Le soleil se levait sur Prideland. Lentement, l'astre solaire émergeait de l'horizon, inondant la savane de ses chauds rayons dorés. Il couchait sur le paysage, encore triste et désolé après le passage des Nyeusis, une multitude de couleurs et parait monts et vallées de chatoyantes teintes, rappelant ainsi la Prideland d'avant les Nyeusis... Et la Prideland qui se relèverait un jour, lorsqu'elle se serait remise des ravages causés par les terribles lions noirs.
Cette vision réchauffait le cœur de la vieille lionne grise couchée au bout du Rocher de la Fierté. L'aube faisait partie de son moment préféré de la journée, et cette aurore ne dérogeait pas à la règle. Pleine de promesses, elle rappelait à tous que malgré les morts, malgré la douleur, malgré l'horreur, la vie continuait. Les blessures seraient pansées, la nature reprendrait ses droits. Le cycle de la vie n'avait pas été brisé, seulement momentanément interrompu.
Mais cette pensée, réconfortante entre toutes, rappelait à Uzazi une réalité moins douce mais tout aussi réelle. Elle se faisait très vieille, et bientôt, elle le savait, elle rejoindrait ses ancêtres. L'ancienne exilée n'avait pas peur – sans doute l'âge finissait par apporter à l'esprit une sagesse et une sérénité qu'il répugnait à accorder à la jeunesse. Elle ne craignait pas la mort, mais elle savait ce que sa disparition signifierait, et ce qu'elle devait faire. Si Uzazi ne se réjouissait pas à cette idée, son cœur était ferme et résolu, sa décision arrêtée. Elle devait raconter la vérité à sa fille. Parler à Mina de son passé, de ses jours d'exilée, de son fils Azari.
La jeune lionne était pleinement adulte maintenant, pourtant elle ne savait rien encore, n'en soupçonnait rien. Et désormais, Uzazi ne pouvait prétexter qu'ils avaient mieux à faire ailleurs. Oui, la reconstruction serait longue et acharnée, mais plus que d'efforts des félins qui y vivaient, c'était de temps et d'eau dont avait besoin la terre de Prideland, chose qu'aucun lion ne pouvait faire sortir de sous sa patte. Il était temps que Mina sache, Uzazi le savait. Le temps des secrets était révolu.

La lionne gris sombre resta encore quelques temps étendue, immobile, sur le Rocher, regardant le soleil s'élever lentement dans le ciel. Quand celui-ci fut suffisamment haut, Uzazi se leva doucement, ménageant ses membres quelque peu endoloris d'avoir longtemps conservé la même position. Elle marcha vers la grotte où vivait le clan.
En s'approchant, elle entendit un bruissement de vie qui montrait que les Pridelanders se réveillaient. Quelques voix, un rire. La lionne aux iris écarlate passa sous la voûte rocheuse et avança vers l'endroit où sa fille et elle avaient passé la nuit. Évoluant avec lenteur mais sans difficulté, elle salua ici et là quelques compagnons de clan.
Enfin elle fut près de Mina. Elle salua la jeune lionne d'un affectueux coup de museau et d'un coup de langue sur le sommet du crâne.

- Mina, ma chérie, tu peux venir avec moi? Je dois te parler.

Sur ces paroles énigmatiques, sans doute intrigantes pour la lionne fauve, les deux femelles se dirigèrent vers l'extérieur avant de descendre dans la savane, juste au pied du Rocher. Les secrets n'ont que trop duré. Uzazi le savait bien, les secrets étaient faits pour être découverts... Elle espérait simplement que la lionne fauve pourrait la pardonner de son long silence. Mais quelles que soient les conséquences, il était plus que temps que Mina apprenne la vérité sur sa mère. C'était l'une des dernières choses qu'il lui restait à faire... avant de quitter ce monde.

Lorsque les deux lionnes se figèrent, elles étaient totalement seules. Ce n'était pourtant pas comme s'il s'agissait là d'une nouvelle incroyablement confidentielle: personne n'en parlait ces derniers temps, vu tout ce qui s'était passé plus récemment avec les Nyeusis, mais les plus anciens membres du clan connaissaient l'histoire et certains en avaient parlé à leurs cadets. Mais ce n'était pas ce qui avait poussé l'ancienne exilée à chercher un endroit calme et isolé. Uzazi souhaitait que rien ni personne ne les interrompe. Il était temps de cesser de reculer devant l'inévitable.

- Maman...? La voix de sa fille, douce mais légèrement inquiète, la ramena à la réalité. Qu'est-ce qui se passe? Qu'as-tu donc à me dire de si important? Tu n'as pas à avoir peur tu sais, tu peux tout me dire.

La vieille lionne eut un pauvre sourire et rendit à Mina son geste affectueux. Puis elle recula de quelques pas et reprit un visage sombre. Ses yeux plongeant dans ceux de son enfant, elle prit une grande inspiration et ouvrit la gueule. Sa bouche était sèche et elle ne savait comment commencer, par où commencer.
Enfin, avec une certaine hésitation, elle se lança.

- Mina, tu sais que... je ne t'ai jamais tout raconté sur moi-même, sur mon passé. Au départ, j'avais peut-être de bonnes raisons de le faire, mais maintenant ce ne sont plus que des excuses invalides.

Elle secoua la tête avec tristesse. Depuis des années, elle aurait pu raconter la vérité à Mina. Elle l'aurait dû. Elle se disait toujours qu'elles avaient autre chose à faire, que ce n'était pas le moment, mais Uzazi connaissait la vérité. Mina était prête à entendre cette histoire depuis longtemps, et elle était bien plus prête qu'Uzazi ne l'avait jamais été.

- C'est une longue histoire, et elle n'est ni très belle ni très glorieuse, soupira enfin la mère de la jeune lionne. Elle avait soudainement l'air terriblement fatigué et semblait plus vieille que jamais. Avouer la vérité à quelqu'un qu'elle chérissait si tendrement serait difficile, elle le savait. Elle craignait terriblement la réaction de Mina, pourtant elle devait le lui dire. Elle avait passé des années à esquiver la question, c'en était assez. Plus que cacher la vérité, elle mentait, et mentir ainsi à sa propre fille la révulsait elle-même.
Elle avouerait la vérité, toute la vérité à son enfant, et ferait face aux conséquences.

Uzazi ressentit une légère surprise en entendant Mina parler de l'amour qu'il n'y avait jamais eu entre ses parents. Misaada était mort il y avait quelques années maintenant, et Mina était encore adolescente lors de cet événement. Pourtant, elle était parvenue à percer les apparences – guère convaincantes, il était vrai – de couple que se donnaient Misaada et Uzazi. Avec ses yeux d'enfants, elle avait découvert une partie de la vérité, à elle toute seule.
Mais la vieille femelle fut surtout touchée de voir que sa fille faisait de son mieux pour la réconforter. Mina ne semblait pas lui en vouloir... Pour le moment. Elle ne savait pas la moitié de la vérité, et la suite serait plus difficile encore à concevoir. Et à pardonner.

- Si seulement ce n'était que cela... soupira-t-elle tristement.

Elle s'assit, tant pour soulager ses muscles fatigués que parce qu'elle savait qu'elle en avait pour un moment, et enjoignit d'un mouvement de tête sa fille à faire de même. Cela allait prendre un certain temps rien que pour trouver son courage et ses mots, alors raconter toute l'histoire... Autant se mettre à l'aise.
Puis elle avala sa salive, mit sa crainte de côté et entama son récit.

- Tout a commencé il y a des années, bien avant ta naissance en vérité. Depuis mon adolescence, j'étais... j'étais amoureuse de Farao. Mais comme Malkia a été choisie comme future reine, cet amour était sans issue, énonça l'ancêtre avec mélancolie – malgré le temps qui avait passé, malgré la résignation qu'elle avait connue, elle n'avait jamais vraiment oublié l'ancien roi de Prideland. Elle l'avait aimé des années durant, après tout, et lui avait apporté bien malgré lui l'une de ses plus grandes joies, Azari. Pourtant, ils n'étaient pas amoureux, ce n'était pas leur choix d'être unis. Farao devait m'aimer malgré tout, car il m'a donné un fils.

Là, Uzazi marqua une pause. Les mots avaient eu du mal à sortir de sa gueule, et elle ne doutait pas qu'ils auraient du mal à se graver dans l'esprit de Mina. Apprendre d'un seul coup qu'on avait un frère aîné était une nouvelle bien assez difficile à avaler comme ça, elle avait la laisser digérer la nouvelle une seconde avant de reprendre. Un seul choc à la fois...

- Tu as un frère, Mina. Il s'appelle Azari. Il est bien vivant – ou du moins elle l'espérait de tout son cœur. Que lui était-il arrivé pendant la bataille? Uzazi se força à faire taire la petite voix insidieuse et pessimiste qui murmurait en elle. Non. Il fallait qu'il soit sain et sauf – et je l'ai aimé de tout mon cœur dès que je l'ai vu... Mais évidemment, une telle chose n'est pas sans conséquence, reprit-elle finalement en soupirant lourdement. En plus de la peine qu'elle ressentait encore en elle suite à ces événements qu'elle avait subie, elle était toujours profondément honteuse. Même si ce n'avait pas été ses intentions, elle avait attisé la discorde entre le couple royal et causé bien des problèmes à la famille royale. J'ai été bannie avec mon fils. Seule pour m'occuper d'un lionceau, Azari n'aurait pas survécu longtemps si je n'avais pas reçu d'aide. Farao a demandé à Misaada de m'aider en me cachant sur le Baobab de la Lande des Sans-Terre et en m'apportant à manger et à boire de temps en temps. Bien sûr, ce n'était pas tous les jours facile, mais j'avais mon fils pour m'aider à supporter toutes les difficultés.

Un nouveau soupir, plus léger, lui échappa. Maintenant venait une partie encore plus délicate – si c'était possible. Elle allait parler davantage de Misaada, et ce ne serait pas agréable à entendre. Même si Mina avait compris que ses parents ne s'étaient jamais aimés, de là à accepter aussitôt le fait que son père avait fait d'horribles choses... Il y avait un fossé à franchir. Aussi Uzazi tâcha-t-elle de choisir ses mots avec soin. Elle ne voulait pas cacher la vérité à Mina, maintenant qu'elle avait commencé à la lui raconter, mais elle ne voulait pas la brusquer.

- Un jour Misaada m'a proposé un stratagème pour changer cette situation... Il m'a dit qu'il pouvait me faire réintégrer le clan grâce à une des lois ancestrales de Prideland. Celle selon laquelle le compagnon ou la compagne d'un membre du clan le devenait lui aussi. Malheureusement, il ne pouvait rien faire pour Azari, aussi je ne voulais pas utiliser cette solution. Mais il m'a promis d'amener Azari dans une famille qui saurait prendre soin de lui... Des lions qui pourraient lui offrir un vrai foyer, résuma-t-elle à voix basse, les yeux dans le vague. Quelle douleur cela avait été, et était encore, de s'avouer qu'elle était incapable d'offrir à son fils la vie qu'il méritait! J'ai accepté. J'ai réintégré le clan. Ça a été dur, les autres lions n'avaient pas confiance en moi, mon fils me manquait et Misaada n'était pas vraiment amoureux de moi. La seule chose qui me faisait tenir, c'était la pensée que cela contribuait au bonheur de mon fils. Heureusement, les choses se sont adoucies quand je t'ai eue, Mina... Tu as illuminé ma morne existence. A ces mots, le visage d'Uzazi se fendit d'un sourire. Celui-ci était certes léger, mais il atteignait ses yeux qui brillèrent en trouvant ceux de son enfant.

- Puis comme tu le sais, Farao est mort et les choses ont empiré à partir de là. C'est peu après ce terrible événement que j'ai reçu la visite de Rono. La femelle fauve se souvenait sans aucun doute qui il était: comment manquer le grand lion gris pâle aux surprenants yeux violets qui avait côtoyé plus d'une fois les Pridelanders? Il m'a dit avoir rencontré Azari, qui lui avait raconté une histoire surprenante...

La lionne aux yeux de rubis marqua une nouvelle pause, ferma les yeux et prit une grande inspiration. C'était là le moment difficile entre tous, le vrai, plus que tout autre, pour Mina, elle en avait peur. Elle n'aurait su dire si sa fille avait un tant soit peu conscience des sombres agissements de Misaada, mais cela serait sûrement un choc.

- C'est comme cela que j'ai appris ce qu'avait fait Misaada. Il avait emmené Azari sur Outland et l'avait... laissé là pour qu'il soit tué par le roi Outlander. Azari avait survécu de justesse en étant secouru par une lionne du clan, mais Misaada ne le savait sans doute pas. Il m'a menti. Il m'a promis de veiller sur mon fils et il a trahi ma confiance, dit-elle d'une voix qui se durcissait légèrement mais distinctement.

Uzazi n'aimait pas la violence, mais elle ne supportait pas que quiconque touche à ses enfants, et Misaada avait commis un acte doublement impardonnable. Enfin, elle tenta de recouvrer tout son calme. Elle ne devait pas céder ainsi à la colère, cela ne ferait que rendre les choses plus difficiles pour sa fille. Malheureusement, elle sentit sa froide rage être remplacée par l'habituelle vague de culpabilité et de honte qui la submergeait quand elle repensait au sort qu'Azari avait failli connaître.

- Si Misaada avait réussi, j'aurais été responsable de la mort de mon enfant, lâcha-t-elle douloureusement. Je voulais et je croyais le protéger et lui offrir une vie meilleure, mais j'ai failli le tuer! La lionne grise s'efforça une fois de plus de retrouver son calme. J'ai pu revoir mon fils grâce à Rono, mais je ne l'ai plus vu depuis longtemps... J'espère qu'il va bien.

- Voilà Mina, tu sais tout désormais. Pourquoi certains dans le clan ne m'aimaient pas, pourquoi j'étais la compagne de Misaada sans l'aimer... Je suis désolée de t'avoir caché si longtemps la vérité. Je pensais que tu serais mieux sans savoir cela, mais c'était malhonnête de ma part. J'aurais dû m'en rendre compte plus tôt...

Si l'effort de sortir de sa gueule les mots tant redoutés en face de sa fille lui coûtait, il semblait à Uzazi que rien n'était plus douloureux que d'observer les réactions de sa Mina chérie. Au fur et à mesure des révélations qu'elle lui faisait, elle voyait sur le visage de la jeune lionne se peindre le choc, la stupeur, l'horreur... Comment aurait-il pu en être autrement? Non seulement elle apprenait qu'elle avait un demi-frère depuis des années, mais en plus elle découvrait pleinement la vérité sur la sombre nature de son père. N'importe qui serait heurté à l'entente de telles nouvelles.

Pourtant, malgré le choc évident, malgré la peine qu'elle devait ressentir à n'apprendre tout cela que maintenant, Mina restait l'enfant aimante et clémente qu'elle avait toujours été. Loin de lui tourner le dos, de la rejeter ne serait-ce qu'un temps pour mettre ses idées au clair, elle s'approcha d'Uzazi et lui offrit du réconfort en frottant son crâne contre le sien avec tendresse.
Légèrement surprise, la vieille femelle releva doucement la tête, fouillant le visage de Mina, ses yeux, à la recherche d'une quelconque trace de colère. Sans succès.

- Oh maman, ne t'en veux pas, je ne t'en veux aucunement! Évidement, apprendre que j'ai un frère n'est pas chose facile, mais l'avouer pour toi a dû être encore plus difficile. Merci de m'en avoir parlé maman, je t'aime si fort!

Uzazi sentit ses yeux lui piquer. Un sourire étira ses lèvres tandis qu'elle prenait pleinement conscience de ce que lui disait son enfant. Elle lui pardonnait. Elle la remerciait de lui avoir raconté la vérité, alors même qu'elle aurait dû la lui révéler bien plus tôt.
Profondément touchée par sa petite fille, l'ancienne franchit les quelques pas qui les séparait, Mina ayant reculé pour dire ses derniers mots. La femelle gris foncé plongea de nouveau son museau dans l'encolure de Mina, voulant la remercier silencieusement de sa compréhension et de son indulgence. Parfois, malgré tous les malheurs qu'elle avait pu subir, Uzazi se demandait comment elle avait bien pu avoir la chance d'avoir des enfants capables de lui apporter tant de bonheur. Ils ne cessaient jamais de l'épater...
Enfin, sans mot dire, elle s'arracha à cette étreinte et, à son tour, recula de deux pas, sans quitter sa fille des yeux, un doux sourire aux babines.

- Mais dis-moi maman, Kumpa et Damu sont-ils au courant de tout cela? demanda ultimement la jeune lionne fauve. Bonne question qu'elle posait là.

- Je ne sais pas, avoua Uzazi en haussant les épaules en signe d'impuissance. Je n'ai jamais osé leur en parler... J-j'avais honte de ce que j'avais fait. Ils ne m'en ont rien dit, mais ils ont pu l'apprendre par un autre moyen. Malkia a pu leur en parler, elle connaissait l'histoire. Enfin... elle croit qu'Azari est mort, comme je l'ai raconté à mon retour dans le clan. Ce mensonge-là aussi lui pesait, maintenant qu'elle y repensait.

Toutefois, malgré la possibilité qui existait bel et bien, Uzazi n'y croyait pas vraiment. Sans connaître intimement Malkia – elle avait plutôt cherché à l'éviter pour s'épargner de la gêne des deux côtés, de l'animosité d'un côté et de la culpabilité de l'autre – elle ne pensait pas qu'elle aurait voulu remuer ces vieilles histoires et secouer ce trouble passé.

- Si tu veux, et s-si tu te sens prête bien sûr, tu pourrais peut-être rencontrer Azari, proposa spontanément Uzazi, poussée par une inspiration subite. Aussitôt, elle réfléchit à ce que cela impliquait. Enfin, si tu le souhaites, il faudrait encore que je lui en parle et il vit avec les Outlanders donc ce sera un peu compliqué mais...

Uzazi s'emmêlait les pattes, troublée par l'idée de faire se rejoindre ses deux vies, la passée et la présente. Cela serait sans doute étrange, mais pour quelques heures, pourquoi pas? Toutefois, cela dépendait plus de ses enfants que d'elle.

La réponse de Mina à la question hésitante de sa mère emplit le cœur d'Uzazi de soulagement et de joie. Au lieu de rester bloquée sur la choquante révélation dont Uzazi venait de lui faire part, elle parvenait à dépasser cela et à accepter toutes les vérités dont elle venait de lui faire part. La vraie nature de son père, l'existence de son demi-frère... Il y avait largement là de quoi étourdir quelqu'un pour un moment. Et la lionne grise avait rajouté par dessus cela la proposition de rencontrer Azari! Avec le recul elle se rendait bien compte du pas qu'il fallait faire entre accepter l'existence de son demi-frère adulte et étranger et accepter de le voir en personne. Cela impliquait avoir véritablement intégré cette nouvelle. La plupart des lions auraient dû attendre avant de se sentir prêt à une telle chose.
Pourtant Mina avait répondu avec enthousiasme après un moment de réflexion. Sa mère eut un petit rire, attendrie par l'aspect encore si juvénile qu'arborait la jeune lionne en cet instant. Bien que pleinement adulte, elle restait le félin énergique et affectueux qu'elle était dans son enfance.

- Mais toutefois je n'accepte que si cela ne te dérange pas, que si tu te sens prête, ajouta la lionne pâle avec sérieux.

Uzazi aurait pensé ne plus pouvoir être touchée, à ce point, mais de toute évidence c'était encore possible. La manière dont sa fille faisait toujours attention à son bien-être était émouvante et surtout extrêmement rassurante pour l'ancienne exilée. Dans ce clan où elle s'était longtemps sentie étrangère en raison de sa courte liaison avec Farao et de son exil de quelques mois, ce clan où malgré les années il lui revenait parfois le sentiment de ne pas mériter sa place, il y avait sa fille qui lui donnait sans compter, sans hésiter, amour et confiance.

- Ne t'en fais pas pour moi, Mina, souffla Uzazi avec un doux sourire et les yeux pleins d'amour. Si tu es prête, je le suis aussi.

Elle n'ajouta pas ce qu'elle pensait en arrière-plan – elle n'avait plus le temps d'hésiter, de piétiner sur place en se demandant quel choix faire. Elle n'allait pas tarder à quitter ce monde et tous ceux qu'elle aimait: si elle souhaitait profiter d'eux, il fallait le faire maintenant, sans hésiter et sans attendre.

Les deux lionnes restèrent silencieuses un moment, Uzazi profitant de la paix de cet instant partagé. Puis, lentement, une pensée bien précise émergea dans l'esprit de la vieille lionne qui sourit tandis qu'une lueur s'allumait dans ses yeux rouges.

- Et toi, Mina, y a-t-il des... choses dont tu souhaiterais me parler? Des choses que tu pourrais vouloir me confier? lança-t-elle non sans malice.

En effet, Uzazi s'était interrogée une ou deux fois lorsqu'elle avait remarqué que sa fille se trouvait souvent en compagnie d'un jeune lion brun depuis l'exil sur la Lande. Il s'agissait d'un étranger aux Pridelanders, un Freelander rebelle si ses souvenirs étaient bons. Tous deux semblaient proches, aussi la femelle grise éprouvait-elle une discrète curiosité à l'encontre du Freelander. Étaient-ils de proches amis... ou plus que cela? Elle ne voulait pas déranger Mina, et la laisserait en paix si elle souhaitait rester silencieuse sur le sujet, mais si sa fille était prête à se confier à elle, Uzazi serait heureuse d'entendre ce qu'elle avait à lui dire.
Quoi que Mina lui dise, qu'elle veuille partager un peu de sa vie privée ou non, tout ce que la vieille lionne espérait était qu'elle soit heureuse dans ses choix. Qu'elle n'ait pas à subir les mêmes affres que sa mère...

Un doux sourire, empreint de timidité, vint illuminer le visage de Mina. Sa mère en fut attendrie – qu'elle que soit la raison de cette expression, cela la rendait vraiment heureuse. Retournant son sourire, elle eut un léger signe de tête l'encourageant à poursuivre.

- Tu sais, ces rebelles Freelanders qui sont parmi nous depuis que nous étions au Baobab... Parmi eux il y a ce lion brun, Sabaru, dont je t'ai déjà parlé... Ici, Uzazi offrit un petit "mm-mh" malicieux. Je crois bien que... Je crois bien que je l'aime, avoua Mina.

Si son attendrissement était déjà bien présent quelques instants auparavant, ce n'était pas comparable avec ce que la vieille femelle ressentait maintenant. La petite lionne qu'elle avait connue comme une petite lionne turbulente et malicieuse était bien adulte. Uzazi avait beau l'avoir vue grandir, c'était toujours un émerveillement de le constater. Bien qu'elle ait conservé une fraîcheur et une âme d'enfant, la jeune femelle se montrait plus mature et posée qu'auparavant, ce qui emplissait toujours sa génitrice d'une étrange émotion. Elle était heureuse de voir sa petite fille grandir et s'épanouir, et en même temps, comme toute bonne mère, un chagrin secret l'étreignait en sachant qu'elle s'éloignait d'elle.
Quels que soient ses sentiments, la lionne aux yeux écarlates était comblée pour sa fille. Il était évident que la présence et l'affection de ce Freelander, Sabaru, la rendait heureuse. Véritablement heureuse. Uzazi savait que son enfant ne commettrait pas les mêmes erreurs qu'elle, qu'elle saurait faire mieux et trouver le bonheur par elle-même. Elle écrirait sa propre histoire en faisant ses propres choix, bons comme mauvais. Dont celui de la personne aux côtés desquels elle souhaiterait cheminer durant sa vie.

- Ooh, ma chérie... Uzazi sourit à Mina, émue. Je suis contente que tu aies trouvé l'amour, d'autant qu'il semblait être quelqu'un de bien. Je n'ai pas vraiment discuté avec lui, mais compte sur moi pour le faire, maintenant que je sais qu'il fait tourner la tête de ma fille! plaisanta l'ancêtre avec légèreté. Elle fit un clin d’œil à sa cadette, lui indiquant qu'il ne fallait pas la prendre trop au sérieux.

Oh, bien sûr elle voulait effectivement le rencontrer, mais ce n'était pas elle qui risquait d'essayer d'empêcher leur relation. Mina était bien assez grande pour choisir elle-même de qui elle s'entourait. Non, Uzazi éprouvait une curiosité dévorante envers celui qui serait sans doute son beau-fils.
Oui, elle allait un peu vite en besogne, mais à en juger par l'expression de sa fille, Sabaru ne la rejetait pas, alors pour elle il était normal de considérer le Freelander pratiquement comme son beau-fils, sans même le connaître vraiment.
Finalement, elle reprit quelque peu son sérieux. Elle était ravie pour Mina, elle était curieuse de rencontrer ce Sabaru, elle était heureuse que sa fille ait accepté de lui confier cet intime sentiment, tout cela la ramenait au temps où elle était une jeune lionne pleine de vitalité et de naïveté, mais il ne fallait pas oublier de garder un peu les pattes sur terre. Surtout dans la situation présente où la lionne pâle était tombée amoureuse d'un lion d'un autre royaume. Bien évidemment, Uzazi ne tenterait pas de la dissuader de voir Sabaru, ce n'était pas à elle de s'en mêler, mais elle pouvait lui donner son avis... et lui apporter son soutien. Quoi qu'elle décide de faire.
Aussi l'ancêtre plongea-t-elle ses yeux rouges dans ceux de son enfant, qu'elle considéra avec sérieux pendant un instant avant d'ouvrir la gueule une nouvelle fois.

- Je ne sais pas s'il a prévu de retourner sur Freeland ou non. Quoi qu'il en soit, je n'ai pas de conseil à te donner, Mina. Je te dirai simplement ceci: comme tu le sais, la situation ne sera pas facile tous les jours. Ce sera parfois éprouvant. Mais si vous vous aimez vraiment, vous serez en mesure surmonter toutes les épreuves.

Elle ne voulait pas décourager Mina mais seulement lui faire part de son expérience: si l'on aimait véritablement un individu, on était prêt à tout pour lui. Uzazi l'avait appris à la dure, lorsqu'elle avait cru faire ce qui était le mieux pour Azari. Ce qui aurait été le mieux si Misaada n'avait pas menti.

- Je ne crains pas pour toi, ma chérie, je sais que tu feras ce qu'il faudra, assura sa vieille mère. Écoute ton cœur, suis ton instinct. Parfois tu te tromperas et tu trébucheras, mais je n'ai pas de doute que tu sauras te relever.

Elle ne savait pas bien ce qui la poussait à dire tout cela, outre rassurer sa fille et lui promettre son appui. En tout cas, elle sentait que c'était le bon moment de le dire, comme s'il y avait urgence. Les mots se bousculaient dans sa bouche et en-dehors, un peu hachés, restant tout juste cohérents.

Bien que légèrement timide de parler d'un sujet si intime, Mina paraissait plus heureuse que gênée. Observant son expression pleine d'espoir et d'attentes, sa mère ne put s'empêcher un petit rire attendri. Oui, elle était vraiment amoureuse de Sabaru. Il suffisait de regarder ses yeux quand elle l'évoquait pour s'en assurer.
La lionne fauve lui confirma que le Freelander comptait repartir chez lui lorsque le moment serait venu. C'était presque dommage, puisqu'il aurait été automatiquement intégré aux Pridelanders de par son statut de compagnon d'une Pridelander. Toutefois, Uzazi ne serait pas leur bourreau, elle s'y était déjà déterminée. Ils étaient amplement en position de décider par eux-mêmes ce qu'ils voulaient faire de leur vie, ils étaient des adultes, tandis que le temps de la femelle gris sombre touchait à sa fin.

- Oui, je me relèverai, promit Mina avec douceur. Elle offrit une ultime étreinte léonine à sa mère. Tout comme tu t'es relevée toute ces années pour m'aider à avancer.

Ces mots la touchèrent. Elle qui avait longtemps connu des coups durs, qui avait toujours lutté contre ses remords, sa culpabilité et ses incertitudes, qui n'avait jamais vraiment eu l'impression d'avoir fait preuve d'une force quelconque... Sa fille en était pourtant convaincue, et cela était bien assez pour rassurer Uzazi.
Aussi la vieille Pridelander lui rendit-elle son étreinte avec force et douceur en même temps, essayant de lui transmettre cette force que la jeune lionne assurait qu'elle possédait. Jusqu'à ce qu'une voix féminine se fasse faiblement entendre, hélant Mina. Uzazi se retira doucement, sachant que ce moment passé ensemble touchait à sa fin.

- Je crois qu'on aimerait mon aide pour la chasse ce matin, j'y vais, à plus tard maman, je t'aime.

- Moi aussi, Mina... Bonne chasse. A plus tard, ma chérie.

Tandis que la femelle pâle s'éloignait, Uzazi resta assise un long moment, les yeux fixés sur le chemin qu'elle avait pris, mais le regard dans le vague. Elle savourait la délicieuse sensation de légèreté qu'elle ressentait en cet instant. Elle savait que ses secrets n'avaient jamais été aisés à porter, mais elle n'avait pas pensé qu'un tel poids lui serait enlevé lorsqu'elle se serait enfin libérée d'eux.
Levant la tête, elle constata que le jour était encore jeune. Le soleil avait poursuivi sa course dans le ciel pendant le récit de la matriarche, mais celui-ci n'avait pas duré aussi longtemps qu'Uzazi l'aurait cru. Elle avait tout le temps de goûter à cette journée le cœur plus léger.
Un sourire aux lèvres à cette idée, la vieille femelle anthracite se mit enfin debout et s'éloigna à son tour, repartant en direction du Rocher de la Fierté. Elle avait eu raison, parler à Mina avait été le bon choix. Elle aurait pu lui en parler bien plus tôt: cela faisait longtemps qu'elle était prête. Mais c'était désormais chose faite. Uzazi n'avait plus à regarder en arrière.