presque en colère contre lui pour avoir surgi ainsi dans une journée tranquille, pour avoir ainsi surgi à nouveau dans sa vie alors qu'elle s'était résolue à l'oublier et à vivre sans lui...

HRP:

Les réponses qui lui parvinrent n'étaient pas celles auxquelles elle s'attendait. Le cynisme de Sadaka ne semblait pas s'être tari, bien au contraire, et transpirait dans les paroles qu'il venait de prononcer, faisant doucement secouer la tête à la Mositu. Voilà plus d'une année qu'ils ne s'étaient pas vus, et malgré ça, son ami semblait exactement au même point qu'alors. Empli de rancoeur et d'ironie, comme si rien ne valait la peine d'être vécu. Comme si le monde entier n'était qu'une immense épreuve à surmonter avec la force de sa colère.

Les paroles qui suivirent ne firent que confirmer ses pensées. Le ton cinglant qui sortit de la gueule du lion fit frémir Ranà qui se pressa un peu plus contre ses pattes, durcissant le regard bleu de la jeune lionne. Il était immense, massif et aussi noir que la nuit la plus sombre. Son regard doré n'émettait ni chaleur ni rayonnement comme celui de sa mère, mais la dureté froide et métallique de l'or. Il était encore plus impressionnant qu'il ne l'avait été adolescent, et effrayant aussi. Mais rien chez Sadaka ne l'avait jamais effrayée, et malgré la carrure époustouflante du demi-Nyeusis, ça ne commençait pas aujourd'hui.
Pendant tout ce temps, elle resta silencieuse, ne voyant pas l'intérêt de répondre quelque chose au grand mâle. Elle avait longtemps essayé de guérir ce mal qui rongeait le coeur de Sadaka, d'y apporter sa joie de vivre, sa lumière et sa chaleur. Le problème était que le grand lion d'ébène n'en voulait pas, et se complaisait dans ce rôle de victime. Peut être cela lui donnait-il une identité dont il ne voulait pas se défaire. Il était celui que personne n'aimait, ne croyait, ne faisait confiance et craignait. S'il admettait que c'était faux, que lui restait-il ? Qui était-il donc ?
Autrefois, la jeune Mositu se serait jetée contre le grand félin pour le rassurer, pour essayer encore une fois de le convaincre de la beauté du monde. Mais elle avait grandi, et elle savait reconnaitre les combats perdus d'avance, aussi douloureux soit-il de s'en rendre compte. Sadaka n'était pas prêt pour grandir, et il n'y avait rien qu'elle puisse y faire. C'était un déclic qui devait s'opérer dans l'esprit du lion par lui même.

Il la salua, et elle répondit que d'un mouvement de tête. Elle souffrait déjà de cette nouvelle rencontre qu'elle avait tant craint. Et malgré toute la logique mise en place auparavant, son coeur souffrait de le voir repartir ainsi. Il avait ravivé tant de souvenirs, tant de sentiments que la jeune Mositu fut un instant tentée de céder à son tour à la colère. De lui hurler dessus, de lui rejeter toute cette douleur à sa faute. De lui en vouloir pour tous ces faux espoirs qu'il avait fait naitre chez elle, puis détruit ensuite, encore et encore au cours de leur enfance et de leur adolescence. Oh qu'elle le détestait. Elle le détestait pour être le seul à faire ainsi battre son coeur, elle le détestait pour être le seul à faire ainsi réagir tout son être... Depuis leur rencontre dans l'enfance, son esprit n'avait cessé de grandir orienté vers ce jeune lion d'ébène. Et même maintenant qu'elle avait grandi, mûri, qu'elle avait compris tant de choses qui devraient la tenir éloigné de lui, rien que la vision de ces yeux dorés et les effluves si connues de son odeur suffisaient à lui faire oublier toutes ses bonnes résolutions.

- Papa !

La voix enfantine de Ranà ainsi criée et sa soudaine absence entre ses pattes firent sursauter Taali qui secoua vivement la tête en se relevant. Elle ne se rendit pas tout de suite compte qu'elle grondait doucement et s'arrêta ensuite. Une apparition, et il remettait sa vie s'en dessus dessous.
Ses yeux bleus se portèrent sur la silhouette sablée qui venait d'apparaitre et qui avait fait réagir Ranà si vivement. Hatari était de retour.

L'arrivée de ce dernier fit remarquer à Taali que Sadaka s'était stoppé dans son élan pour repartir et qu'il s'était retourné vers eux alors qu'elle rejoignait le mâle de sable et son fils. Elle salua le lion d'un gentil mais cordial coup de museau et lui adressa un doux sourire, le rassurant quant à l'état de son fils, puis s'écarta un peu. Elle restait là à quelques mètres, observant le fils et le père partager un moment d'affection avant de relever le museau pour tomber sur le visage stoïque de Sadaka qui les fixait tous les trois.
Le regard bleu ne lâcha pas le lion d'ébène, curieuse de ce qui pouvait bien le pousser à les observer ainsi, se questionnant sur ce qui pouvait bien se passer à l'intérieur de sa tête.

- Pourquoi tu m’as oublié ?

Taali sursauta. Pourtant, elle avait le regard porté sur Sadaka, et avait donc soutenu le vif regard doré lorsqu'il s'était planté dans le sien avec une intensité peu commune de la part du lion d'ébène. Mais la surprise était telle que son corps avait réagit en même temps que son esprit. Son coeur venait de prendre un coup tel qu'elle ouvrit la gueule pour inspirer vivement, comme si le coup avait été physique. L'oublier ? N'était-ce pas ce à quoi elle s'était adonné toute l'année passée sans aucun succès ? Pourquoi donc lui demandait-il cela ? Qu'en savait-il ? N'était-il pas celui qui s'était promis à un destin de Gardien ? Qu'était-elle sensé faire alors ? Rester sur Prideland à soupirer dans l'ombre pour un lion dont le destin et la position lui interdisait toute compagne ?

La colère et l'incompréhension se battaient dans les prunelles si expressives de la Mositu qui avait la gueule entrouverte sans savoir quoi dire. Qu'était-elle sensée répondre ? Lui hurler dessus pour lui dire que tout cela c'était lui qui l'avait décidé ? Que c'était de sa faute ? Eclater en pleurs pour lui dire que malgré tous ses efforts elle n'avait jamais pu l'oublier et qu'elle était prête à tout pour qu'il lui cède ?
Heureusement pour elle, elle n'eut pas le loisir d'ainsi perdre toute dignité car le lion de suie s'était redressé, un éclat nouveau dans le regard, et le visage plus détendu. Il ne semblait plus rempli de colère contenue, mais d'une réticente, mais évidente acceptation.

Complètement perdue, elle l'écouta lancer des paroles, qui pour la seconde fois en quelques minutes, manquèrent de la mettre à genoux.

- Taali, me pardonnera-tu d’avoir loupé ma chance ?

Elle cligna des yeux, perdue dans un maëlstrom d'émotions et de pensées qui refusaient de s'ordonner et de prendre un quelconque sens. Son coeur battait si fort dans ses oreilles qu'elle failli manquer la suite.

- Prenez soin d’elle, soin de vous et soin de votre enfant.

La Mositu écarquilla les yeux et échangea un bref regard surpris avec Hatari avant de le reporter sur Sadaka. C'est en voyant la douleur dans ses yeux et le vague sourire qu'il décocha au lion de sable que la lumière se fit dans l'esprit de la jeune lionne. Il avait pris Ranà pour son fils. Et Hatari pour son compagnon.
Et enfin, toutes les répliques et les émotions de son ami s'embriquèrent dans la situation. Un simple quiproquo, une simple mal interprétation de la situation qui avait poussé le grand lion d'ébène à se révéler. La tension s'évacua légèrement du corps de la brunette qui réprima un éclat de rire, un tantinet hystérique. C'était beaucoup trop d'émotions d'un coup pour la jeune lionne qui avait repris une petite vie tranquille sur le chemin d'Apeland.

Elle envoya un léger sourire à Hatari, s'assura auprès de ce dernier qu'il ne nécessitait pas son aide, lècha le dessus de la tête de Ranà puis fit volte face pour rattraper Sadaka qui était reparti en marchant.
La jeune brunette se planta face à l'immense mâle, la tête haute et le regard empli de défi. Elle était plus petite, plus menue, mais dégageait à cet instant autant d'autorité et de charisme que lui.

Hatari n'est pas mon compagnon, et Ranà n'est pas mon fils. Ce sont des voyageurs que j'ai aidé. Ils repartiront d'ici quelques jours.

Sa voix était calme et posée, et son regard perçant. Elle l'observa alors que l'information se faisait un chemin dans la tête de son ami et ajouta, taquine, un sourire sur les babines.

Mais crois moi, pour une fois, je suis ravie que tu ais mal interprété la situation.

Elle perdit doucement son sourire et son regard s'intensifia. Elle n'avait pas envie de retomber dans ses mauvaises habitudes -ni celles de Sadaka- et nombres de choses que le lion de suie avait dites nécessitaient de revenir dessus. Ils étaient adultes après tout, il était temps qu'ils abordent les choses comme il se devait.

Je ne t'ai jamais oublié. Malgré tous mes efforts je n'en ai jamais été capable.

Pause.

Te voir arriver ici a ravivé de nombreux souvenirs, de nombreux sentiment. Ta simple vue fait plus d'effet à mon coeur que les attentions d'autres lions.

Elle inspira vivement, la voix vibrante. Pourtant, à aucun moment elle ne se défila, et ses yeux restèrent planter avec détermination dans les orbes dorées de Sadaka. Elle assumait pleinement ses émotions et ses ressentis, ça avait toujours été le cas. Elle avait fait de sa sensibilité et de son expressivité des forces plutôt que des faiblesses.

Mais malgré tout ça, de quel droit débarques-tu dans ma vie après plus d'un an, pour me reprocher d'avoir continué sans toi ?
TU es celui qui a décidé de rester sur Prideland. TU es celui qui a décidé de t'engager dans une voie, dans un destin, dans un poste où aucune vie pour nous deux ne serait possible.
Qu'étais-je sensée faire hein ? T'attendre et soupirer dans l'ombre pendant que la reconnaissance et la gloire dont tu avais tant besoin te rende enfin capable de voir l'amour que je te porte ?

La voix de la jeune lionne avait augmenté au fur et à mesure de son discours, et elle finit presque criante, des larmes emplissant ses prunelles d'azur. Elle inspira doucement, les yeux au sol, et lorsqu'elle reprit, sa voix était basse et claire à nouveau.

Tu n'as pas loupé ta chance Sadaka, parce qu'il n'y a jamais eu personne d'autre que toi.

Elle releva le regard pour le planter dans les iris d'or du mâle d'ébène.

Mais je ne ferai pas ce chemin seule. Je t'aime, et ça a toujours été le cas, mais je refuse de continuer à vivre cette relation à sens-unique.
Si tu ne ressens pas la même chose, ou que tu continues de le nier, de refuser de l'admettre, d'appuyer aux yeux de tout le monde que je ne suis "qu'une amie", alors tu peux repartir tout de suite.

Taali soutint le regard de Sadaka, le sien flamboyant, empli de détermination. La Taali d'avant n'aurait rien fait qui puisse contrarier son ami ou risquer de lui faire perdre cet avantage qu'il lui accordait par rapport aux autres. Mais elle avait grandi, elle avait changé, et elle savait ce qu'elle voulait. Et tenir tête à l'immense demi-Nyeusis ne l'inquiétait pas. Elle méritait que Sadaka admette ses sentiments -ou leur absence- à son égard.
Alors elle se tenait là, tenant tête à un mâle aussi sombre que la nuit, presque deux fois plus grands qu'elle, à la carrure plus large qu'un Nordique, le mettant devant un ultimatum indiscutable.
La décision, et son avenir, était maintenant entre les pattes de Sadaka.

HRP:

Il ne dit mot. Pendant toute sa tirade, toutes ses paroles, qu'elles soient dites ou criées, il ne dit mot. Il se contenta de l'observer, le regard ouvert et l'air attentif. Curieusement, et peut être pour la première fois, elle fut capable de voir en lui la résonnance de ses paroles. Elle fut capable de voir ce que provoquait en lui chacune de ses phrases si sincères qui sortaient de sa bouche mais surtout de son coeur.

Enfin, alors que le silence se faisait presque assourdissant à la suite de son débit de parole, ce fut à son tour de parler, et de lui répondre. Et chacuns des mots que fit vibrer sa voix grave s'inscrivit dans l'esprit de la jeune Mositu.
Il lui disait qu'il n'avait pas compris, qu'il n'avait pas réalisé l'amour qu'elle lui portait et qu'il n'avait jamais voulu qu'elle souffre. Elle hocha doucement la tête. Comme lui auparavant, elle lui accordait une écoute silencieuse et totale. Elle aurait, après tout, largement le temps de lui répondre par la suite, et elle avait soif de connaitre la réponse à cette question qui la tourmentait depuis si longtemps maintenant.

Il lui adressa un doux sourire avant de continuer, et la brunette écarquilla légèrement les yeux alors qu'il annonçait vouloir l'aimer en retour. Son coeur sursauta, comme s'il était aussi surpris que son esprit. Peut être n'avait-elle jamais vraiment cru qu'il lui serait possible d'atteindre le coeur du lion d'ébène. Peut être ne s'était-elle jamais déclarée, jamais penchée vraiment sur la question car elle ne croyait pas, au fond d'elle, être digne d'un lion si spécial.

Le souffle lui manqua quelques secondes alors qu'il s'abaissait à nouveau, lui donnant le loisir de se plonger entièrement dans ses yeux d'or et de s'y perdre au point qu'elle du fournir un effort pour entendre ce qu'il lui dit ensuite. Il avait toujours eu sur elle ce pouvoir étrange de lui dérober toute capacité pensante pour peu qu'il se trouve un peu trop près, ou que ses iris de soleil ne la fixe un peu trop intensément.
Mais ce qu'il dit ensuite lui arracha un sourire, mi-ravi mi-surpris. Allons bon, si Sadaka se mettait à faire du charme, elle était définitivement perdue.

Il se redressa, et la jeune Mositu se rendit à nouveau compte d'à quel point le lion de suie avait grandi et s'était étoffé. Il était plus imposant et plus impressionnant que jamais, mais il ne l'effrayait pas pour autant. Magnifique et charismatique, oui. Effrayant et menaçant, non.
Il reprit la parole et cette fois-ci, le sourire de Taali disparu. Elle se fit sérieuse et malgré la surprise -et la peur- elle ne le coupa pas, et le laissa s'expliquer. Elle écouta ses arguments, l'accent sincère de sa voix qui lui indiquait que chacune de ces paroles résultaits d'une longue réflexion introspective qui l'avait menée à cette décision. Elle hocha à nouveau la tête, doucement. Elle n'était pas sûre d'apprécier la nouvelle, et à l'intérieur son coeur se serrait de le savoir sur une route si dangereuse.
Pourtant, elle ne pouvait décemment s'opposer à sa quête, ayant ressenti le même besoin de découverte de soi, bien que les raisons aient été différentes. Elle savait que le sang de Nyeusis qui coulait dans ses veines avait toujours été un fardeau pour Sadaka, et elle savait aussi que tant qu'il n'aurait pas vu par lui même de quoi il en retournait de ce côté là de ses origines, jamais il ne pourrait savoir qui il était, et se construire pour de bon.

La voix du lion d'ébène l'arracha à ses réflexions à nouveau, et ce qu'il lui dit adoucit la peine de la jeune lionne. Elle eut un léger sourire amusé, presque ironique. L'attendre ? N'était-ce pas ce qu'elle faisait depuis des années déjà ?
Enfin il termina sa tirade sur une question où le doute pointait dans sa voix. Il voulait qu'elle comprenne sa décision, plus que ça, même s'il ne s'en rendait pas forcément compte, il voulait qu'elle l'approuve et le soutienne.
Il y avait un moment déjà que la jeune Mositu s'était promis de toujours soutenir Sadaka et de l'aider dans ses choix, de ne jamais se détacher de ses responsabilités d'amie envers lui. Alors oui, elle comprenait. Elle comprenait mais son coeur bien trop meurtri par le passé pulsait encore de méfiance. Il chérissait son amour, il voulait en être digne, mais pas une seule fois il n'avait esquissé une phrase dans le sens inverse.
Voulait-il être avec elle seulement parce qu'elle l'aimait et qu'il était persuadé que personne d'autre ne le ferait ? Ou ressentait-il, lui aussi, quelque chose pour elle ? Quelque chose qui dépassait l'amitié chaleureuse qu'il lui avait toujours démontré jusque là ..?

Taali hocha doucement la tête et répondit d'une voix douce.

Je comprends oui.

Elle brûlait d'envie de se jeter en avant pour se blottir contre lui, d'enfouir sa tête dans sa crinière si sombre et si épaisse, d'y respirer son odeur chaude et entêtante. Pourtant, la détermination qui la remplissait depuis le début ne l'avait pas quitté, et elle demandait d'autres garanties. Une seule en fait.
Pourtant, elle prit rapidement l'initiative de répondre à ses paroles depuis le début, sans s'attarder toutefois.

Tu sais Sadaka, malgré ce que tu sembles croire, je ne suis pas revenue à l'époque sur Prideland pour t'amener avec moi et te déclarer un amour éternel.

Elle fit une pause, un sourire amusé flottant sur ses babines.

Je ne nie pas que mes sentiments à ton égards avaient déjà évolués, mais je comptais de toute manière repasser par Prideland à la fin de mon voyage, et nous aurions eu tout le temps de voir si nous voulions être ensembles ou pas. Mais tu m'as dis ce jour là que tu voulais devenir Gardien. Or, les Gardiens n'ont pas le droit de prendre compagne.

La brunette remua les oreilles, la tête légèrement penchée de côté. Elle essayait de faire comprendre au lion d'ébène l'enchainement des choses, la raison pour laquelle elle n'était pas repassée sur Prideland avant de rentrer pour Apeland.

Je ne t'avais pas oublié. Je ne t'ai jamais oublié. Mais en partant de Prideland, j'étais triste, triste de savoir que je n'aurais aucune chance de savoir si nous aurions pu avoir un futur parce que tu avais décidé d'être un Gardien. Alors j'ai essayé de forcer mon coeur à t'oublier. Je voulais que tu ne sois plus qu'un ami, et j'ai vu d'autres pays, rencontrer d'autres mâles...

Elle lui jeta un coup d'oeil à cette évocation, mais reprit rapidement.

Mais rien n'y a fait. Alors je n'ai pas voulu repasser par Prideland, parce qu'il aurait été trop dur pour moi de te voir à nouveau en te sachant hors de portée. J'ai préféré prendre le chemin du retour pour Apeland, et je serai revenue te voir, toi et Ahva, pour vous raconter mon voyage, un peu plus tard. Lorsque cette douleur lancinante se serait calmée...

La jeune lionne lui adressa un doux sourire et s'approcha de quelques pas, maintenant une courte distance entre eux. Son air se fit sérieux, mais son regard était tendre et chaleureux.

Je comprends pourquoi tu veux y aller. Je ne te dis pas que je ne suis pas inquiète pour toi, ou que l'idée me plait, mais je comprends pourquoi tu dois le faire. Et je te soutiendrai si tel est ton choix. Je sais que tu en as besoin pour savoir d'où tu viens, savoir qui tu es.

Elle lui sourit à nouveau puis plongea son regard dans le sien, le laissant voir toute la volonté qui l'habitait en prononçant les paroles suivantes.

Et je t'attendrai. Je t'attendrai aussi longtemps qu'il le faudra Sadaka.

Elle s'approcha encore et s'arrête à quelques centimètres à peine, la tête levée vers lui, le museau à quelques millimètres du sien, qu'il avait baissé pour la regarder.

Mais avant ça, je veux une réponse.

Elle s'arrêta un instant, plongeant dans ses iris d'or, comme y cherchant ladite réponse à une question qu'elle n'avait pas encore posée. Comme si les yeux solaire du lion d'ébène auraient pu répondre à sa place, et lui apporter la réponse positive qu'elle espérait tant. Elle l'aimait. De tout son coeur elle l'aimait, mais elle refusait que toute cette relation soit à sens unique, qu'il ne soit là que parce qu'elle lui apportait un amour qu'il ne pensait mériter de personne d'autre que Kuzali.
Sa question fut chuchotée, son souffle atterissant sur la truffe de Sadaka qui la regardait toujours, dans l'expectative.

Tu dis que tu chéries mon amour, que tu veux t'en montrer digne, que tu veux m'aimer en retour... Mais que ressens-tu pour moi Sadaka ..?

Elle marqua une courte pause. Juste le temps de reprendre sa respiration, le souffle rendu court par l'intensité de leur échange.

Là, maintenant, à cet instant précis... M'aimes-tu ?

Elle se tenait à quelques pas de lui, son museau à quelques millimètres du sien, le regard plongé dans les seules prunelles qu'elle voulait contempler pour le reste de sa vie, son coeur battant pour le seul lion pour qui il ait jamais battu.
Et pourtant... Pourtant, la seule réponse de Sadaka pouvait briser ce moment, et son coeur, en un millier de morceaux qui ne pourraient jamais être réparés...

Spoiler:

Il éclata de rire. Il s'écarta dans un éclat de rire franc, presque surpris et libérateur. Taali remua une oreille, trop désappointée pour se mettre en colère. Elle ne voyait pas ce qu'elle avait fait de drôle, et en était presque à se vexer lorsque son immense patte noire se leva pour l'attraper et qu'elle se retrouva la tête plongée dans sa crinière d'ébène.
Elle inspira profondément, sans pouvoir s'en empêcher, sentant son coeur s'emballer et son esprit se calmer alors que l'odeur du mâle emplissant sa truffe et son palais. Il sentait la chaleur, la poussière, et l'orage. Pour elle, il sentait aussi le réconfort, l'amour et la sécurité.


- Comment oses-tu encore en douter.

La brunette remua une oreille, un air ironique se peignant brièvement sur son visage. Elle avait des tonnes d'arguments à répondre à cela, mais elle avait bien compris que la question était rhétorique, et le moment bien trop important pour faire la maline. Car elle attendait toujours la réponse à sa question... Qui arriva sans prévenir.
Le front contre le sien, ses orbes dorées plongées dans les siennes, il répondit enfin, lui déclarant son amour en des mots qui réchauffèrent la Mositu du bout des oreilles au bout de la queue. Il récula d'un pas, et les mots semblèrent se déverser de sa gueule comme si son cerveau s'était mis en pause et que tout le reste s'exprimait enfin. La brunette écarquilla légèrement les yeux, essayant d'assimiler toutes les informtions qui lui arrivaient comme un torrent furieux. Furieux mais si agréable qu'elle voulait s'y noyer avec plaisir.

Il s'arrêta quelques instants, haletant et elle l'observa avec une intensité nouvelle. Elle l'observait avec tout l'amour qu'elle avait jusque là essayer de dissimuler. Oh non, pas cette affection chaleureuse avec laquelle elle l'avait toujours regardé, mais une tendresse nouvelle, à la fois brûlante de passion, et débordante d'un amour pur et construit sur de multiples rencontres et paroles.
Les dernières paroles du lion d'ébène arrachèrent un petit rire étranglé à la Mositu dont l'émotion lui serrait la gorge. Elle ne répondit rien, tout simplement parce que Sadaka avit réussi un exploit que lui seul semblait capable de réitérer à volonté : la laisser sans voix.

Elle s'approcha donc, et au lieu de lui répondre, lui montra plutôt. Elle lui lécha la truffe, tendrement, avant d'enfouir sa tête dans sa crinière, au creux de son encolure, respirant son odeur tant chérie. Il était si grand et si massif qu'elle avait l'impression de pouvoir se cacher ainsi contre lui et de disparaitre aux yeux du reste du monde.
Elle remonta son museau dans sa crinière, jusqu'à ce que sa truffe touche son oreille et lui confia à son tour son amour. Elle laissa son coeur s'exprimer, et remonter aux temps où ils n'étaient que lionceaux. Elle parla avec ferveur, laissant sortir l'amour qu'elle lui vouait depuis toujours, laissant sortir chacun des détails qui avaient construit ce sentiment qui l'animait.

Ils passèrent le reste de la journée ensemble, et une bonne partie de la nuit aussi. La passion et l'amour les emportèrent ailleurs, sous le regard bienveillant des étoiles et du firmament. Et lorsque le sommeil vint les quérir, Taali se blottit un peu plus étroitement contre son compagnon, la tête contre la sienne.
Et juste là, au bord du sommeil, perdue au milieu de sa crinière si sombre, elle déversa en lui la lumière qui avait emplie son coeur.

Je t'aime.

HRP: