Outlands. Mon museau se leva pour respirer l'air qui me venaient de mes terres natales. Des terres brûlées, des terres de misère et de famine, où lions et termites cohabitaient pour le point qu'ils avaient en commun : pour ceux de l'extérieur, l'un et l'autre étaient des nuisibles. C'était ma maison, l'endroit où, peut-être, ma mère me pleurait.
Le phacochère que j'avais mangé quelques jours plus tôt m'avait fait beaucoup de bien, assez pour que je trouve le courage de m'avancer près de la frontière qui m'était désormais interdite. Un frisson de peur hérissait mon poil, cependant. M'attendais-je à voir Shujaa faire le guet au frontières d'Outlands, sur les chemins que j'empruntais pour sortir discrètement — et illégalement — d'Outlands afin de trouver quelques proies plus nourrissantes que ce que nous trouvions chez nous ? Oui, irrationnellement, oui. Il devait pourtant me croire déjà mort. Des semaines que j'errais. Même moi, j'ignorais comment je m'en étais sorti jusque-là. L'idée, sûrement, que survivre était la promesse de me rendre justice. Ou plutôt, vengeance. Car ce noir sentiment, depuis que le sang chaud d'une proie fraîche et dodue avait baigné mes babines, me dévorait l'âme comme un acide. Tout ce qui m'était revenu de force avait alimenté ma colère et ma haine.

Je fis quelques pas, me gardant cependant de m'approcher de trop près des frontières. Je n'avais rien à faire non plus de ce côté-ci, d'ailleurs. Je venais, pour un dernier regard, un adieu silencieux avant de m'éloigner de Prideland comme j'avais quitté Freeland. Sans idée de l'endroit où aller ensuite.
Ma patte gauche était encore douloureuse, mais c'était au moins une des blessures qui se remettait le mieux. Tout comme le coup de patte qui me lacérait la face. D'épaisses croûtes couvraient maintenant les blessures, nettes et bien en lignes. M'aurait-on reconnu, si un outlander de ma connaissance se profilait aux abords des frontières et m'apercevait ? Moi-même, j'ignorais qui j'avais vu dans le reflet de l'eau, lorsque je m'étais arrêté au Lac-au-Roi pour boire et, quand ma langue était passée sur mon flanc creusé par la faim, les bosses de mes côtes m'avaient tiré une vive amertume.

Soudain, je me figeai. Un lion massif s'était arrêté dans le lointain, et je vis clairement qu'il m'avait remarqué. Je fis quelques pas en arrière, puis m'éloignait en trottant tant bien que mal, sentant mon pas plus boitillant que souple. Un frisson me parcourut l'échine et je m'arrêtais pour me tourner nerveusement. Me suivait-il ? Pire, il venait carrément vers moi. Mon frère ? Non, ce pelage n'était pas celui de Shujaa. Cela ne me rassurait pas cependant. Plissant les yeux, je reconnus, alors qu'il approchait, le puissant Hasira, bras droit de Massempo. Une peur aussi vive que soudaine me noua les entrailles. Et si Shujaa avait raconté que j'avais renié le clan ? Qu'allait-il faire de moi ? Je pouvais toujours fuir, mais il me rattraperait en moins de temps qu'il fallait pour le dire. Peut-être, s'il me reconnaissait, du moins, me laisserait-il le temps de m'expliquer avant de me chasser, ou pire.
Alors, rassemblant mon courage, je fis volte-face, les pattes avant ployées sous ma maigre carcasse, le flanc proche du sol, mais en alerte. D'un coup d'œil, je remarquai qu'une boule de poils suivait le grand lion, et cela me fit comme une bouffée d'oxygène après une longue apnée. Si un lionceau accompagnait Hasira, c'était que ses intentions n'étaient, pour le moment du moins, pas complètement belliqueuses. Était-ce la ma chance de retrouver mon foyer, ma famille ? Et mon regard trahissait-il ma peur et mon angoisse ? me demandais-je quand, m'efforçant de demeurer immobile, je les laissais venir à ma rencontre.