Rester dans la jungle c’est bien. Aller voir autre chose c’est mieux ! Même si c’est quelque chose que l’on a déjà vu une fois hein, c’est pas grave, c’est génial d’y retourner. Bon, pas les marais, la boule de poils ne retournerait pas dans les marais c’est certain. De toute façon Monsieur Siri lui avait formellement interdit d’y remettre les pattes, même si un lézard tout mignon lui passait sous le museau. Pourtant il était beau le lézard la dernière fois, il aurait tellement voulu le ramener à son frère…

Mais c’est pas grave, peut-être qu’il allait trouver autre chose ! Dans la Lande il devait bien y avoir un truc intéressant, pas trop effrayant, qu’Ajjin pourrait rapporter. Le petit – enfin plus si petit que ça, sa période d’adolescent commençait à bien pointer le bout de son nez – Mositu s’était échappé avec entrain en direction de la vallée abandonnée. Il est vrai qu’une fois arrivé sur place, en dehors de cette terre rouge, il n’y avait pas grand-chose.

Il fouina à droite et à gauche, barbouillant son pelage de cette terre rouge qui lui donnait un aspect … bizarre. C’était franchement bizarre comme mélange, le brun et le rouge mais qu’importe. Ajjin ne trouvait rien. Pas même dans ce tronc mort qui lui rappela des souvenirs. L’odeur aussi d’ailleurs ! … Hein ? Comment ça l’odeur aussi ? Ajjin tourna la tête dans tous les sens pour savoir d’où ça venait et il aperçu un lionceau de son âge, proche lui aussi de l’adolescence, à la crinière noire. Par pure instinct de protection, Ajjin se cacha derrière le tronc et l’observa.

La dernière fois qu’il avait fait face à une crinière noire eh bien… Il avait hurlé, de peur bien évidemment ! Le père de Dhalahi avait quelque chose de tellement impressionnant que ça l’avait effrayé. En même temps on a pas idée de surgir comme ça… Le petit mâle, il était presque pareil. Il avait l’odeur aussi, ça pouvait venir que de lui. Ajjin hésitait franchement à venir le saluer – après tout, il ne l’avait peut-être même pas remarqué.

Mais quelque chose frappa le brun, quelque chose sous sa crinière noire. Un petit losange qu’il ne connaissait que trop bien. Enfin il l’avait vu une fois mais c’était suffisant. Il prit un peu d’élan, escalada le tronc par pure flemme de faire le tour et puis ça va plus vite aussi, manquant de se casser la figure au passage et s’élança vers l’étranger. Il s’arrêta pile en face de lui, débitant un flot de parole à la vitesse de l’éclair – pourvu qu’il comprenne :

« Bonjour ! Moi c’est Ajjin ! Dis, dis dis dis dis, t’es un ami à Dhalahi ? T’es presque tout pareil, et t’as la même marque sur ton front d’abord ! »

Un ami, parfaitement – pourquoi soupçonner un lien de parenté ? Boah, ça sert à rien, il avait une chance sur cent de se dire qu’il pouvait tomber sur son frère. Non, l’idée n’avait même pas effleuré le cerveau du petit Mositu. Enfin, on avait dit qu’il n’était plus si petit que ça…

« Tu sais, tu m’as fais peur avec ta crinière noire – la dernière fois j’ai vu un gros lion à la crinière noire, eh bah il m’a fait super peur... »

Il était même à mille lieux du lien de parenté…

Le petit lionceau brun cligna des yeux plusieurs fois. Son frère ? Il tentait de se remémorer la rencontre avec la jeune Outlander, mais n’arrivait pas à se souvenir d’un quelconque frère… Peut-être que Jekhat était au courant lui ! Bah, c’était pas grave, s’il le lionceau en face de lui l’affirmait c’est que ça devait sûrement être vrai. Et puis, c’était logique avec cette histoire de marque et tout, si bien que le Mositu hocha la tête avec un sourire avant de lui répondre :

« Je l’ai connu dans un tronc d’arbre ! En fait, c’est mon frère qui était avec elle d’abord et puis je l’ai rejoins. Elle m’a fait une grosse frayeur en plus et ça l’avait fait bien rire, comme Jekhat ! »

Il rit à cette remarque. Oh oui, son frère ne perdait jamais une occasion de faire peur à son frère & celui-ci avait beau y être habitué, il était terrorisé à chaque fois. Bon, c’est peut-être largement… Non juste un peu, exagéré mais Ajjin était le froussard par excellence. Qu’est ce qu’il pouvait y faire ? Ayant tiqué sur les derniers propos de Dahaan, le lionceau s’empressa de rectifier le tir :

« Oh non, j’ai jamais dis que ton papa était méchant. C’est juste que j’étais dans le tronc et puis je l’ai entendu, je me suis cogné et il était juste derrière moi. Alors avoir un grand lion comme ça d’un coup… Je te jure, ça fait très très peur... »

C’était juste le coup de la surprise en réalité… Mais bon, Ajjin n’avait pas été le seul a avoir été impressionné par l’adulte. Il se souvient bien que Jekhat n’avait pas ri longtemps en le voyant. Heureusement que sa mère avait été là pour les rassurer, les deux lionceaux faisaient probablement peine à voir et Dhalahi qui tentait tant bien que mal de calmer les deux frères… Joyeux tableau ce jour là ! Mais c’est vrai, l’Outlander n’avait pas été si méchant que ça. Le Mositu lança un sourire à Dahaan, il n’avait probablement pas tout compris à l’histoire du jeune brun… D’ailleurs, une idée lumineuse lui traversa l’esprit :

« Oh oh oh ! Tu sais, on a proposé à ta sœur de venir voir la jungle un jour. Peut-être que tu pourras venir avec elle, comme ça on vous montrera à tous les deux ! Je suis sûr que mon frère sera content. »

Voulant lui décrire un peu la jungle, le Mositu se dressa sur ses pattes arrières et décrivit un grand cercle avec ses pattes avant :

« La jungle c’est super grand tu verras et les arbres y’en a partout, des feuilles aussi, des buissons et des animaux bizarres parfois. J’ai même vu les marécages, bah ça sent pas bon du tout... »

Toujours avec ce même flot impressionnant de paroles. Rien ne pouvait arrêter Ajjin. Enfin presque. En même temps qu’il avait fait ses mouvements pour appuyer ses propos, le lionceau avait remarqué plusieurs tâches rouges sur ses coussinets. Intrigué il y porta attention et blêmit presque immédiatement. Il frotta énergiquement sa patte sur le sol – il n’avait pas mal, ce n’était pas normal. Regardant encore, il vit qu’il y en avait encore plus…

« Mais… Pourquoi j’ai du sang partout ? »

La panique avant la réflexion…

Rester calme, respirer, surtout ne pas se frapper une syncope dans l’immédiat ! Ajjin ne put s’empêcher de s’inspecter dans tous les sens. Mais bon sang, pourquoi il ne voyait rien ?! Il eut un hoquet de surprise quand l’Outlander saisit sa patte et souffla dessus. La poussière vola jusqu’à ses narines et le Mositu fronça du nez. Il n’eût pas le temps de remercier Dahaan qu’il se mit à éternuer plusieurs fois d’affilé.

Reprenant ses esprits en même temps que son souffle, Ajjin observa de nouveau sa patte. Plus rien ! Enfin, presque plus rien, mais c’est avec plus de gêne que de honte que le lionceau brun se rendit compte de sa bêtise et son ignorance. Il bafouilla :

« Oh… Je, euh… Pardon, j’aurai pas dû m’affoler comme ça. »

Le jeune lionceau s’assit et ramena sa queue vers lui, penaud. Il se prenait la tête pour pas grand-chose c’est vrai, mais encore une fois la précipitation avait précédé la réflexion. Cependant la réflexion de Dahaan par rapport à ses terres éveilla la curiosité du lion brun :

« C’est comme ça partout chez toi ? Tu crois que je pourrai voir un jour ? Pas longtemps, juste voir un petit peu ! Je pourrai même dire bonjour à ta sœur comme ça ! »

Envolées les idées noires et bonjour la gaieté ! Il n’en avait pas fallut beaucoup à Ajjin pour qu’il retrouver un sourire éclatant et une énergie débordante.

« Et pour la visite de la Jungle, je verrai avec mes parents et Dhalahi. J'aime bien découvrir. La Jungle doit être magnifique. »

A ces mots, Ajjin ne put qu’hocher frénétiquement la tête. Il était presque persuadé qu’il n’y avait rien de plus beau que la jungle ! En tout cas, il n’avait jamais eu l’occasion de voir quelque chose de plus impressionnant et même les histoires de ses parents n’avaient pas réussi à détrôner l’habitat du Mositu de son piédestal.

« Oh oui, c’est très beau ! Je pourrai te montrer pleins de choses là bas ! Tu penses que tes parents seront d’accord ? Ça serait tellement génial ! »

Hecate

Le lionceau écouta les dires de Dahaan sans les comprendre, si bien que ça eut l’effet de rentrer par une oreille et sortir par l’autre. Bon, y’avait des conflits et alors ? Lui n’était clairement pas concerné par tout ça, donc pourquoi se prendrait-il la tête ? Et puis la politique n’était pas vraiment quelque chose dont Ajjin se souciait. Bien au contraire. Il avait toujours connu Siri comme étant à la tête de son clan et il ne voyait pas ça changer de sitôt.

« Je ne sais pas si mes parents seront d'accord. Mon papa est très occupé ces derniers temps, je ne préfère pas lui poser la question tout de suite...  »

C’est une mine boudeuse qui traversa son visage. Son papa était décidément quelqu’un qui n’était pas à contrarier mais quand même. Il voulait revoir la sœur du jeune Outlander. Il haussa les épaules et se résigna en grattant le sol. Il attendrait. De toute façon c’est pas comme s’il pouvait autant s’éloigner de la jungle sans être accompagné.

« Chez toi, ça se passe comment ? Il y a des tensions comme sur Outland ?  »

Le jeune Mositu leva vers Dahaan un regard surpris. Comment lui dire que son monde était littéralement différent du sien ? Il hésita dans sa formulation si bien qu’il bégaya légèrement :

« Bah... Non… Monsieur Siri il est très gentil et s’occupe très bien de nous ! En plus tout le monde est gentil chez nous. Il y a pas de trône dans notre clan, enfin c’est juste Monsieur Siri quoi !   »

C’était d’une telle évidence pour lui qu’il s’embrouillait dans ses explications. Il tenta tout de même de justifier quelques points :

« Tu sais… Mon papa et ma maman m’ont raconté que le clan avait voté pour Monsieur Siri. Il a été élu chef de clan parce que c’est ce que tout le monde voulait. En plus, Monsieur Siri écoute toujours tout le monde ! Pourquoi vous faîtes pas pareil chez vous ?  »

C’est vrai ça. Pourquoi son clan se compliquait la vie si ce n’était que pour une question de dirigeant ? C’était pas compliqué de laisser les gens choisir. C’était peut-être mieux comme ça! Bien évidemment, Ajjin savait que le clan des Mositus avait été scindé en deux à partir de ce moment là. Mais il n’avait jamais vraiment compris pourquoi ni ce qui était arrivé aux autres… Peut-être devrait-il poser la question à ses parents.

« Tu sais, ce n'est pas moi qui décide. Mais ça a l'air de bien marcher, vos élections. En fait, chez nous, le Trône est héréditaire. Si le Roi ou la Reine a plusieurs enfants, c'est le premier né qui est destiné à régner plus tard. Et ainsi de suite. Donc en fait, tu dois accepter ton futur Roi ou ta future Reine, qu'il/qu'elle ne te plaise ou non. Heureusement, Tahani est quelqu'un de bien. »

Les oreilles d’Ajjin s’agitèrent doucement. Il ne comprenait pas bien l’utilité de ce système et le trouvait en fait terriblement idiot sous certains angles. En fait il aurait voulu contester chacune des petites phrases que prononçait Dahaan. Aussi alors que le fils de Chombo avait terminé de lui expliquer, Ajjin prit un air un peu penaud avant de déclarer :

« Mais… C’est pas logique… Parce que si vous, vous ne l’aimez pas c’est pas bon pour le clan. En plus, si ça se trouve, l’héritier dont tu parles il a même pas envie de diriger le clan ! »

Dahaan venait de complexifier un peu plus la vision des autres pour Ajjin. Pourquoi les autres clans se prenaient-ils autant la tête ? Chose qu’il devrait sans doute éclairer avec l’aide de ses parents… Est-ce que c’était pareil avant Monsieur Siri aussi ?

« Bref... La prochaine fois, j'emmènerai Dhalahi et Daeni avec moi, comme ça tu pourras les voir. Et tu peux peut-être amener ton frère et ta sœur, toi aussi ? »

Le changement de sujet fut brusque, tout comme le changement d’expression d’Ajjin qui avait retrouvé un large sourire. La sœur de Dhalahi aussi ? Oh que ce serait génial ! Le petit lionceau brun hocha vigoureusement la tête en signe d’approbation. Il était certain que si c’était pour rencontrer et revoir Dhalahi, Jekhat et Heshima serait plus que d’accord !

« Je les amènerai, c’est promis ! »

« Moi, en tout cas, je ne vais pas tarder à rentrer, je ne veux pas que mes parents se fassent du soucis. »

Son sourire se fit plus petit mais il ne le perdit pas pour autant. Il était juste un peu déçu que cette entrevue se termine aussi vite. Mais il avait raison et ne devrait probablement pas tarder à devoir rentrer lui aussi.

« Tu dira à Dhalahi que tu m’as vu, hein ? Oublie pas ! »

Si seulement petit lionceau il avait su qu’il ne la reverrai pas de sitôt…

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