Le soleil tapait particulièrement fort en ce jour, dans le vaste Désert. La saison sèche se faisait sentir, il n'y avait plus aucun doute là dessus. Le Mochanga s'était par ailleurs asséché, ce qui avait énormément attisé la curiosité de Jalan. C'était la première fois qu'il assistait à ça, ou du moins, la première fois qu'il était assez grand pour comprendre le phénomène, et cela ne manquait pas de le fasciner. Sa mère lui avait expliqué qu'ils allaient devoir bien plus marcher pour trouver de l'eau, et qu'il allait donc falloir l'économiser. Par chance, les Jangowas avaient une très bonne mémoire et avaient, au fil des générations, retenus les locations des oasis où ils pouvaient s'arrêter pour s'abreuver. Mais pour l'heure, Jalan rôdait près des rives du fleuve desséché, étrangement attiré par ce spectacle. L'endroit paraissait bien plus lugubre à présent, et cela l'intriguait. Il était cependant un peu fâché, il n'allait plus pouvoir raconté la fameuse (et totalement imaginée) fois où il avait failli se noyer dans le Mochanga et où il avait survécu en s'accrochant à la queue d'un fennec qui passait par là. Peut-être pourrait-il trouver une nouvelle histoire à raconter, bien plus épique, en rapport avec le manque d'eau ?

Jalan s'assit face à la rive, et se mit à réfléchir. Il finirait bien par avoir une idée ! Voyons... Il pourrait raconter qu'il s'était égaré et, ne trouvant pas d'eau pendant plusieurs jours, qu'il avait du creuser dans le sol pour trouver une minuscule flaque d'eau qu'il avait léché pendant des heures ? Cela manquait d'action à son goût, ce n'était pas assez impressionnant. Ou alors, alors qu'il était perdu et qu'il n'avait pas bu pendant plusieurs jours, un vautour - non, deux vautours ! - l'avaient poursuivis à travers le Désert. Cette histoire lui plaisait bien plus, elle impressionnerait sans doute les petites lionnes à qui il faisait parfois les yeux doux. Jalan était encore trop jeune pour envisager sérieusement l'idée d'une compagne, il aimait seulement que les filles le regardent. Il songeait au moment où il partirait en exil, puis lorsqu'il rentrerait, et que tous les regards seraient tournés vers lui ! Quelle gloire, quelle fierté ! Et il aurait une belle crinière ! Enfin... Il l'espérait en tous cas. Les lionceaux de son âge commençait à avoir une touffe sur leur crâne, mais pas lui, ce qui l'inquiétait un peu. Son père l'avait rassuré, en lui disant que cela finirait par venir, qu'il devait être patient, mais ce n'était pas facile !

Le petit mâle soupira. Peut-être qu'il avait un problème, qu'il n'était pas comme les autres lions. Peut-être qu'il n'aurait pas de crinière ! Pas du tout ! Jalan déglutit difficilement. Cette idée ne lui plaisait absolument pas. Non non, il aurait sa crinière, comme les autres, il devait juste être patient, voilà tout. Patient.

Le lionceau serait sans doute resté perdu dans ses pensées encore un moment, s'il n'avait pas aperçu une silhouette s'approcher des rives du fleuve asséché. Il se tourna, curieux, et vit un vieux lion, qu'il lui semblait connaître de nom. Il s'agissait de Dakkar, l'un des doyens du clan. On racontait qu'il n'avait pas eu la vie facile, et qu'il s'était écarté des autres. Effectivement, Jalan le voyait souvent seul. Sans doute n'aimait-il pas la compagnie, mais cela n'arrêta pas le jeune lion, qui se dirigea vers lui d'un pas joyeux. Il aimait bien parler aux adultes, pour raconter ses histoires et écouter les leurs. Les grands avaient toujours des choses à raconter, ils avaient beaucoup vécu.

- Bonjour m'sieur Dakkar ! lança-t-il en s'approcha du vieillard. Vous faites quoi ici m'sieur Dakkar ? Vous venez voir le Mochanga ? Vous avez vu, il est parti ! Y'a quelques jours encore il était là et puis... Pouf ! Parti. C'est drôle, pas vrai m'sieur Dakkar ?

Lorsqu'il s'y mettait, un peu emporté par son envie de se faire bien voir, Jalan pouvait être vraiment pénible. Il fallait espérer que le vieux lion soit clément, même si son regard sévère semblait indiquer le contraire...

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Le vieux lion tourna la tête vers le petit enfant, visiblement surpris d'être abordé. Peut-être espérait-il être tranquille, et seul, mais Jalan ne s'en préoccupait nullement. Il restait convaincu d'être dans son bon droit. Il n'avait fait de mal à personne après tout ! Cependant, l'expression de Dakkar avait quelque chose d'intimidant, il devait le reconnaître. Ses sourcils semblaient fait pour être froncé, et son corps presque squelettique lui donnait l'allure d'un revenant. Il n'avait pas l'air bien puissant, et d'un âge avancé, et pourtant, Jalan ne lui aurait pas cherché des puces, même s'il avait été adulte. Il devait savoir se défendre, cela ne faisait aucun doute ! Le lionceau ne détourna pas le regard, malgré la pression, et attendit que le vieillard ait fini de l'observer méticuleusement. C'était la première fois qu'il allait lui parler, sans doute Dakkar ne connaissait-il même pas le nom de l'enfant, mais cela n'avait pas grande importance. Jalan se ferait une joie de se présenter.

- Bonjour, Enfant des Sables.

Enfant des sables ? Voilà un sobriquet qui plaisait au lionceau ! Son sourire s'élargit. La voix du vieux mâle était enrouée, comme si des cailloux avaient élus domicile dans sa gorge. Il ne devait pas parlé souvent, pour avoir ce timbre. Pourquoi restait-il tout le temps tout seul sans dire un mot ? Jalan se le demandait bien, mais quelque chose lui empêchait de poser la question. Comme s'il se doutait qu'une sinistre vérité se cachait derrière ses interrogations, et qu'il ne se sentait pas prêt à y faire face. La curiosité était grande cependant, il craquerait sans doute, d'ici la fin de sa discussion.

- C'est là le pouvoir même du Désert ; mettre à genoux la vie et la faire plier comme bon lui semble. L'eau reviendra, n'ai crainte.

Les oreilles de Jalan s'agitèrent, signe de sa perplexité. Il n'avait pas tout compris dans le discours de Dakkar, ce dernier utilisait des mots drôlement compliqués ! Mais il y avait dans ses paroles une force qui avait interpellé le lionceau, sans qu'il sache réellement pourquoi. Le vieux mâle avait l'air de savoir bien des choses, sa sagesse se lisait dans ses prunelles d'or, même un enfant pouvait s'en rendre compte. Il était un peu impressionné par cette figure qui se tenait en face de lui. Les vieux Jangowas étaient rares, la plupart mourrait avant d'atteindre un âge avancé, à cause d'une bagarre de trop, ou de la cruauté de la vie dans le Désert. Ceux qui ne pouvaient plus subvenir à leur besoin n'étaient aidés que par ceux qui le voulaient bien, et certains préféraient abandonner leur parents à leur sort. Jalan ne pouvait s'empêcher de se demander comment Dakkar faisait pour survivre tout seul, à son âge. Peut-être pouvait-il encore chasser seul, mais cela ne durerait pas. Il écarta ses pensées pour se concentrer sur la conversation, et répondit, en essayant de prendre un ton sérieux :

- Ma maman dit que la Saison Sèche rend les Jangowas plus fort, car elle met notre courage et notre détermination à épreuve. Ceux qui n'y survivent pas sont des faibles, indigne de vivre dans le Désert.

Les faibles sont pitance et les forts s'emplissent la panse. Voilà le genre de phrase que le lionceau entendait à longueur de journée, de la part de ses deux parents, des guerriers, des nourrices. La mentalité du clan était sévère, mais, comme le disait sa mère, c'était grâce à cet état d'esprit qu'ils avaient réussi à survivre dans le Désert, envers et contre tout. Jalan vivait entouré par cette mentalité, elle le berçait, le faisait grandir. Plus tard, il enseignerait ce mode de vie à ses enfants, et, de génération en génération, l'idéologie Jangowas se transmettait, tout comme elle s'était transmise jusqu'à lui.

- Et ma maman elle dit qu'il faut pas rester tout seul dans le Désert pendant la Saison Sèche, que la force des Jangowas est dans leur unité. Pourquoi vous restez dans votre coin ? demanda-t-il innocemment.

Il y était, finalement, à sa fameuse curiosité. Il espérait naïvement ne pas avoir mal agi en questionnant Dakkar aussi franchement, mais cela lui avait échappé. Il voulait savoir, juste savoir, pourquoi ce vieux lion ne parlait à personne, et pourquoi il avait l'air si grave.

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Devant l'ait quelque peu dubitatif de Jalan, le vieux lion sembla reconsidérer ses paroles. Il ne devait pas être habitué à parler à un enfant, dont l'esprit encore simple et le manque de vocabulaire l'empêchaient de comprendre le sens de sa tirade. Le lionceau était cependant content que Dakkar ne le traite pas comme un ignorant, un gamin stupide incapable d'observer le monde avec intelligence. Les adultes méprisaient souvent les petits, surtout dans le Désert, où on était considéré comme un vrai Jangowas le jour où on avait prouvé sa force. Jalan était encore loin d'avoir réalisé des prouesses, mais lorsqu'il reviendrait d'exil, il aurait sa place au sein du clan, il serait un vrai guerrier comme son père, son grand père, et tous ceux nés avant lui.

- Le Désert seul choisit qui est digne de vivre en son sein et à qui il donnera sa bénédiction. Qu'ils soient petits, grands, faibles ou forts, ce n'est pas une chose que les lions sont en droit de décider.

Le jeune mâle écouta avec attention les mots de son interlocuteur. Quelques notions lui échappaient encore, mais il lui sembla comprendre ce que voulait dire Dakkar, et cela le déstabilisa quelque peu. Le désert était le seul maître de leur destin, et quoi qu'ils fassent, ils ne pouvaient échapper à sa puissance. Mais alors, quel pouvoir avait-il sur leur vie ? Ceux qui accomplissaient de grandes choses étaient-ils au même rang que les lâches et les bons à rien ? Voilà qui était contraire à la mentalité des Jangowas, ces derniers cherchaient toujours à prouver leur valeur, par la force et le courage. Dakkar considérait-il que tout cela ne servait à rien ? Qu'il était inutile de se battre puisque leur destin était déjà tout tracé par le désert ? Shekh, le père du lionceau, serait sans doute furieux que son fils écoute de tels propos, lui qui l'encourageait sans cesse à donner le meilleur de lui-même. La voix du vieux lion interrompit le fil des pensées de Jalan, les yeux de ce dernier s'étant perdu dans le vague.

- Enfant des Dunes, toi qui connait mon nom et pose pourtant cette question, que t'a-t-on dit de moi ?

Les oreilles du petit lion s'agitèrent et il ouvrit la gueule pour répondre mais la referma aussitôt. Qu'avait-il le droit de dire ? En temps normal, Jalan n'avait aucune crainte à parler sans hésitation, mais Dakkar l'impressionnait, il ne voulait pas le mettre en colère. Il se souvint de la première fois qu'il avait entendu parler de lui, cela remontait à quelques temps en arrière. Il avait entendu ses parents parler d'un Jangowas solitaire, qui errait seul dans le désert, et il n'avait pas pu s'empêcher de les questionner. Sa mère lui avait alors expliqué que le concerné, le fameux Dakkar, avait délibérément choisit de s'éloigner du clan. Jalan avait bien sûr demander pourquoi, mais n'avait pas eu grandes réponses. Sa mère lui avait seulement dit "Dakkar a connu un grand chagrin, et il s'est laissé terrassé par la douleur." Il n'avait pas pu en apprendre davantage. Plus tard, il avait demandé à ses parents de lui montrer qui était ce fameux lion, et il avait eu l'occasion de l'apercevoir, près d'un point d'eau. Il avait quelques fois entendu les membres du clan parler de lui, certains avec une relative compassion, et d'autres avec mépris. Jalan, lui, était impressionné qu'un lion décide de vivre seul dans le désert. Il décida donc de répondre le plus honnêtement possible, en mettant de côté les remarques acerbes de certains.

- Ma maman m'a dit que vous aviez connu un grand chagrin et que c'était pour ça que vous restiez loin du clan. Mais... Elle n'a pas voulu me dire ce que vous aviez vécu exactement.

Il se tu quelques instants, se demandant s'il allait s'attirer des ennuis. Peut-être aurait-il du se contenter de fanfaronner sur des récits imaginaires qu'il avait créé de toute pièce, comme d'habitude. Mais pourtant, sa curiosité avait pris le dessus. Il se rappela qu'il ne s'était pas présenté, et s'écria, avec un grand sourire :

- Au fait, moi c'est Jalan, fils de Shekh et Izat ! Et futur grand guerrier Jangowas !

Le lionceau bomba fièrement le torse, espérait impressionner le vieux lion de par son assurance. Il n'avait cependant pas oublié ses interrogations, et priait pour que Dakkar daigne éclairer sa lanterne.

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Le vieux lion sembla soudainement happé par un ancien souvenir suite aux paroles du lionceau. Son regard se perdit dans le vague, et ses prunelles exprimaient une souffrance que Jalan ne pouvait comprendre. Peut-être ne le pourrait-il jamais, car il faudrait vivre un grand malheur pour réaliser la douleur que Dakkar éprouvait. Un lionceau n'avait, heureusement, aucune notion de cette peine là. Peut-être un jour le Désert réserverait quelques tourments au petit mâle, mais il fallait espérer qu'il ne connaisse jamais pareil maux que ceux que le vieillard avait traversés. Jalan était toutefois curieux de savoir ce que son interlocuteur avait vécu pour être si sombre et solitaire. Beaucoup de Jangowas étaient d'allure sinistres, l'heure n'était pas souvent à la rigolade, mais la plupart restait soudé, fidèle et loyal au clan, quoi qu'il en coûte. Comment pouvait-on en venir à tourner les dos aux siens ? Le lionceau ne croyait pas vraiment aux belles valeur de l'amour et de l'amitié, mais il croyait en la force du groupe. Dakkar ne semblait pas partager ces convictions, qui faisaient pourtant la puissance des Jangowas. Mais, était-il encore seulement un Jangowas, ou une simple âme en peine, errant sans but entre les dunes ?

- Cela est vrai, et pour cela je me tiens loin des lions en lesquels je n'ai plus ni foi ni confiance. Loin de leurs lois, loin de ce à quoi ils aspirent. Là seulement je n'ai plus ni roi ni maître, seul un dieu en lequel j'espère.

Le jeune félin ouvrit de grands yeux, effaré que l'on puisse tenir un discours aussi noir. Il n'était pas sûr d'avoir tout compris, mais il voyait bien que son interlocuteur ne voulait plus appartenir au clan. Quelle idée saugrenue ! Appartenir aux Jangowas était une fierté, un honneur ! Être membre du plus grand et plus vaillant Clan de la Terre des Lions, voilà qui avait de quoi donner du baume au cœur. C'était en tous cas avec cette pensée que Jalan s'éveillait chaque matin et s'endormait chaque soir, bercé par les histoires de grandes batailles racontées par sa mère. Pourquoi Dakkar se défiait-il de ses congénères ? Cette attitude ressemblait en tout point à cette d'un traître bien connu : Hatari, le félon du Désert. Jalan ne l'avait jamais vu de ses propres yeux, mais il savait que c'était lui qui avait tué Chenko, le vieux général de légende. Jadis, Hatari était un Jangowas, comme les autres, mais le jour de la bataille qui chassa les Mositus du Désert, le traître révéla sa vraie nature et se plaça du côté des lions bruns. Il fut par la suite chassé du Clan, mais revint à plusieurs reprises entre les dunes pour narguer son ancienne patrie. Vako s'était montré trop tendre avec lui mais il avait finit par prendre les choses en mains et avait envoyé un groupe de guerrier, mené par Chenko, pour le traquer et le tuer. Pour l'heure, les Jangowas n'avaient pas eu de nouvelle du groupe, si n'est pour apprendre que le vieux général avait été tué.

Dakkar était-il comme Hatari, un danger pour le clan ? Cela semblait peu probable, c'était un vieux lion, à qui pouvait-il bien faire du mal ? Jalan réalisa alors que, même si Dakkar n'était plus tout jeune, il ne ferait qu'une bouchée d'un enfant tel que lui.Il venait de donner son identité ainsi que celle de ses parents à ce vieillard étrange et solitaire. Peut-être était-il fou ? Peut-être allait-il lui faire du mal ? Le jeune félin aurait du ressentir de l'inquiétude, mais pourtant... Pourtant il n'avait pas peur. Dakkar n'avait vraiment pas l'air méchant. Il était un très mauvais Jangowas, cela ne faisait aucun doute et les idées qu'il transportait horrifiait Jalan, mais il ne lèverait pas la patte sur lui, il en était sûr. Le lionceau ignorait d'où lui venait cette confiance, mais il la ressentait en lui, comme une certitude absolue.

- Grand guerrier. Ces deux termes ne vont guère ensemble. Tu peux être grand et accomplir de grandes choses. Un guerrier n'est qu'un tueur avec un sobriquet plus honorable. Je ne l'ai compris que bien tard.

Une fois encore, les paroles du vieux lion ne ressemblaient en rien au discours des Jangowas normaux. Le petit lion ne pouvait approuver de tels propos, il était plutôt scandalisé, mais d'un autre côté, il avait de la peine pour Dakkar. Il trouvait cela triste d'être aussi seul et aigri, d'avoir abandonné l'espoir et la force qui faisaient la renom du Clan. Au fond de lui, Jalan voulait aider le vieillard, remettre une étincelle de vie dans ce regard morne. Mais comment faire ? Il n'était qu'un enfant sans grand pouvoir, et ses idées allaient à l'encontre de celles de Dakkar. En répliquant, il risquait plutôt de l'énerver - bien qu'il imagina mal le vieillard sortir de ses gongs. Il ne pouvait toutefois pas rester là sans réagir alors que son interlocuteur salissait le nom de ceux qu'il admirait depuis toujours ! Il devait bien dire quelque chose ! Jalan secoua la tête et répondit, sûr de lui :

- Un guerrier protège le Clan ! Si nous arrivons à survivre dans le Désert, c'est parce que nous sommes les meilleurs guerriers ! On peut battre n'importe qui ! Mais si on arrête de s'entraîner, on deviendra mou et faibles, comme les autres Clans.

C'était les mots que son père lui avaient dit un jour, du moins quelque chose comme ça. L'idée était là, une idée qui traversait les générations depuis longtemps, depuis la naissance des Jangowas. Et tant que ce genre d'idée serait préservé, le Clan continuerait d'exister, toujours plus fort et plus grand. Jalan repensa à ce que Dakkar avait dit sur le fait de tuer, et révéla le fond de sa pensée à son tour :

- Si on ne tue pas, comment on fait pour trouver à manger ? On est bien obligé ! On est pas comme ces stupides vautours qui ne font que voler la nourriture des autres ! Et puis, si un ennemi entre sur nos terres, il faut bien le punir ! Enfin, s'il est sans défense, c'est sûr qu'il vaut mieux le chasser mais s'il veut nous faire du mal, on doit le tuer. Tuer un ennemi, c'est un honneur !

Un étranger aux mœurs bien différentes aurait sans douté été choqué d'entre pareil discours dans la bouche d'un enfant, mais chez les Jangowas, c'était une chose normale, positive même. Les lionceaux apprenaient dès leur plus jeune âge à respecter les lois du Clan et la dureté de leur mode de vie. Sans cela, les Jangowas perdraient ce qui faisait leur essence, leur nature profonde. Vako avait essayé de changer les choses, mais il avait compris que c'était impossible. On ne pouvait forcer un rocher à changer de forme, à moins de le détruire.

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Devant le ton implacable du lionceau, le vieux mâle sembla d'autant plus fixé sur ses positions. Les deux félins, symboles de deux générations qui se confrontaient, chacun persuadé de détenir la vérité, et ainsi incapable d'écouter la vision de l'autre, s'observaient, l'un avec fougue et l'autre avec calme. Jalan était réellement sidéré par les paroles de Dakkar, il lui était impossible de comprendre comment un Jangowas pouvait en venir à renier à ce point la mentalité du Clan. Il n'était pas étonnant que le vieux lion vive seul, loin de ses semblables. Peut-être était-ce mieux ainsi. S'il s'amusait à déclamer au milieu des autres sa manière de pensée, il finirait sans doute très mal. Les Jangowas n'étaient après tout pas connu pour leur qualité d'écoute et leur compromis.

- Qu'en sais-tu, Enfant des Sables ? Aurais-tu déjà vu en action les membres d'autres clans durant des affrontements avec les jangowas pour t'estimer ainsi en mesure de juger de leur force ?

Cette fois, en plus d'être sous le choc, Jalan ressentait de la colère. Ce n'était pas une fureur rationnelle et explicable, c'était même assez illogique. Mais Dakkar s'attaquait là au fondement de la mentalité du Clan, à la base de toute leur croyance. Les lions du Désert se pensaient - se savaient - supérieur aux autres, de part leur courage et leur force. Ils n'avaient pas besoin de rencontrer les autres Clans pour le savoir, c'était un fait ! Cette idée se transmettait de générations en générations, tout comme l'honneur et la fierté. Cela remontait à l'époque où les Mositus habitaient encore l'Oasis Oublié, temps révolu depuis de nombreuses années. Depuis qu'ils avaient été chassé, à deux reprises, les Jangowas n'avaient plus été en guerre contre qui que ce soit, et ils se satisfaisaient très bien de leur tranquillité. Et pourtant, malgré leur isolement, les habitants du Désert se considéraient comme les meilleurs, et estimaient ne pas avoir besoin de prouver cette supériorité. Pourquoi Dakkar cherchait-il à la contester ?

- Mon enfant, viendra un jour où tu atteindras l'âge où l'on se souvient d'être maître d'une raison ; et ce jour-là peut-être te remémoreras-tu ce que t'avait dit un vieux lion, il y a bien longtemps de cela.

Jalan regarda le vieux lion avec suspicion et perplexité, arrivant très difficilement à croire qu'il pourrait un jour penser comme lui. Il était un Jangowas, par le Désert ! Il était né pour devenir un guerrier, se battre, tuer, et se rendre honorable de cette manière. Il n'y avait pas d'autres finalités, pas d'autres futurs envisageables. La vie du lionceau était comme déjà toute tracée, et cela lui convenait parfaitement. Il ne stagnerait peut-être pas au rang de simple guerrier toute sa vie, il parviendrait à s'élever s'il s'en donnait les moyens. Mais devenir un excentrique aux idées farfelues, reniant ce qui faisait l'essence même de leur Clan... Ça jamais ! Il ne savait que répondre, ne voulant pas s'attirer des ennuis, et ayant la sensation que quoi qu'il dirait, cela ne changerait rien, il garda le silence. La situation aurait pu devenir très gênante si la voix d'Izat ne s'était pas fait entendre, au loin, appelant son fils. Les oreilles du lionceau se redressèrent et il soupira, soulagé.

- Ma maman m'appelle, il est l'heure de rentrer. Je euh... Au revoir Monsieur Dakkar.

Et sur ce, il décampa sans demander son reste, impatient de s'éloigner de ce drôle de ce spécimen. Plus tard, peut-être réaliserait-il la sagesse des paroles du vieux lion, mais pour l'heure, il voyait juste un illuminé qui s'était détourné des voies du Clan, représentant davantage un danger qu'une source d'admiration.


[Je propose qu'on s'arrête là ! Merci pour ce RP, fort déstabilisant pour ma boule de poil l]

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