Le vieux lion laissa son regard balayer l'immensité du désert, les yeux plissés pour se protéger du sable qui menaçait de l'aveugler. Quelques jours auparavant, il avait eu une brève conversation avec Vako, qui lui avait expressément demandé de tout mettre en oeuvre pour retrouver Hatari, l'exilé contre lequel le général avait quelques griefs. Il comptait donc faire le maximum pour lui mettre la patte dessus et avait dépêché ses guerriers sur cette importante mission. L'autre priorité de Chenko était de trouver la piste de Kwadja, la Mositus qui avait mené l'attaque contre les siens et qui avait réussi à prendre la fuite, telle la lâche qu'elle était. A cause d'elle, son clan avait été décimé, et un nouveau affront avait été fait aux maîtres du désert. Le lion des sables n'avait pas l'intention de la laissait en vie, il avait la clair intention de la dénicher et de lui faire la peau, sans autre forme de procès. Tout ceux qui s'opposaient aux Jangowas devaient mourir, telle était la loi du désert. Sans s'en rendre compte, il s'était dirigé vers le Jardin des Os, une terre aride qui avait été nommé ainsi car les cadavres des Mositus, dépouillé de toute chair, s'y trouvaient toujours. Cet endroit n'avait rien d'agréable, même pour Chenko, qui était pourtant ampli de satisfaction à l'idée que leurs ennemis de toujours aient été éradiqué. Il regardait cependant ce paysage de mort avec une expression amer, songeant à la volonté d'Akili de les sauver en leur permettant l'exil.

Chenko secoua la tête et donna un coup de patte dans un os qui alla rouler dans le sable dans un bruit sec. Le vieux mâle se rendit alors compte qu'il n'était pas seul dans ce terrain de souvenirs, et repéra une silhouette féline. En s'approchant à pas de velours, il finit par identifier Angani, la sœur de l'Empereur. Elle était également ce qui ressemblait le plus à une conseillère pour Vako, toujours à traîner dans ses pattes. Le vieux général avait pu admirer la fougue et la rage de la lionne lors de la guerre, et n'avait rien à redire quant à ta loyauté. Elle était farouche et fière, exactement le genre de femelle qu'il aurait aimé voir pour son fils. Elle était cependant bien trop proche de son frère, et cela ne plaisait guère à Chenko. Il n'appréciait pas énormément ce jeune Empereur, qui manquait bien trop de respect à son prédécesseur à son goût. Angani était donc devenue source de méfiance pour le vieux mâle. C'était une lionne, elle ne devait pas représenter un grand danger, mais elle restait tout de même pleine de mystère et d'incertitudes, exactement ce que Chenko détestait. Durant l'espace d'une seconde, le lion se demanda comment Vako réagirait si sa précieuse sœur disparaissait. Quoi de mieux pour l'affaiblir que de se débarrasser de sa plus fidèle alliée, une des rare qui le soutenait sans la moindre hésitation. Et il avait là une occasion en or, la féline ne l'avait pas vu, elle serait sans doute facile à abattre.

Le mâle chassa aussitôt cette pensée de son esprit. Il avait l'esprit retors, mais il n'était pas un traître à son rang. Il n'était pas honorable de tuer quelqu'un de dos, et encore moins s'il s'agissait d'une femelle. Il n'aurait pas eu grand mal à camoufler son crime, car personne n'aurait osé l'accuser, mais Chenko ne voulait pas de sang des siens sur ses pattes. Pas pour l'heure du moins. Peut-être pouvait-il plutôt faire de cette Angani une alliée ? Il s'approcha d'elle, en cessant de dissimuler sa présence, n'hésitant pas à percuter quelques os pour s'annoncer. Une fois qu'il fut non loin de la féline, il déclara, de son habituelle voix sèche et autoritaire :

- Des signes de la présence de Mositus dans les parages ? Je m'étonne que les survivants n'aient pas essayé de reprendre les cadavres de leurs chers camarades. Il faut croire que tenter de récupérer l'Oasis valait bien la perte de la totalité des siens pour cette lionne sans honneur.

Le mépris qui suintait dans sa voix était palpable, comme du venin s'échappant des crocs d'un serpent. Il arriva à hauteur de Angani et la salua d'un petit mouvement de tête. Il ne s'attendait pas vraiment à une réponse. Cela faisait des jours que les guerriers ratissaient le territoire en quête d'intrus, en vain. Il ajouta :

- Garde les yeux ouverts. Je cherche un exilé, Hatari, pour notre Empereur. Il veut le voir mort, et moi aussi. Ce traître s'est joint aux Mositus pour tenter de nous nuire, il est temps de tout mettre en place pour se débarrasser de lui.

Il laissa son regard se promener sur le paysage désertique d'ossement, parlant comme toujours sans regarder son interlocutrice, fidèle à ses habitudes. Cela lui donnait un côté distant, encore plus qu'il ne l'était déjà, et méprisant. Le général des Jangowas, dans toute sa splendeur.

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Le vieux mâle sentit le regard de la féline effleurer son visage, sans la moindre once d'hésitation ou de gêne. La plupart des Jangowas faisait preuve de déférence à son égard, mais il avait là la soeur de l'Empereur. Sans doute se sentait-elle tout permis, protégé par son illustre frère, loin de se douter que Chenko envisageait de la tuer quelques instants auparavant. Lui même aurait été bien incapable de deviner les pensées de la lionne, il ne daignait même pas tourner la tête vers elle. Angani répondit cependant, sans étonner grandement le général.

- Si ce n'est leurs ossements, aucun Mositus.

Chenko ne s'était pas attendu à mieux. La guerre remontait à plus d'un mois à présent, il y avait peu de chance que les lions bruns survivants aient décidé de rester dans les parages. Quelques rescapés avaient été achevés, les Jangowas avaient trouvé des cadavres dans le désert, mais ces découvertes avaient cessé quelques jours après la fin de la bataille. Depuis, tout était calme, la paix était, d'une certaine manière, revenue entre les dunes. Le vieux général ignorait s'il s'agissait d'une bonne ou d'une mauvaise nouvelle, mais au moins, il étaient tranquilles. Chenko n'avait jamais rechigné face à la guerre, il s'était toujours battu avec ardeur, même lors de l'assaut des Mositus, alors que son âge avancé aurait du le laissait sur la touche, mais il commençait à sentir une certaine fatigue le gagnait. Il refusait bien sûr de l'admettre, et continuerait de se tenir bien droit sur ses pattes, quand bien même le danger se dresserait devant lui, mais il avait conscience qu'il ne ferait plus long feu. Il était déjà chanceux d'avoir survécu aussi longtemps, dans le désert cela relevait du miracle. Il ne comptait pas partir tout de suite, il avait encore beaucoup de choses à faire, mais son ère touchait doucement à sa fin, il ne pouvait se le cacher.

- En bafouant à deux reprises nos lois ancestrales, il nous a non seulement trahi mais aussi humilié. Par deux fois, il a choisi les Mositus à l'encontre de son clan natif. Il n'a plus rien d'un Jangowas si ce n'est le sang qui coule dans ses veines dont il n'est plus digne et son cœur battant est une nuisance. Il a sans nul doute fui le désert et ce probablement avec les autres fuyards. Devrions-nous lancer une expédition en dehors des frontières ?

Les paroles de la lionne plurent au vieux lion. Il appréciait l'esprit guerrier et fougueux de Angani, elle était digne des Jangowas. Il était regrettable que son frère n'ait pas son ardeur, il paraissait toujours beaucoup plus mou. Chenko se demanda s'il serait un jour capable de considérer la féline indépendamment de Vako, et songea que cela l'aiderait sans doute à davantage apprécier la femelle. Enfin, était-il une bonne idée de l'apprécier ? En faire une alliée était une chose, mais une amie... Le général n'avait pas d'ami, pas depuis la mort d'Akili. Cela faisait déjà un an, mais il n'était toujours pas prêt d'oublier celui qui avait été son plus fidèle camarade. Chenko n'avait jamais été quelqu'un de très avenant, même lorsqu'il était jeune, et ce n'était pas prêt de changer. Il éloigna ces pensées de son esprit et se concentra sur les paroles de la féline. Il fut tenté de lui répondre clairement, mais décida de jouer plus finement. Il se tourna vers elle, enfin, et déclara, en la regardant dans les yeux :

- Vako pense que Hatari reviendra de lui-même dans le désert, et qu'il cherchera à nouveau à nous nuire. Qu'en penses-tu ? Selon toi, devrions-nous dépêcher une patrouille hors du désert ?

Le vieux lion avait son avis sur la question, mais se garda bien de la dire. Il voulait jauger Angani, voir ce qu'elle pensait, comment elle réfléchissait. L'objectif de tout cela était bien sûr de savoir si elle était digne de son intérêt, et de sa confiance. Chenko n'aimait pas perdre son temps, surtout pas avec des incapables. Si la lionne ne lui servait que des imbécillités, il saurait à quoi s'en tenir. Cependant, si elle faisait preuve d'un peu de réflexion... Peut-être mériterait-elle son attention ?

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Comme il pouvait s'y attendre, Angani soutint son regard sans ciller, un calme étonnant se dégageant d'elle. Malgré ses paroles pleine de rancœurs, elle semblait se maîtriser et réfléchir posément aux paroles du vieux général, une attitude qui lui plu. Il aimait la fougue et la force, mais ceux qui qui n'agissaient que sur des coups de tête étaient des idiots à ses yeux. L'entraînement qu'il avait offert à son fils ne s'était pas concentré que sur la force brute mais également l'apprentissage de la patience et de la réflexion. En se plongeant, ne serait-ce que pendant une poignée de seconde, dans les prunelles de la femelle, il vit qu'elle ne prendrait pas de décision à la légère et qu'elle ne parlerait pas dans le vide. Il était encore trop tôt pour juger la lionne, mais il en avait déjà un meilleur opinion que de son frère. Il n'oubliait cependant pas qu'elle le soutenait corps et âme et qu'elle était extrêmement proche de lui. Cette conversation lui serait peut-être entièrement retranscrite, il devait donc prendre garde à ce qu'il disait. Cela ne poserait pas vraiment de problème, Chenko faisait toujours attention à ce qu'il disait, surtout lorsqu'il évoquait l'Empereur.

- Un vieil adage dit : Frappe avant d'être frappé. Je suis de cet avis. Si nous laissons Hatari fuir sans le pourchasser, il se pensera au-dessus de nos lois. Nous avons déjà été clément son égard par le passé, ne le soyons pas deux fois.

Le vieux général plissa les yeux et hocha doucement la tête. Cette question était complexe, et il était satisfait que la féline ait un avis différent de Vako. Il s'était attendu à ce qu'elle l'approuve sans réfléchir, mais il l'avait mal jugé. Il la considéra d'un nouvel œil, esquissant un sourire mental. Son visage restait toujours aussi glacial, mais le vieux lion se sentait déjà plus confiant. Il était encore loin d'accorder un total crédit aux paroles de la lionne, mais il pouvait l'écouter sans penser qu'elle était complètement à la botte de son frère, ce qui était un grand bon en avant. L'impression qu'il avait eu quelques secondes auparavant se confirmait, et cela le satisfaisait. Pour ce qui était de sa réflexion, Chenko penchait plutôt en sa faveur. Il n'avait jamais approuvé l'idée d'envoyer des Jangowas hors du désert, mais laissait Hatari libre de ses mouvements était une erreur. Le général regrettait amèrement que Vako ne l'ai pas laissé le tuer le jour où il avait combattu Akili. Il avait été faible et idiot de penser que l'exilé en resterait là, alors qu'il se pavanait ouvertement sur leur territoire, ce qui était d'une arrogance extrême.

- S'il le faut, j'en toucherai quelques mots à l'Empereur. Peut-être m'écoutera-t-il.

Chenko haussa un sourcil, quelque peu surpris. Ainsi, elle était prête à plaider en sa faveur contre son frère ? Voilà qui était un revirement tout particulier, auquel il ne s'était pas attendu. Cette jeune lionne était décidément pleine de surprises. Accepter était sans la meilleure chose à faire, car comme elle le disait, Vako l'écouterait sans doute, elle, sa chère sœur. Le vieux lion décida cependant d'agir autrement. La conversation ne s'arrêterait pas ici, il ne l'avait pas encore décidé. Il n'avait pas fini de jauger Angani, il lui restait des choses à apprendre. Il secoua donc la tête et détachant son regard de la femelle, trouvant un point fixe sur la barrière que formait l'horizon. Il répondit donc, d'une voix dure où une certaine lassitude perlait :

- La parole de l'Empereur fait loi ici dans le désert. Toute ma vie je me suis échiné à faire respecter ces lois, je n'irai pas contre elles aujourd'hui, peu importe ce que je pense.

Il laissa quelques secondes filer, sentant un curieux mélange d'émotions le traverser. Que lui arrivait-il ? Il jouait la comédie non ? Alors pourquoi éprouvait-il quelque chose ? La lassitude qu'il avait feinte... N'était-elle pas réelle ? Quelque chose pesait sur les épaules du vieux lion, et ce depuis longtemps déjà. Cela remontait... Cela remontait à la mort de Hasnaa. Lorsqu'il reprit la parole, sa voix lui paru lointaine, comme un écho de lui-même.

- J'ai perdu ceux qui m'étaient chers pour ces lois. J'ai laissé ma compagne mourir, empoisonnée, sans chercher de remède hors du désert parce que la place d'un Jangowas est ici. J'ai regardé mon unique ami périr sans lever la patte pour l'aider parce que telle est la loi. Il fit une courte pause, puis repris, en se tournant vers Angani. Serais-tu prête à braver les lois du désert pour sauver celui que tu aime ?

Pourquoi lui disait-il tout cela au juste ? L'âge ne lui faisait décidément pas du bien, le voilà qui commençait à radoter. Raconter sa vie et ses regrets à la sœur de l'Empereur qu'il détestait, voilà qui était bien la pire des idées. Elle se dépêcherait sans doute de lui raconter cette conversation et de lui faire part des faiblesses du vieux lion, afin que Vako puisse appuyer sur les endroits douloureux lors de leur prochaine entrevu. Il aurait mieux fait de tuer cette lionne lorsqu'elle avait le dos tourné. Chenko avait oublié à quel point le regard d'une femelle pouvait avoir un effet meurtrier, même sur l'âme du plus féroce guerrier.

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Un instant perdu entre deux âges, il se rappela le visage plein de bienveillance de Hasnaa avant que la maladie ne l'emporte. Il avait choisit cette lionne pour compagne sans réellement la connaître, simplement pour suivre le mouvement, mais avec le temps, il avait finit par voir en elle une source de chaleur, quelqu'un en qui il pouvait avoir pleinement confiance et qui ne chercherait jamais à se jouer de lui. Il s'était maintes fois confié à elle, lui révélant sans mal ses doutes et ses inquiétudes. Elle avait emporté les secrets du vieux lion dans sa tombe. Khassim avait hérité d'une partie de ces secrets, mais Chenko refusait de montrer ses faiblesses à son fils. Depuis sa naissance, il avait travaillé jour et nuit pour qu'on garçon devienne un guerrier puissant, intelligent et loyal. Il devait le remplacer un jour, devenant le pilier dont le désert avait besoin. Le général avait longtemps tenu cette place, auprès d'Akili et à présent auprès de Vako, mais il ne serait pas éternel. Comme toujours, le fil de ses pensées l'avait ramené à Khassim, et à l'hypothèse de sa propre mort. Il y pensait régulièrement ces temps-ci, sentant cette dure vérité pesait sur lui un peu plus chaque jour.

- Mon seul amour je le porte aux lois qui nous fondent.

Les paroles de la féline ramenèrent le vieux lion à la réalité. Il l'avait quitté des yeux et, tout comme elle, avait laissé son regard se promener sur les ossements qui jonchaient le sol, tandis que ses pensées s'égaraient. Il fut étonné par la déclaration d'Angani, ferme et visiblement sincère. Y avait-il un message derrière ses quelques mots ? Chenko avait pour habitude de déceler ce genre de chose, et son instinct lui soufflait que les paroles de la lionne ne concernait pas seulement les lois du désert, mais quelque chose de plus précis. Il ne chercha cependant pas davantage, ayant la sensation que s'il mettait la patte sur ce que la lionne tentait de cacher, il le regretterait. Le vieux général estimait avoir encore des choses à accomplir pour son clan, mais, étrangement, il ne voulait pas nuire à Angani. Elle était une guerrière loyale, et même si elle soutenait Vako de tout son être, et qu'elle entretenait des rapports flous avec lui, il n'irait pas l'en blâmer. Il venait de le décider. Cette idée le surpris lui-même. Il se méfiait d'elle, bien entendu, car Chenko n'accordait sa confiance à personne, mais il ne manigancerait pas contre elle. D'autres le feraient à sa place, il en avait la certitude.

- As-tu continué d'aimer ces lois quand elles t'ont pris ce que tu avais de plus cher ?

Une question fort étrange, mais légitime, cependant. C'était lui qui avait amené ce sujet sur le tapis, il allait difficilement pouvoir se dérober. Chenko n'était cependant pas naïf, et il se demanda aussitôt si la question d'Angani n'avait pas un double sens. Voulait-elle tester sa loyauté envers Vako ? Malgré son sale caractère, le vieux général n'avait jamais failli à sa tâche et même s'il ne montrait pas un grand enthousiasme pour ce nouvel Empereur, il ne lui désobéirait pas. Il avait souvent pensé à manigancer contre lui, et cette pensée continuerait de le suivre sans doute jusqu'à la tombe. Même si Vako se montrait plus ferme, il resterait à jamais le meurtrier de son vieil ami et cela il ne pouvait l'oublier. Peut-être deviendrait-il un jour un grand Empereur, qui marquerait le désert de sa patte éternellement, mais Chenko le verrait toujours comme un ennemi. Cela ne remettait cependant pas en cause sa loyauté indéfectible au clan. Il resterait un guerrier du désert jusqu'à son dernier souffle, il n'avait aucun doute là-dessus. Lorsqu'il répondit, sa voix avait retrouvé sa dureté habituelle.

- Je n'ai pas d'amour à donner à ces lois et au désert. Seulement ma loyauté, mon courage et ma force.

L'amour n'avait ouvert en lui que des plaies, il n'en avait plus besoin. Ce n'était pas par amour qu'il restait auprès des Jangowas, c'était sa place, tout simplement. Il était né ici, avait décidé que son destin resterait encré dans la mémoire, à travers lui mais également à travers son fils, et avait tout fait pour que cela se réalise. L'amour n'avait rien à voir là dedans. Il reprit, en jetant un coup d’œil à la lionne.

- Je ne sais pas grand chose sur l'amour. J'ai aimé, jadis, mais cela remonte à loin maintenant. Ce n'est pas l'amour qui a fait de moi le général des Jangowas, c'est ma détermination et mon dévouement.

Le désert s'était chargé d'engloutir ceux qu'il avait aimé, ils s'étaient transformé en souvenir. Le clan entier se souviendrait d'Akili encore longtemps, car il était resté Empereur durant de longues années, mais Hasnaa allait peu à peu disparaître des mémoires. Qui se rappelait son visage encore aujourd'hui ? Il sentait une angoisse sans nom à l'idée qu'un jour il pourrait l'oublier lui aussi. Et lorsqu'il mourrait à son tour, qui honorerait sa mémoire ? Son fils bien sûr, mais ensuite ? Khassim devait trouver une compagne et avoir des enfants, il devait assurer leur lignée. C'était nécessaire.

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Chenko sentit que ses paroles touchaient Angani, d'une manière ou d'une autre. Les questions se lisaient dans ses prunelles, des questions qu'elle n'osait peut-être pas formuler. Quels secrets gardait-elle enfouit en elle ? Le vieux général aurait, jadis, essayé de le découvrir. Mais il savait que son temps était fini, il devait terminé ce qu'il avait commencé et ensuite, il laisserait sa place. Il ne voulait pas mener son enquête sur Angani, plus maintenant. Cette discussion qu'il avait eu avec elle lui suffisait. Il l'avait vu comme une menace, avait envisagé de se débarrasser d'elle, froidement, sans le moindre scrupule. Mais à présent, il éprouvait de la sympathie pour cette femelle, qui lui faisait penser à Hasnaa. Il avait l'impression de revoir un peu de son ancienne compagne dans le regard d'Angani. Pourtant, les deux lionnes n'avaient pas grand chose en commun mais Chenko le sentait tout de même, au fond de lui. S'il tentait de blesser la sœur de Vako, il aurait l'impression de s'en prendre à Hasnaa.

- Penses-tu que l'amour est une entrave à l'ambition ?

Le vieux général regarda son interlocutrice dans les yeux, quelque peu surpris. Il ne s'était pas attendu à ce qu'elle lui livre ses propres interrogations, mais peut-être était-ce un juste retour des choses. Quelques instants auparavant, Chenko avait parlé à cœur ouvert, sans réellement savoir pourquoi. Angani avait-elle ce besoin de s'exprimer plus librement, à demi mot certes, sur ce sujet si complexe et mystérieux ? Le vieux général décida de lui donner le fond de sa pensée, tel qu'il concevait les choses à présent, après toutes ces années dans le désert.

- Certains voient l'amour comme une force, mais je la vois plutôt comme une faiblesse. L'amour nous rend distrait, émousse notre rage de vaincre, fait baisser notre garde. Si nous devons choisir entre l'amour et notre devoir, alors oui, l'amour est une entrave à l'ambition.

Il n'avait pas eu à faire ce choix au cours de sa vie, sa compagne étant une Jangowas effacée et discrète. Il ne l'avait pas aimé avec passion, avec fougue. Il l'avait d'abord vu comme une obligation, avoir une compagne pour montrer sa virilité au sein du clan, puis avait appris à l'apprécier, à voir le charme qu'elle avait en elle, et avait fini par l'aimer. Puis elle lui avait donné un fils, et il avait aimé ce fils. Khassim représentait beaucoup pour lui, il était sa fierté, sa descendance, celui qui permettrait à sa lignée de survivre à travers le temps. Chenko savait cependant que l'amour qu'il portait à son fils ne devait pas le détourner de son devoir. Il avait toujours fait passer son rôle de général en premier, et avait passé tout le reste de son temps à former Khassim pour qu'il puisse un jour prendre sa place. Ce jour ne tarderait pas à venir, désormais. Le vieux lion sentait qu'il n'était plus aussi fort et vif, il s'affaiblissait et cela le peinait. Il ne pouvait toutefois rien y faire, il était impossible de se battre contre l'âge.

- Je ne peux que être en accord avec tes propos, j'espère que Khassim sera aussi réfléchi.

Les mots de la féline sortirent le général de ses pensées. Il rencontra à nouveau le regard de la femelle, interloqué. Il se souvenait de sa conversation avec Khassim, quelques temps auparavant. Son fils lui avait confié ne pas beaucoup apprécié la sœur de l'Empereur, et Chenko lui avait ordonné de rester en bons termes avec elle afin d'entrer dans les bonnes grâces de Vako. Il n'avait visiblement pas fait beaucoup d'effort pour accéder à la demande de son père, ce qui le contrariait un peu. Il allait donc devoir s'en mêler, afin d'espérer calmer le jeu entre ces deux jeunes félins. Chenko demanda, d'un ton plus nonchalant, veillant à ne pas se montrer accusateur.

- J'ai comme l'impression que tu ne t'entends pas très bien avec mon fils. J'ai pris beaucoup de mon temps pour parfaire son entraînement et faire de lui ma digne relève. Puis-je savoir ce que tu lui reproche ?

En temps normal, Chenko n'aimait pas qu'on médise de son fils, et se montrait désagréable envers ceux qui le critiquaient, mais cette fois-ci, son état d'esprit était différent. Qu'est-ce que Khassim avait fait de mal ? Dans sa jeunesse, et même encore aujourd'hui, Chenko était apprécié de son clan, et pas seulement pour sa droiture. Il était également charismatique et avait espéré transmettre cela à sa progéniture. Visiblement, il avait encore des choses à apprendre dans ce domaine.


[Vraiment navrée de ce long retard, j'ai eu des semaines compliqués ces derniers temps, beaucoup de boulot, des partiels... Enfin, maintenant je suis pleinement de retour !]

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Un petit sourire apparu sur les babines de la lionne aux prunelles dorées, ce qui interloqua Chenko. Trouvait-elle son côté protecteur envers son fils amusant ? Le vieux général avait conscience qu'il ne pourrait pas toujours être là pour veiller sur Khassim et pour s'assurer qu'il accomplisse correctement son devoir, il allait devoir le laisser voler de ses propres ailes, à un moment où à un autre. Il n'était pas facile de voir son enfant grandir, le lion des sables le réalisait, peu à peu. Il avait passé tant de temps à entraîner son fils, à le guider, à lui enseigner tout ce qu'il savait, avait-il était un bon père ? Il n'était pas un tendre, et n'avait jamais considéré la douceur et l'indulgence comme des moyens d'éduquer sa progéniture, mais il espérait malgré tout que Khassim avait conscience que Chenko l'aimait. Cet amour avait-il été une faiblesse ? Peut-être, car il avait empêché au général d'envisager de prendre un autre Jangowas comme apprenti et donc de faire un choix plus neutre dans sa succession. Mais qui d'autre que son propre sang était mieux placé pour prendre sa relève ?

- Rien ne semble t'échapper.

Le patriarche se demanda s'il s'agissait d'un réel compliment et haussa un sourcil, une vague lueur amusée dans le fond de ses prunelles. Il ne méritait toutefois pas tant d'éloges, il avait toujours fait en sorte de tout savoir, de comprendre tout ce qu'il se passait parmi les siens. Il avait compris depuis bien longtemps que le savoir était un pouvoir qu'il fallait apprendre à manier, et connaître les secrets de chacun avait été l'un de ses leviers pour se hisser le plus haut possible. Il connaissait la vie d'Akili aussi bien que ce dernier, et cela lui avait permis de comprendre de multiples situations souvent complexe. Il espérait à présent que Khassim saurait utiliser intelligemment les connaissances qu'il lui avait transmis et qu'il apprendrait également à soigner davantage ses relations. Chenko savait qu'il ne fallait pas sous-estimer l'aide que pouvait apporter les autres, même s'il préférait régler ses problèmes par lui-même. Avoir des alliés était néanmoins important, très important.

- Khassim est un excellent guerrier, ce n'est en rien ce que je lui reproches. Il s'agit d'avantage de sa personne.

La réponse d'Angani ne rassura pas le vieux général, malgré sa volonté visible de ne pas le froisser. En tant que père mais également en tant que mentor, Chenko s'inquiétait que son fils ne soit pas apprécié du reste du clan, ce qui était tout de même un élément important pour un général. Le vieux Jangowas n'avait jamais été tendre avec qui que ce soit, mais sa droiture, sa loyauté inébranlable et son charisme lui avaient permis d'être considéré comme un lion respectable par les siens.

- … mais ce ne sont que des enfantillages. Les Jangowas sont belliqueux dans leur nature, pas vrai ?

Il esquissa un petite moue perplexe, espérant qu'en effet, il ne s'agissait pas de quelque chose d'important. Il avait demandé à Khassim, quelques temps auparavant, de faire des efforts avec Angani et de s'en faire une alliée, même s'il ne l'appréciait pas énormément. Chenko lui avait dit ne pas beaucoup aimer la lionne, lors de leur conversation, et si c'était le cas lorsqu'il l'avait dit, son sentiment avait changé. Il pensait désormais que la femelle était plus intéressante que ce qu'il avait pensé, et souhaitait que Khassim s'en rende également compte. Ce n'était visiblement pas gagné, mais il ne fallait pas perdre espoir. Le vieux général hocha lentement la tête et marmonna, de sa voix légèrement rocailleuse :

- Effectivement. J'espère néanmoins que vous saurez réglé vos différents. Je pense que Khassim aurait tout intérêt à t'avoir comme allié, je l'encouragerai dans cette voie.

Une fois encore, son regard balaya les environs. La journée avait bien avancée, le vieux lion avait encore des choses à faire avant de pouvoir retourner auprès du clan et se reposer. Il se redressa et s'ébroua pour chasser l'engourdissement de ses membres, retenant difficilement une grimace. La vieillesse lui pesait de plus en plus, il n'était plus aussi vif et fringant que dans sa jeunesse et cela l'ennuyait. Il tâchait bien sûr de ne rien laisser paraître et restait, comme toujours, de marbre.

- Je vais reprendre ma patrouille à présent. Bonne journée à toi Angani, et merci pour ta compagnie.

Il était rare qu'il offre le luxe d'un compliment, mais ce dernier était en tous cas sincère. Sa conversation avec la féline lui avait appris plus de choses qu'il ne l'avait imaginé, il était surpris. Agréablement surpris. Chenko pencha légèrement la tête pour saluer la lionne puis tourna les talons et s'éloigna, curieusement apaisé.


[Vula, fin du RP pour moi ! J'ai beaucoup apprécié ce RP, où j'ai pu découvrir une nouvelle facette de Chenko !]

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