D'un pas décidé, la lionne marchait à la rencontre de son frère. Elle ne l'avait pas vu de la journée et hier que brièvement. C'était rare. Angani n'avait rien dit à son frère de ses récentes préoccupations mais sans doute ce dernier avait-il remarqué ses tentatives d'éloignement. Après tout, qui mieux que son jumeau pouvait lire en elle. Dans sa quête d'identité, la lionne pâle s'était rapprochée de Swayli, la seule qu'elle considérait comme une amie. La fin d'un binôme et la naissance d'un nouveau... Non, Vako était toujours présent dans son cœur mais pour se trouver, elle avait besoin de s'éloigner de lui. Ne plus être son ombre, voilà son objectif.

Elle marchait d'un pas décidé, la démarche noble et plaisante. Angani était une lionne adulte maintenant, une vraie, et les courbes gracieuses de son corps en témoignaient. La lune reflétait avec douceur ses rayons sur son pelage pâle si bien qu'elle semblait luire dans la nuit. Les lions autours d'elle étaient calmes, profitant de l'allégresse nocturne. Elle répondait aux quelques saluts qu'on lui adressait tout en continuant sa marche. Récemment, elle semblait également se rapprocher de son clan et cela n'était pas pour lui déplaire.

Suivant la piste de son autre elle, la lionne s'éloignait progressivement du campement. Son frère s'était-il encore terré dans sa solitude ? Elle regrettait de ne plus être aussi présente qu'avant mais c'était pour leur bien à tous les deux. A elle plus qu'à lui, peut-être, mais Angani en avait besoin.

Finalement, l'ombre de l'Empereur se dessina au sommet d'une dune. Un soupir s'échappa des crocs de la lionne qui sentait son cœur s'accélérer. Il était majestueux. Elle s'approcha.

« Vako... »

Angani avait cette manie de prononcer son nom comme on racontait un rêve, douce et envoûteuse, emplie d'une émotion certaine. Deux jours sans avoir été à ses côtés... Cela lui semblait être une éternité. Elle s'assit non loin de lui, humant son odeur avec passion. Voilà pourquoi elle devait s'éloigner de lui pour se trouver... en sa présence, il n'y avait plus rien d'autre qu'elle, lui et son cœur palpitant. Cependant elle n'était pas venu ici se délecter de sa présence mais bel et bien pour parler affaire, notamment le cas de Hatari dont elle avait précédemment discuter avec le vieux général. Seulement, avant d'en arriver aux affaires qui fâchent, elle voulait encore profiter de sa simple présence et de son odeur délicieuse. Était-ce trop demander ?

Sa voix était délicieuse et la lionne en frémissait, nul son ne pouvait faire vibrer son corps de la sorte. Leur étreinte fut passionnelle, comme si ces deux corps trop longtemps séparés se retrouvaient enfin pour ne former plus qu'un. Sa place était ici, auprès de lui. C'était plus qu'une évidence. Un doux ronronnement s'élevait de sa gorge tandis qu'elle passait tendrement sa tête dans la crinière du mâle. Elle ne connaissait pas meilleure sensation que d'être auprès de lui seulement cela avait également le malheur de lui faire oublier ses autres préoccupations. Désireuse de savourer l'instant, la lionne retarda leur discussion pour se perdre contre lui. Elle n'aimait pas aborder des sujets susceptibles de les placer en désaccord mais elle aimait encore moins fuir. Après une dernière étreinte, elle se retira.

Son regard doré se plongea dans celui azur de son frère et elle le contempla, silencieusement. Il était magnifique, plus que n'importe quel autre lion. Elle sourit, un brin mélancolique, en repensant à cette époque où ils n'avaient pas à se cacher. Cela semblait si loin désormais... Faute de pouvoir agir naturellement au sein du clan, les jumeaux étaient contraints de s'éloigner des leurs pour être eux mêmes et cela ne cesserait sans doute jamais.

« Comment vas-tu ? » demanda-t-elle soucieuse.

Il semblait fatigué voir troublé. Angani s'assit face à son frère, le regard rivé vers celui-ci. Elle voulait voir chacune de ses expressions, le moindre battement de cil afin de déterminer ce qu'il pensait. Elle voulait lui parler des Mositus dont les recherches ne donnaient plus rien, de sa nouvelle entente avec Chenko qui n'était peut-être pas un si grand ennemi qu'ils le pensaient et bien évidemment de Hatari. Lui parlerait-elle des raisons qui l'avait poussé à s'éloigner et se réfugier vers Swayli, sa seule amie ? C'était peu probable, elle ignorait si elle aurait la force de lui dire toutes ces choses dans le blanc des yeux. Elle avait peur de le blesser, peur qu'il ne comprenne pas.

Retenant un soupir, elle se contente de sourire doucement à son frère, heureuse d'être de nouveau à ses côtés.

Ce n'était pas une réponse à laquelle s'était préparée la lionne ou du moins était-ce les mots qu'elle espérait silencieux. Malgré le ton empli d'humour de son jumeau ainsi que son sourire étendu, Angani ne put partager sa légèreté aussi son sourire fut-il bref et bien mince. Était-il en colère ? La jeune lionne pourrait parfaitement le concevoir, après tout c'était la première fois qu'elle le délaissait autant. Laissant de côté ces enfantillages, Vako reprit d'une voix plus sérieuse mais en rien accusatrice. Oh bien sûr elle n'était pas aveugle à son appréhension mais son désir de comprendre plutôt que de blâmer lui faisait chaud au cœur. Elle avait eu tord d'avoir peur.

« Je me cherchais. »

Une réponse simple mais ces quelques mots en disaient long. Plutôt que de lui détailler ses nouveaux périples, Angani préféra d'abord des excuses. Si son frère ne semblait pas lui en tenir rigueur, elle s'en voulait.

« Pardon d'avoir entrepris cette démarche seule, sans t'en tenir informé. Je t'ai laissée subir mon absence sans te donner de raison à mon éloignement. Cela ne remet aucunement mon amour en doute, j'essaie simplement d'exister en tant que lionne et non en tant que ton ombre. »

Elle ne le blâmait par pour cela, Vako n'avait jamais été celui qui avait poussé sa sœur dans l'ombre. Elle l'avait fait d'elle-même, s'oubliant pour servir au mieux le seul qui trouvait grâce à son cœur mais le temps lui avait ouvert les yeux, Swayli lui avait ouvert les yeux. Angani ne pourrait jamais aussi bien l'aider qu'en étant elle-même à savoir une lionne à part entière qui savait penser autrement que par son frère. Elle s'émancipait, voilà tout.

Un sourire bien plus sincère cette fois se dessina sur le jolie visage de la lionne tandis qu'elle observait son jumeau. Le retrouver était un vrai bonheur. Soucieuse de ne pas plus le laisser dans l'ombre, elle entama l'une des discussions qui lui pesait :

« J'ai trouvé une oreille attentive auprès de Swayli, c'est une amie très chère à mon cœur. Elle me comprend sans que j'ai besoin de trop lui en dire, c'est agréable. Ne lui tiens pas rigueur de son comportement durant la bataille, elle n'était pas elle-même. »

Silencieuse, elle revoyait pourtant son amie se jeter sauvagement sur elle, la confondant avec l'ennemi. Elle savait la lionne perturbée et autant que Angani pouvait se perdre dans son identité, Swayli se perdait dans la bataille. Son esprit tiraillé lui jouait de mauvais tours et il entachait son raisonnement. Heureusement, l'erreur avait été courte mais suffisante pour ne pas passer inaperçue aux yeux de l'Empereur.

Ni colère, ni regret, ni reproche. Le regard du mâle n'exprimait qu'amour et tendresse. Les deux jumeaux ronronnèrent en cœur tandis qu'Angani n'en souriait que de plus belle. Elle avait eu tord, autant qu'elle était présente pour épauler son frère durant son règne, lui aussi était là pour elle, prêt à la soutenir et ce regard dont il la gratifiait ne venait que consolider son amour. C'était lui, elle l'avait toujours su et cela ne cesserait jamais.

Quand elle lui demande de pardonner à son amie son écart durant la bataille, l'Empereur se renfrogna. Cela n'avait pas été de son goût et elle pouvait le concevoir, si elle même avait aperçu un Jangowas oser s'en prendre à son frère, sa colère aurait été immédiate ainsi que son châtiment. Mais la situation était ici différent, Swayli était sa seule et plus chère amie et elle était en proie à des pertes de lucidité lorsque le sang coulait à flot dans sa gorge. Cela pouvait arriver voilà tout. Vako montrait les crocs mais ne grondait pas. Pourtant, il était contrarié.

« ... Je n'ai pas encore vu Swaily en la matière. Avec le chaos de l'attaque, je ne pense pas que d'autres que moi ait aperçu son écart. Comme tu n'as pas été blessée par cet accroc, je suppose qu'ils n'en tiendront pas rigueur... Du moins, je l'espère pour elle, comme pour nous. » avança-t-il calme mais réservé avant d'ajouter, un peu plus inquiet : « "Je suis prêt à lui pardonner, si tu lui fait confiance, Anga ma douce.. Mais peux-tu me promettre, en son nom, que cela ne se reproduira plus ? »

Doucement, elle se laissa aller à un soupir de soulagement. Il était prêt à pardonner. Seulement pouvait-elle lui promettre que cet accident n'était pas le prémisse d'un autre ? Elle connaissait bien Swayli et savait ô combien elle s'en était voulu mais le cœur et l'esprit de cette lionne n'étaient pas toujours en accord. Néanmoins, elle prit le risque et affirma d'une voix forte mais rassurante :

« Je lui fais confiance, elle est mon amie. Néanmoins, je ne peux pas te promettre en son nom, je ne prendrais pas le risque, du moins pas avant d'en avoir discuté avec elle. » Elle ne souhaitait pas mentir à son frère aussi même si cette vérité le dérangeait, il devait avoir foi en elle. Plus doucement et le regard empli de gratitude, elle ajouta : « Merci Vako. »

La bataille était encore fraîche dans la mémoire des guerriers des dunes. Il avait emporté une victoire écrasante mais pourtant celle-ci gardait une note amère. Certains étaient parvenus à s'enfuir et depuis, aucun traqueur n'avait retrouvé leur trace. Mais plus que les leaders de ce mouvement suicidaire, le Désert criait justice envers son enfant qui l'avait trahi par deux fois. Hatari. Sujet à cette pensée, la jeune lionne se lança :

« J'ai rencontré Chenko dans le Jardin des os il y a peu... Étonnamment, je ne me méfie plus autant de lui. Il est sage, expérimenté et profondément loyal au Désert. Je ne pense pas qu'il soit une menace. » introduit-elle, louant avec sincérité les mérites de ce vieux lion. « Nous avons discuté du cas de l'exilé. Vako, s'il ne revient pas dans le Désert, devrions-nous aller le chercher au-delà des frontières de sable pour le faire payer de ses crimes ? »

Une expédition en dehors de leur territoire, cela n'avait jamais été réalisé mais encore jamais auparavant un lion du désert ne s'était autant moqué de leur coutume. Angani pesta silencieusement. Il n'avait plus rien d'un Jangowas désormais. La lionne reporta son regard sur son jumeau, attentive à sa réponse qui était sans tarder. Avait-il ce même ressenti qu'elle sur Chenko ? Autrefois, elle n'avait cessé de le voir comme une rempart à son rêve mais aujourd'hui, les choses étaient différentes. Angani respectait profondément le général des guerriers et peut-être l'affectionnait-elle. Au moins était-il plus éloquent et réfléchi.

La compréhension de son frère était un de ses atouts que la jeune lionne ne pouvait que louer, il faisait tout son possible pour toujours être le plus juste dans chaque situation. Angani l'aimait aussi pour cela et elle en lui était reconnaissante. A sa requête très expérimental, Vako lui répondit dans un premier temps qu'il restait méfiant vis à vis de Chenko car sa loyauté était au Désert, pas à l'Empereur. La guerrière ne pouvait qu’acquiescer. La voix plus dure, il reprit :

« Aller chercher l'exilé en dehors du Désert ? Vraiment ? Je suis loin d'être sûr... Mais il est vrai qu'il s'est moqué de ses racines une fois de trop. Je pensais être magnanime en lui permettant de quitter le désert à mon ascension, j'ai eu bien tort.. Il s'est moqué du Désert et il s'est moqué de moi. Bien sûr, il faut qu'il soit châtié pour ses fautes mais en dehors du Désert, il n'est pas sous notre Loi.. »

Angani était touché par les mots de son frère non pas en ce qu'il affirmait vouloir sa vengeance mais en ce qu'il exprimait son regret d'avoir donné une seconde chance à l'exilé. Il avait voulu être juste, une fois de plus, une fois de trop. C'était une des nombreuses raisons qui poussait la lionne à vouer une haine aussi viscérale à Hatari. Il s'était moqué de son frère, l'avait humilié et par ce fait avait mis le doute dans le cœur des Jangowas quant à la puissance de leur Empereur. Il avait fragilisé son autorité et elle ne pouvait pardonner un tel affront. Quiconque s'en prenait à Vako s'en prenait également à sa jumelle, c'était ainsi. Cette recherche du fuyard était bien plus personnelle qu'elle ne le laissait paraître.

Cependant, pour en revenir au vif du sujet et non pas ses secrets, Vako marquait un point important. En dehors du Désert, Hatari n'était plus sujet à leurs Lois ancestrales. Cependant, il restait un lion expatrié et n'était rattaché à aucun autre clan du moins pas à leur connaissance. Qui donc viendrait le protéger lorsque les griffes du Désert viendraient réclamer vengeance ? Personne. Il était livré à lui-même et avait trahi les seuls lions qui l'avaient un jour accepté. Troublée, l'Empereur exposa ses pensées à sa jumelle :

«Chenko est-il d'avis de lancer une expédition hors du Désert ? Cela me surprend, je sais que je lui ai donné griffe blanche sur cette mission mais je ne pensais pas qu'il imaginerait sortir des Dunes. En fait, je ne suis pas sûr que nos guerriers soient très volontaires, malgré le déshonneur d'Hatari, à le pourchasser ailleurs que dans le Désert. Mais si nous ne faisons pas de traque extérieure, il y a peut-être une solution... Ah, non... C'était idiot.. »

Angani haussa un sourcil. A quoi pouvait bien penser son frère ? Il n'y avait rien d'idiot et certainement pas de la part de Vako. Méticuleuse, elle répondit d'abord à ses interrogations concernant le chef des guerriers :

« Il semble favorable à cette idée. Il n'est peut-être pas le lion le plus partisan à ton règne mais il ne saurait laisser un affront commis envers le Désert et ses Lois impuni. Sa seule retenue est celle de ne pas agir contre ta volonté ou du moins contre la loi. »

Elle repensait à l'échange qui avait suivi entre elle et le vieux général. Derrière ses apparences froides et cruelles, Chenko était un lion blessé qui avait perdu tous ceux qu'ils avaient un jour aimé dans le but de ne pas faire entorse aux lois. Sa loyauté au Désert dépassait celle de l'entendement, jamais Angani n'aurait pu supporter de voir son jumeau dépérir tout en restant impuissante. S'il le fallait, elle remuerait ciel et terre pour lui.

Songeuse, elle repensait aux derniers mots prononcés par son frère. Une solution disait-il mais à quoi pouvait-il bien penser ? Il disait douter du volontariat des guerriers mais il semblait en oublier une parmi tous, sa plus loyale et dévouée guerrière.

« Moi je serai volontaire. » affirma la lionne d'une voix forte.

En qui pouvait-il avoir davantage confiance qu'en la personne de sa propre jumelle ? Angani ne pouvait promettre un résultat, après tout le monde extérieur lui était complètement inconnu mais elle se dévouerait corps et âme à cette tâche. Apaisant son regard de la dureté de sa détermination, elle ajouta d'une voix plus douce :

« Tu sais que tu peux compter sur moi. Mais dis-moi, quelle serait cette solution à laquelle tu semble songer ? »

Le sourire de son frère rassura la lionne dans l'idée qu'elle n'avait plus rien à lui prouver, il savait déjà qu'elle donnerait tout pour lui. Jusqu'au bout du monde et plus loin encore, elle irait si il le lui demandait. Une loyauté sans limite pour un amour éternel. Chaleureuse, elle lui rendit doucement son sourire. Angani aimait ce fil invisible qui les reliait constamment, grâce à lui ils savaient parler avec le regard, les gestes, les sourires... Tout devenait si clair et limpide.

Plus sérieux, l'Empereur exprima son ressenti quant à cette potentielle excursion :

« Et bien, pour tout te dire, je crains qu'une expédition ne suffise pas à le retrouver. L'en dehors du désert est vaste, plus vaste que les dunes. Et nos guerriers, aussi puissants soient ils, ne le connaissent pas. Toi non plus, n'est-ce pas ? »

Angani cligna simplement des paupières sans mot dire, de toute manière aucune réponse n'était attendue. S'en aller au-delà des frontières ne l'avait jamais intéressé, c'était une lionne du sable aussi le Désert était-il son royaume mais bien qu'elle n'ait jamais penser au monde extérieur, une curiosité nouvelle s'était éveillée lors de sa rencontre avec ce soldat Kulishas. Était-elle excitée à l'idée de découvrir un monde inconnu ? Oui mais elle avait aussi peur. Dans le Désert, les Jangowas étaient maîtres des lieux et eux seuls savaient survivre au milieu des dunes mais loin de tout cela, serait-elle aussi puissante ? Elle l'ignorait.

« En fait, je pensais demander des accords aux meneurs de l'extérieur. Je pense notamment au Roi de Prideland, si tant est qu'il est finalement devenu Roi depuis notre première entrevue. Il m'avait demandé une alliance que j'ai refusé au profit d'un compromis. Je devrais pouvoir lui demander de nous assister dans la recherche de notre traitre, non ? »

La belle lionne haussa un sourcil, frappée par l'idée brillante de son frère. Elle sourit tendrement à son encontre, elle n'en attendait pas moins de sa part. Vako était diplomate, bien plus que les précédents Empereurs et cette surprenante idée laisser les prunelles dorés de la lionne miroiter d'excitation.

« C'est une idée que j'approuve, c'est ingénieux. Seulement j'ai entendu dire que ce Roi était quelque peu... justicier, je pense qu'à son tours il demandera un compromis pour nous aider dans nos recherches. »

Quels seraient les conditions d'un tel traité ? Angani ignorait les coutumes et lois de Prideland, qu'est-ce les lions du Désert pourraient bien offrir à un peuple brillant sous la gloire ? Elle agita vivement ses oreilles, agacée de ne pouvoir apporter de réponse. Aussi sérieuse que l'Empereur, elle lui demanda :

« Tu as déjà traité avec Kumpa, penses-tu qu'il serait intéressé par de telles modalités ? »

Autrefois le monarque de Prideland était venu aux frontières des dunes pour réclamer l'aide des Jangowas mais l'Empereur avait refusé. Accepterait-il aujourd'hui d'agir quand les lions des dunes l'avaient éconduit ? Peut-être que l'objet de sa requête d'antan tenait toujours. Angani redressa son regard vers sa moitié, attentive.

« Et bien.. C'est à tenter. Quand il a demandé mon aide, j'ai refusé une alliance ouverte, car les Jangowas ne sont pas à quitter les dunes. Mais je lui avais promis qu'aucun de ses ennemis ne pourraient franchir le désert. Bon, ils n'ont pas tenté de s'approcher. Le soleil était suffisant à les dissuader. Mais j'ai offert au seigneur Kumpa une sécurité. Chose qu'il a indiquée comme généreux de ma part. »

Attentive, la belle lionne ne perdait pas une miette des énoncés de son jumeau. Peu importe ce que pouvait dire ceux qui étaient réticents à son règne, Vako était assurément un bon diplomate. L'Empereur avait peut-être refusé d'aider le monarque en ses termes mais, il avait tout de même offert une porte de sortie et avait su offrir une compensation. Certes celle-ci était moindre quant à la requête initiale mais un geste avait été offert et en tant que noble roi qu'il était supposer être, Kumpa saurait s'en souvenir. Du moins l'espérait-elle. Aider les lions du Désert dans leur recherche d'un traître sanguinaire et lâche, la cause était juste pas vrai ? L'ironie du sort était peut-être que maintenant les Mositus partis, les Jangowas cherchaient d'autres bouc émissaire sur qui déposer leur haine. Des lions belliqueux dans leur nature ne changeraient pas et ne s'arrêteraient pas. C'était ce qu'ils étaient.

« Pour le savoir, il faut pouvoir le voir. Et si Hatari n'est plus dans le désert, il va vagabonder sur les autres territoires. Le Roi de Prideland pourrait se montrer coopératif s'il connaît la réputation de notre exilé. Et pour tout te dire, je compte un peu sur la possibilité qu'il sème chaos sur les autres territoires pour demander justice. Si Kumpa est aussi justicier qu'il le prétend, il ne laissera pas un dangereux paria sur ses terres. »

Il n'avait peut-être plus rien d'un Jangowas mais son sang n'oublierait pas, Vako avait peut-être raison, les Jangowas devaient attendre que la nature d'Hatari le trahisse. A ce moment-là, ils pourraient venir réclamer celui dont personne ne voulait. Qui s'opposerait à cela ?

« Convaincre le monarque de Prideland... Avec de sages mots et une décision motivée, peut-être le pourrions nous. Il ne reste plus qu'à organiser une rencontre et trouver un ambassadeur, il serait trop risqué de t'envoyer là-bas sauf si Kumpa accepte de déplacer sa précieuse personne bien que je ne porterai pas trop d'espoir là-dessus. »

Les deux régents pourraient se rencontrer aux frontières des deux royaumes, Angani serait alors dans le cortège escortant son jumeau et elle pourrait assister à l'entrevue. Si de telles conditions n'étaient possible alors elle serait volontaire pour se lancer seule dans cette expédition. Ou peut-être serait-il plus sage d'envoyer un autre lion avec elle, Khassim par exemple... Les deux lions se crachaient au visage sans même se cacher mais, il était le futur général des guerriers et elle la sœur de l'Empereur. Qui de mieux pour représenter leur peuple ? Ils avaient beau être opposés, bien des choses les rapprochaient.

Ayant pensé ses mots avant de les dire, Angani se confia enfin :

« Si nous ne pouvons organiser de rencontre rapproché, je pourrais me rendre jusqu'à Prideland accompagnée de Khassim. Je ne l'aime pas et il ne m'aime pas mais nous formons malgré tout une bonne équipe. »

Angani soupira brièvement, peu enchantée à l'idée d'admettre une telle chose. Comme abattue par ces affaires d'état, la belle lionne se laissa glisser sous le poids de son corps et adopta une position plus confortable, légèrement appuyée contre son frère dont la chaleur qu'il dégageait était délicieuse.

Soudainement un peu rêveuse, Angani dressa un regard mélancolique en direction de ce dernier. A quand remontait leur dernier tête à tête ? Ils étaient enfin seuls et les voilà discutant de politique assommante. La lionne soupira, presque amusée. Ils n'étaient plus des enfants et ce depuis longtemps mais perdue dans les dunes et à l'abri des regards indiscrets, Angani se permettait d'être autre chose que cette lionne grande et forte pour laisser paraître son visage amoureux et sensible. D'une voix douce, elle demanda :

« Penses-tu que nous pourrions passer la nuit ici, juste tous les deux ? Cela fait si longtemps. »

Les mots de son autre apaisèrent son cœur en doute. Il était là comme il l'avait toujours été mais le serait-il toujours ? On ne pouvait spéculer sur l'avenir à moins d'être fou ou chaman. Le futur était imprévisible et pouvait gracié autant qu'il pouvait blâmer. La féline soupira doucement puis enfonça sa tête contre l'encolure du mâle.

Tout semblait devenu plus compliqué depuis son retour d'exil. Angani avait peu à peu pris conscience des lourdes conséquences du rêve de Vako. Car en réalisant un rêve, il en avait brisé un autre. Être Empereur n'était pas une mince affaire, cela lui demandait du temps, beaucoup même et la politique était sans cesse dans son esprit. Ce monde qu'ils avaient autrefois à eux seuls s'était élargi et pas qu'un peu, tout un clan y était rentré. Autrefois Vako n'était qu'à elle mais les temps avaient changé. Pourtant les choses restaient les mêmes, Angani n'avait jamais aimé partager ce qu'elle aimait.

Ses paupières se fermèrent dans une grande délicatesse et la jeune lionne se laissa bercé par le rythme cardiaque de son jumeau. Il était à la fois agile et apaisant, comme une rivière sauvage qui pouvait à tout moment sortir de son nid mais dont la beauté était insaisissable et le chant si harmonieux qu'il pouvait bercer le plus fou des lions. Angani soupira une nouvelle fois. Elle ne voulait pas partager son autre, elle ne le voudrait jamais. Et pourtant, là revenait la fatalité de la situation : un rêve exaucé pour un rêve brisé. Un Empereur ne pouvait être seul et la place à ses côtés ne devait être vacante. Vako devait trouver une compagne. La féline retint un grognement de rage.

Savait-il combien tout cela était difficile pour elle ? Bien sûr qu'elle était heureuse de voir son frère maître des dunes, c'était son rêve depuis qu'il était lionceau mais les contre parties se faisaient de plus en plus nombreuses et pressantes. C'en était fini de leur temps à deux. On s'adressait à elle comme à la sœur de l'Empereur et non à la lionne, elle n'était qu'une ombre pour beaucoup tandis que son frère brillait dans la lumière mais toutes ces choses, Angani pouvait les supporter. Elle avait les épaules assez larges pour cela mais elle n'était pas invisible et sa forteresse si durement bâtie s’effondrait à la simple idée de voir son frère prendre compagne.

Ils savaient tous deux que ce sujet restait à aborder mais aucun ne semblait prêt à franchir le pas. Ce serait brisé ce moment où il n'y avait qu'eux, loin de tous et de tout. Angani aurait aimé que cela ne cesse jamais, que ce moment perdu au milieu du Désert soit éternel comme l'était leur amour. Un amour proscrit, condamné et voué à rester secret. Jamais personne ne pourrait savoir combien elle l'aimait d'un amour inconditionnel et sincère. Elle n'en avait que faire qu'il soit son jumeau, c'était lui et pas un autre. Incapable et démunie face à cette fatalité, la féline que certains aimaient surnommé reine de glace laissa fondre sa carapace et une larme unique perla de son œil.

Le monde autours d'eux semblait s'être arrêté de tourner, ce n'était plus que les jumeaux. Leur souffle n'était qu'un et leurs cœurs battaient à l'unisson. Angani aurait souhaité que ce moment dure encore et encore pour ne jamais s'arrêter. Malgré ce poids dans sa poitrine, il lui suffisait de fermer doucement les paupières et de ne plus penser. Alors, la lionne s'éloignait de tous problèmes et interrogations. Elle était légère. Mais ce qu'elle aurait aimé être réalité n'était qu'un songe et Vako le lui rappela bien.

Délicatement, son autre vint cueillir cette larme qui perlait le long de sa joue. Angani lui sourit maigrement, elle connaissait cette lueur dans son regard et elle savait que la suite des événements n'allait pas lui plaire. Elle ne s'était pas trompée. Aux mots de son frère, la lionne fronça les sourcils. Elle n'aimait pas cela, pire encore elle détestait cette simple idée. Terriblement peinée, elle se dégagea du regard de Vako pour fixer les grains de sable.

« Tu dois prendre compagne. » conclu-t-elle d'une voix froide.

Auparavant insensible à cela, Angani avait appris à détester la politique. C'était ce fléau qui lui arrachait lentement son autre et qui bientôt, le pousserait dans les pattes d'une lionne qui n'était pas elle. Supporterait-elle de voir son aimé aux côtés d'une femelle qu'il baptiserait lui-même sa compagne, celle qui deviendrait son Impératrice et porterait ses enfants ? Non bien sûr que non, elle se rendait déjà malade à cette idée mais Angani s'était fait une raison. Ce n'était pas une question de choix mais de politique. Qu'elle le veuille ou non, ce moment finirait par venir.

Accablée, la lionne quitta lentement l'étreinte de son frère et vint s’asseoir un peu plus loin, le dos tourné. Elle ne pouvait supporter cette proximité quand il parlait de la détruire. C'était cruel.

« Sais-tu déjà sur quelle lionne se portera ton choix ? »

Qui serait cette lionne à qui on accorderait son plus grand souhait ? Angani la détestait déjà.

Loin de calmer ses peurs, les mots de l'Empereur ne lui déchirèrent que davantage le cœur. Un amour impossible. Ils le savaient, l'avaient toujours su mais jusque-là les jumeaux étaient parvenus à s'en sortir, ils avaient créée ce petit monde rien qu'à eux mais voilà que celui-ci était prêt a imploser. Angani aurait aimé hurler tant la colère et l'amertume la possédaient.

Elle s'était pourtant déjà préparée à cette question épineuse, elle y avait songé dès lors que son frère lui avait confié son plus grand rêve. Un Empereur ne pouvait rester seul à la tête du Désert. Un temps leur amour semblait avoir été mis à l'abri, ce sujet avait été mis de côté et les deux amants avaient continué leur idylle secrète. Mais cet aboutissement d'un rêve d'enfant en briserait-il un autre ? Supporterait-elle de voir son aimé aux côtés d'une autre tout en sachant qu'elle ne pouvait clamer son amour pour lui ? Elle l'ignorait, c'était trop dur.

Longtemps, elle n'avait vécu que pour son frère. Tout ses faits et gestes avaient été orchestrés dans le but d'asseoir le règne de Vako mais voilà qu'à l'aube de la dernière étape, Angani se faisait réticente. C'était leur amour ou son rêve. Elle soupira, finalement résignée.

« Ne choisis pas une lionne plus belle que moi ni même plus sage ou plus douce. Ne choisis pas une lionne dont je serais plus envieuse et jalouse que je ne le suis déjà. »

Elle la détesterait, c'était certain mais elle ne voulait pas envier ces qualités qu'elle n'avait pas. Si Angani pouvait choisir à la place de son frère, elle s'empresserait de choisir une lionne dont elle ne craignait rien. En soi, ce n'était pas de perdre l'amour du lion dont avait peur la guerrière, elle le savait éternel mais elle craignait une nouvelle proximité entre lui et cette autre, une lionne qui le suivrait nuit et jour et partagerait sa couche. Une lionne qui pourrait publiquement exercer une position qu'elle ne pouvait.

Angani serra les crocs. L'Empereur aurait ce qu'il voulait : une Impératrice. Elle capitulait. Mais quelque chose en elle se brisa. Son cœur peut-être.

Lentement, la féline se retourna vers son autre et le contempla longuement. Son regard était terriblement triste mais également résolu. Tant de pensées bouleversaient son esprit qu'elle se sentait perdu. Elle avait besoin de distance. La démarche lente, elle s'approcha de son jumeau et passa doucement son museau dans la crinière cendrée du mâle.

« Bonne nuit. » murmura-t-elle avant de se détourner vers le désert.

Elle avait changé d'avis, elle ne voulait plus savourer ce moment isolé jusqu'au dernier instant. C'était peut-être bête sachant que Vako avait maintenant son accord pour se trouver une compagne mais ce serait nié son ressenti que de se laisser bercer dans ses bras cette nuit, pas après une telle discussion. Elle lui en voulait. Péniblement.

Plutôt que de prendre la direction du campement, la féline s'enfonça plus profondément dans les dunes désertiques, à la recherche d'isolement pour calmer sa peine. C'était la première fois qu'elle délaissait de la sorte son aimé mais n'avait-il pas commis pire affront ? Plus que jamais la jeune lionne ressentait le besoin de se défaire de l'ombre de l'Empereur car si elle n'y parvenait pas, cela la tuerait. Angani avait besoin d'être elle-même de nouveau pour ensuite avoir la force de se relever.

Le vent nocturne lui semblait plus froid que d'ordinaire ou peut-être était-ce elle qui avait oublié la chaleur.