l'Heure du Goûter

Réservé à Khalakka

Elijah était une véritable gamine, du moins, il lui arrivait de l'être. Comme un chaton devant son nouveau jouet inaccessible la lionne blanche était posée devant la rivière, le regard planté sur une pauvre petite alouette brune qui s'accrochait à la vie aussi bien qu'elle s'accrochait à la vieille souche qui peinait à se tenir en plein milieu de l'eau. L'oiseau blessé se fondait à merveille avec les couleurs du vieux tronc, il avait fallu un œil de lynx pour l'apercevoir ou bien - dans le cas d'Elijah - s'ennuyer au point de se mettre à compter chaque coup de dents que les sauriens avaient laissé sur la vieille souche jusqu'à rencontrer la silhouette frêle de l'oiseau.
Maintenant que la proie était localisée il fallait impérativement trouver un moyen d'y parvenir. Au delà de faire la lionne superficielle, refusant de se salir les pattes dans l'eau vaseuse de la rivière, il y avait le facteur crocodile qui était loin de rassurer la blanche qui se mit même à faire les cent pas sur la berge, ne perdant pas des yeux le petit être qui devait surement commencer à bénir les crocodiles. A plusieurs reprises, la lionne avait mimé s'élancer pour finalement abandonner lorsqu'elle vit le regard des reptiles se tourner en direction de sa personne, un peu trop intéressés. Il ne lui restait plus qu'à trouver une autre idée que la nage pour passer, donc.

Il y avait bien des rochers posés çà et là dans le cours d'eau qui lui permettrait de traverser, mais jusqu'où? De plus les crocodiles étaient du genre trompeur: Leur dos écailleux pouvait rapidement donner l'impression d'être tantôt une tronc flottant, tantôt un vieil amas de pierre. Elijah se risquait donc à perdre une patte pour la simple envie - futile qui plus est - de gouter à la chaire de ce minuscule petit oiseau qu'était l'alouette brune.

Bien heureusement, la vie - et la providence - lui avait amené un jeune camarade qui pouvait tout tenir le rôle de caillou, d’échelle ou de quoique ce soit d'utile pour atteindre son but: Khalakka, ce très cher petit bossu, serait - s'il y mettait du sien - fabuleux outil pour attraper le gouter d'Elijah.

- Khalakka! L'avait-elle interpellé de sa voix mielleuse alors que la silhouette du jeune mâle se dessinait à peine. Elle envoya gracieusement l'antérieur pour lui donner l'élan de trottiner gaiement dans la direction du dit Khalakka. Elle était très aérienne dans sa démarche et en particulier quand elle avait quelque chose à demander. Khalakka, mon chéri, sois un chou et ramène ta tête de pavé par ici, j'ai justement besoin d'un affreux petit bonhomme pour faire office de passerelle. Ou bien d’appas. Bien évidement au fur et à mesure que les mots allaient, la douceur dans sa voix se changea lentement en une légère véhémence. C'était beaucoup trop demandé à Elijah que d'être agréable en tout temps.

C'était presque ronronnante que la femelle était arrivé aux flancs du jeune intéressé, contre lesquels, tactile, elle s'était frottée avant de lui tourner autour. Bientôt on l'aurait entendu chantonner ou siffloter comme un joyeux petit canari. La blanche savait avoir l'air agréable mais elle ne savait définitivement pas l'être.

- Comment ça va, petit monstre? Lui avait-elle demandé sans vraiment s'en soucier, c'était une formule de politesse quelconque avant qu'elle ne pousse de son épaule l'arrière train du monstre pour le presser sur les berges. Il n'était définitivement plus le petit lionceau qu'elles avaient recueillis avec ses sœurs, Khalakka avait grandit et pesait maintenant son poids. Aller, mets-y un peu du tiens! Aide donc cette très chère lionne qui t'as sauvé la vie, une fois. Si ce n'était pas de l'humour Khalakka aurait clairement pu en rire comme si ça avait été la blague de l'année. Parler de sauvetage quand on rechigne à s'occuper d'un pauvre lionceau abandonner, c'est gros. C'est même énorme, tout autant que le culot de la femelle.

Immédiatement et sans surprise, Khalakka ne s'était pas montré coopératif, écrasant lourdement son arrière train sur le sol pendant qu'Elijah avait manqué de perdre son équilibre en un ridicule vacillement de nouveau né. Ses deux prunelles de glace s'étaient grande ouvertes soudainement sous le coup de la surprise.
Comme à d'habitude, les échanges des deux félins étaient d'une douceur infinie, l'amour que se portaient l'un et l'autre se ressentait pleinement à travers des paroles sucrées et affectueuses. La mine renfrognée, surtout quand elle s'était vu comparée à- puis destituée par un buffle. Acclimatée à ce genre de remarque, Elijah finissait même par les apprécier mais s'efforçait de jouer la pimbêche outrée pour donner l'illusion que les mots l'atteignait.

- Petit con. Avait-elle donc grommelé à voix basse en tentant de trouver un moyen moins fatiguant de déplacer l'énorme charpente difforme du jeune mâle. Elle lui avait tourné autour une première fois, puis une seconde fois pour se remettre à pousser son jeune protégé en appuyant son épaule contre son dos.

- Et, puis-je au moins savoir pourquoi je dois donner de ma personne ? Surtout près de la Rivière des Crocodiles, tu dors si bien que cela pour rêver un tapis en beau de croco ? Elle s'était écrasé minablement sur le sol poussiéreux lorsque Khalakka se releva sans prévenir.

- Humpf! Suivit d'un grognement sourd, visiblement la lionne blanche n'avait pas apprécié qu'on vienne lui faire mordre la poussière et lui salir sa belle toison claire. C'est une descente de lit en peau de bossu dont je rêve, là, maintenant! Avait vociféré la mégère qui, en recherche d'assurance que son goûter était toujours dans le coin, avait jeté un coup d’œil en direction de la vieille souche qui trônait au dessus de la rivière.

- Écouté moi bien, face de roc... Là elle s'était rapproché de lui et n'avait pas manqué de s'ébrouer tout contre lui, envoyant la poussière qu'il lui avait fait mordre en plein dans son visage - du moins l’espérait t-elle -. Pour entretenir mon énorme cul - elle avait levé les yeux au ciel en se pinçant la lèvre, affolée de s’apercevoir qu'elle l'avait admis devant lui - il me faut impérativement ma petite collation. Et cette collation - Elle lui attrapa la face entre ses griffes pour la lui retourner en direction du petit oiseau - la voici, tronche de pioche.

- Maintenant il reste un petit problème, tes amis les descentes de lit en écaille. Entre créatures difformes vous devriez vous entendre à merveille. Elle avait tenté de le pousser juste au bord de la rive, quitte même à l'envoyer dans l'eau. Aller, va donc nager un peu avec tes semblables!