Gagnés... Nous avions remportés notre combat pour récupérer nos terres. Mon frère était enfin roi... Et j'étais devenu son conseiller officiel... Autant de temps qui s'était écoulé, et avait essayé de m'éloigner d'Asahi. Mais malgré ce rouage qui se poursuivait sans faille, je ne pensais qu'à elle... Comment allait-elle ? Où était-elle ? Et ses parents... ? Parfois, je surprenais mon regard qui cherchait à l'horizon. Je pensais juste me mettre en quête d'un endroit sur lequel fixer mon attention pour ne plus penser à tout ça et respirer un bon coup, mais je finissais toujours par me rendre compte que je cherchais Asahi...

Asahi que je n'avais pas revue. Asahi que j'aimais. Je regrettais parfois, en songeant à notre dernière rencontre, de n'avoir pas fait demi-tour pour lui avouer que je l'aimais... Pourquoi ne l'avais-je pas fait ? Je me le demandais parfois, et une voix, sortie de nulle part, ou peut-être sortie de mon cœur, venait pour répondre à cette question. Sous le regard de cette lionne venue nous interrompre ce jour-là, je ne voulais pas revenir sur mes pas, je ne voulais pas avouer tout ça dans la précipitation... Je voulais nous laisser le temps. L'amour c'est comme une fleur, il faut du temps pour que ça pousse, il faut mettre de l'engrais, l'entretenir, et un jour... Un jour... Elle s'ouvre, et on peut contempler le résultat d'autant de jours passés à se poser la question de savoir si espérer servait encore, autant de jours passés, durant lesquels on a versé des larmes en se demandant où tout ça nous menait, si cela n'était pas que le fruit de notre illusion... Une cruelle illusion hein ? Mais admirer autant de beauté, dégagée par une simple plante, si majestueuse, si puissante, si... Une plante qui a elle seule, nous rendait heureux... Si heureux...

Quand on m'avait annoncé que nous rentrerions bientôt à Prideland, j'avais d'abord partagé la joie générale de rentrer chez nous, là où Kumpa et moi avions nos repères, nos anciens jeux... Terres d'autant de souvenirs que même les Nyeusis n'auraient pas pu nous voler. J'entendais nos éclats de rire apportés par le vent, le même qui soufflait dans ma crinière... Je revoyais nos jeux, notre enfance... J'étais heureux avant de penser à Asahi, avant de me torturer en me disant que je ne la reverrais plus... Nous allions donc rentrer chacun chez nous, et c'était fini ? Tout s'arrêtait avant même d'avoir commencé ? Je ne la reverrais plus... Cette simple idée m'était insupportable et brisait mon cœur, me faisant ressentir une douleur si aiguë, si lancinante et pourtant si invisible que personne ne comprenait pourquoi je passais du rire aux larmes...

Je m'étais isolé, non désireux de briser l'ambiance du clan, et m'étais réfugié au Baobab, lieu où j'avais fais la rencontre d'Asahi. Je ne voulais pas avouer qu'elle faisait battre mon cœur plus fort au fil des secondes dans la précipitation, mais avec du recul, je ne pouvais m'empêcher de remettre en question cette décision. Et si je n'avais jamais l'occasion de la revoir ? C'était ici que nous nous étions rencontrés... Pour rien.


- Damu...

Je sursautai, me demandant si mon esprit ne me jouait pas des tours, mais le sang qui s'activait dans mes veines et cette assurance que j'avais dans la tête au moment où je me dis qu'elle était là me prouvèrent que ce n'était pas le cas. Mes yeux se mirent à briller de mille feux tandis que je me retournais, oubliant en un instant tout ce à quoi je pensais quelques minutes auparavant. Mais Asahi était capable de me rendre heureux et malheureux. Elle avait une totale emprise sur moi, et ça me troublait. Tout me revint comme un coup dans la mâchoire lorsqu'elle me demanda si nous allions vraiment rentrer chez nous. Je forçai un sourire et répondis :


- Oui Asahi. Nous avons gagné ! Tu te rends compte ? Kumpa est roi maintenant, et moi conseiller. Et je... Nous allons retourner en Prideland !, m'exclamai-je, euphorique.

Le silence pesa un moment et, déglutissant, j'osai lui demander :


- Et tes parents, comment se portent-ils ? Vous allez rentrer chez vous, toi, eux, et votre clan aussi ? J'imagine que vous n'allez pas forcément rester ici...

Je redoutais le moment où il me faudrait faire un choix entre mon frère et l'élue de mon coeur... Je ne voulais pas le faire, ce choix. Tous deux m'étaient si chers... Fallait-il vraiment partir en direction du passé, ou rester pour construire le futur ?

Asahi ne réagissait pas comme j'avais l'habitude de le voir. Normalement, elle aurait sourit, partagé ma joie... Là ce n'était pas le cas, et cette particularité m'inquiétait grandement. Les oreilles inclinées en arrière, elle ne me quittait pas de ses yeux bleus, qui me rappelaient l'eau de Prideland dans laquelle j'aimais boire ou juste regarder les reflets dansants à sa surface. Je me noyais dans ses prunelles un instant, comme absorbé. Voilà un éclat qui me manquera beaucoup si je ne peux plus le revoir...

La voix cassée, elle répéta que nous allions partir. Je penchai la tête sur le côté, puis sourit, les yeux brillants de souvenirs :


- Hey tu as vu..., dis-je sur une voix à la fois douce et amusée. Ce tic là, je l'ai pris de toi. Tu te souviens ? Tu le faisais tout le temps quand on s'est rencontrés. Qu'est-ce que je trouvais ça mignon...

Elle jeta un regard dans le paysage qui nous encerclait, et je fis de même. Elle se plaça très près de moi, et je ne pus m'empêcher d'être plus qu’embarrassé de sentir sa tête se poser contre ma crinière. Je ne savais pas quoi dire, et, craignant de balbutier encore une fois comme à mon habitude, je me contentai de me taire. Il y a des silences qu'il ne faut pas briser parfois... Je laissai Asahi s'en charger pour moi, et ce qu'elle me dit me troubla :


- Tu... Tu n'es pas heureuse que Prideland soit enfin libéré de l'emprise tyrannique des Nyeusis ? Kumpa peut enfin régner tel un monarque sur son royaume... C'est le roi de ces terres, et il les a reprises. Je ne peux qu'être fier de lui...

Mes yeux ambres se posèrent sur l'épaisse écorce du grand baobab, et un sourire nostalgique se dessina sur mes babines. Il était le père de bien des animaux, et le témoin de bien des histoires... Pourtant il restait là, éternel, immobile et silencieux. Je levai les yeux, suivant le chemin qu'empruntaient ses branches, puis déclarai sur une voix lointaine :


- Tu sais quoi ? C'est paradoxal mais... En venant ici, je détestais cet endroit. Enfin... Non je ne le détestais pas mais... Je ne m'y sentais pas chez moi et je voulais partir au plus vite... Mais je crois qu'avec le temps, et avec les rencontres que j'ai faites ici...

Je soufflai, et posai les yeux sur la lionne qui me tenait compagnie :


- Je crois bien que j'ai finis par m'attacher à ce vieux baobab mine de rien. Je pense que je reviendrai parfois faire un tour ici, et me souvenir... Je commence à penser que ce lieu, c'est un peu comme mon deuxième chez moi.

Je regardais le ciel, et, comme si j'avais pu lui parler, je quêtais intérieurement l'avis de mon père... Farao, papa... Qu'aurais-tu fait ? Serais-tu partis pour suivre ton devoir, ou resté pour suivre ton cœur ? Quelle décision fallait-il prendre... ? Je ne pouvais pas laisser tomber Kumpa, mais je ne pouvais pas non plus abandonner Asahi. Sans m'en rendre compte, en songeant à cela, j'eus tellement peur de devoir la laisser seule ici que mon étreinte se resserra autour d'elle. Je ne pensais qu'un jour, mon destin serait déchiré entre deux mondes...

Je parlais, je parlais... Elle m'écoutait, elle m'écoutait. Cependant, au fur et à mesure que je m'exprimais, je sentais que quelque chose n'allait pas. Sa manière de me regarder arrachait quelque chose à l'intérieur de moi, comme si... Comme si ça m'échappait. Je ne savais pas ce qui, à proprement parler, m'échappait justement, mais ça me faisait trop souffrir pour que je fasse comme si de rien n'était...


- Quel... Quelque chose ne v...

Elle me coupa la parole en m'interpellant, et les larmes que je vis briller dans ses yeux me déstabilisèrent comme jamais je ne l'avais été jusqu'à ce jour. Qu'est-ce que je ne comprenais pas ? Qu'est-ce qu'elle refusait ? Elle criait, elle pleurait presque et c'était comme si ma vie se déroulait, et que je ne pouvais que la regarder. Comme si je ne pouvais qu'assister, impuissant, à ce que les grands rois du passé voulaient me faire vivre. Comme si au final, je n'étais plus maître de rien, et surtout pas de ma vie, ou de ce que j'aurais aimé faire de mon destin.


- Tu es mon seul ami...tu es trop précieux pour mon cœur !

Ce fut tout ce que je retins. Le vent souffla, et mon esprit s'était vidé, mes mots s'étaient envolés... Tout s'était tut autour de nous, comme si la nature nous dédiait les secondes de cet instant pour que nous puissions en faire tout ce que nous aurions toujours voulu...


- A... Asahi...

C'était le premier mot que j'arrivai à prononcer. Elle, avait reprit son discours, se trouvant égoïste, ou se reprochant de l'être. Je ne sais pas, je ne sais plus... Je sais juste qu'elle parlait, et moi... Moi... J'étais perdu.


- Pourquoi ?

Cette question, je ne la posais pas seulement à la lionne rouge, je la posais aussi à ceux qui décidaient, là-haut, de tout ce qui arrivait. Cette interrogation plana longtemps entre nous... J'ajoutai, m'adressant davantage à mon interlocutrice :


- Pourquoi faut-il que tout soit toujours rendu si compliqué, Asahi ?

Je m'éloignai, comme si le tumulte des sentiments que je ressentais soufflait une puissante tornade dans mon cœur. Si je mettais une distance entre la lionne et moi, ma poitrine se serrait... Mais si je ne ressentais pas de joie pour la victoire de Prideland, ma tête sifflait de haine, me reprochant de ne pas partager l'euphorie générale du clan. C'était comme si je me coupais en deux, et qu'il fallait que je ne choisisse qu'une partie de moi-même... Pourtant, je ne pouvais pas vivre qu'à moitié...

Et je souffrais, ô je souffrais tellement ! Cette puissante tempête qui ne faisait que se lever déchira mon for intérieur en miettes, accélérant le flux sanguin de mes veines. Je crispai mes muscles, comme fou d'une rage que je n'avais jamais laissée éclater de toute ma vie... C'était comme si, las d'être dépassé par toute cette situation, je m'autorisais enfin à lâcher prise. Je ne contrôlais plus rien, pas le débit des paroles que je prononçais, ou la violence des gestes que j'aurais... Tout ce que je savais, c'est que j'avais mal, et que je n'en pouvais plus d'avoir mal... Je ne pouvais plus le supporter. Il y a de ces poids que même un prince ne peut subir. Mes crocs se serrèrent, comme s'ils tentaient vainement de retenir cette haine grandissante qui régnait, et qui hurlait qu'on la libère, qu'on la laisse s'extérioriser. Mes yeux laissèrent couler des larmes d'impuissance devant la défaite que je dus accepter et, manifestant enfin la lourde enclume sous laquelle ma passion s'écrasait, je me retournai vivement vers Asahi en haussant la voix :


- Et tu crois que je n'en ai pas assez moi de me sentir égoïste !? Regarde Asahi ! Regarde à quoi j'en suis réduis ! Mon frère aurait pu mourir, ou ne jamais assouvir son règne de roi... Mais c'est le roi ! Tu comprends ça !? Et je ne peux même pas être heureux pour lui Asahi ! Je ne peux pas être heureux parce que nous allons rentrer à Prideland ! Je devrais être euphorique mais... Mais je ne le suis pas ! Nous allons partir, je vais m'en aller ! Je... Je...

Je m'approchai d'elle, complètement hors de contrôle et poursuivis :


- Toutes ces années, j'ai réprimé les sentiments que je gardais ! Toutes ces années j'étais tellement timide et renfermé qu'on a jamais vraiment pu savoir ce que je ressentais... Mais peux-tu seulement imaginer jusqu'à quel point !? Je me suis ouvert à toi Asahi, et en le faisant, je ne peux même pas me sentir soulagé de repartir, parce que je vais quitter... Je vais quitter cet endroit, mais avant tout, je vais te quitter toi..., achevai-je dans un souffle.

Tout cela était si pénible, mais mon cœur lui, retrouvait la vigueur qu'il avait perdu. Je tremblais sous les nerfs qui se relâchaient.


- Je ne peux pas être content de m'en aller. J'aurai toujours la culpabilité de me dire que j'ai abandonné la seule lionne que j'aimais, ma seule vraie amie... Et si j'ai renfermé autant de choses, c'est parce que je m'en sentais capable mais... Mais jamais je ne pourrai être capable de disparaître sans te dire que je t'aime Asahi.

Enfin, je relâchai tout... Et enfin, je me sentais moi, je me sentais libre... Je venais de briser les dernières chaînes qui m’empêchaient de vraiment profiter de la vie. Mes tremblements diminuèrent, et après avoir gardé les yeux clos un instant, j'eus suffisamment de courage pour les planter dans les siens et répéter :

Je me redressai un peu, tentant de retrouver contenance. Je venais vraiment de lui avouer ? Mon cœur ne répondait plus... Je me sentais bien idiot de lui avoir tout dit, je m'en voulais d'avoir haussé la voix. J'étais essoufflé comme si je venais de courir durant des heures consécutives sans m'arrêter ne serait-ce qu'une seule fois. Je dépliai mes pattes, conservant mon regard ancré dans le sien, appréhendant sa réaction. Allait-elle fuir ? Oh j'aurais compris si telle avait été sa décision, et je ne l'aurais empêché de le faire pour rien au monde.

Je lui avais fait peur. Je l'avais vu dans son regard qui ne m'avait pas quitté en cet instant de fureur... J'avais été incontrôlable, et maintenant je ne savais pas si je me sentais bien, ou épuisé. Sans doute les deux. Pourtant, alors que je déblatérais mon monologue sans cesse, une voix me répétait de me calmer, et j'avais mal de la voir aussi peu sûre de moi en cet instant. Je voulais qu'elle me fasse confiance, pas qu'elle me craigne... Je voulais encore sentir sa tête appuyée contre mon épaisse crinière ébène...

Justement, à peine avais-je pensé à cela que sa tête vint se caler sous la mienne. Je sentis de nouveau les battements de mon cœur en cet instant. Il n'avait pourtant pas cessé de battre, je ne l'avais juste plus sentis, comme s'il vivait dans le vide. La lionne déclara qu'elle me suivrait jusqu'à Prideland s'il le fallait. Je soufflai :


- Je suis désolé d'avoir crié... Je ne voulais pas t'effrayer. Je ne sais pas ce qui m'a prit c'est... Trop de tension peut-être, et exténué d'avoir caché ma peine à mon frère, et à mon clan. J'avais l'impression de les trahir, c'est pour ça que je me suis isolé d'eux...

Asahi m'aimait alors... Je n'en revenais toujours pas... Ses mots me parvinrent enfin jusqu'au cerveau, et reculant ma tête pour la regarder dans les yeux, je demandai :


- Mais tu n'es pas sérieuse ? Enfin je veux dire... Et tes parents ? Y as-tu pensé ? Que deviendront-ils sans... Sans toi ? S'ils ont tout aussi besoin de toi que moi, alors ils seront dévastés à l'idée de ne plus te revoir...

Je regardai le paysage. C'était presque un miracle qu'aucun lion ne soit venu rôder dans les environs. Personne, pas une âme. Juste deux cœurs qui se livraient l'un à l'autre, sous le bruissement des feuilles du Grand Baobab, lieu qui se révélait emblématique pour moi maintenant. Il représentait tellement de choses cet arbre...

Je me remémorai notre première rencontre, puis la seconde... Et je me mis à rire en regardant Asahi de mes yeux brillants :


- Dire que je t'imaginais déjà maman..., soufflai-je en la gratifiant d'un regard amoureux.

Asahi s'excusa, certifiant que c'était plutôt à elle de le faire vis-à-vis de moi. Sur ses mots, je m'étonnai, haussant les sourcils pour secouer la tête, symbolisant que je n'étais pas d'accord. J'étais sûrement bien plus en tort qu'elle, puis qu’étant prince, je me devais de toujours garder mon calme, en toutes circonstances. C'était impardonnable de ma part de m'être emporté, laissé dépassé par les événements récents et tout ce qu'ils avaient provoqués en moi.

Au moins, elle avait pensé à ses parents. Bien sûr que nous pourrions leur rendre visite, mais n'allaient-ils pas voir d'un mauvais œil le mâle qui kidnappait leur fille bien aimée ? On dit toujours qu'un père aime sa fille plus que tout non ? Ne risquai-je pas de m'attirer les foudres des parents ? Peut-être croiraient-ils que c'était moi qui aurait insisté, la contraignant psychologiquement à me suivre... Kumpa avait raison quand il disait que je réfléchissais trop parfois... Il n'empêche que les parents de la lionne, je ne les connaissais pas, donc j'avais tout de même un peu raison de m'inquiéter... Même si ce n'était qu'à peine. Mais si la lionne avait mûrement réfléchi et pris en compte les avantages de me suivre à Prideland comme ses inconvénients, c'est qu'elle ne prenait pas elle même l'idée à la légère. Cela relevait encore ce côté mâture chez elle, que j'aimais parce qu'il lui était propre. Là où d'autres lionnes folles amoureuses se seraient très certainement emballées, même au risque de regretter leur choix poussé par l'excitation des sentiments nouveaux éprouvés en l'instant, elle restait tout de même capable de faire la part des choses.

Si je n'avais pas conservé mon regard fixé sur elle, je n'aurais probablement pas remarqué la légère rougeur qu'adoptèrent ses joues suite à ma réflexion sur les petits que je lui avais déjà appropriés. Lorsqu'elle me répondit, je conservai mon sourire tendre un moment, jusqu'à le perdre sous la surprise en comprenant la portée de ses paroles. Elle voulait... Des lionceaux avec moi ? Enfin... De moi ? Naturellement, sous le choc de cette annonce inattendue, mes prunelles ambres étaient semblables à deux billes rondes, et je me mis à bégayer quelques mots sans aucune signification... :


- Mais euh... Que... Je veux dire... Hum... Moi ? Avec moi ? Mais que... Insensé.

Je secouai la tête pour tenter de dire quelque chose de raisonné, et, extrêmement embarrassée comme je ne l'avais jamais été, je laissai ma patte avant droite glisser sur la terre sèche de la lande pour calmer mon stress. Mes joues étaient rouges elles aussi et mon regard fiévreux. En avais-je envie ?


- Beh je... Ce-Ce n'est pas facile de... Hum... Tu comprends hein ?

Il n'y avait rien à comprendre pour l'instant puisque je n'avais rien dis. Je me redressai en toussotant, me raclant la gorge, et je plongeai mon regard gêné dans celui toujours aussi emprunt de bleuté, d'Asahi :


- J-Je... Tu es sûre que tu les veux avec moi ? J-Je... Je ne sais pas trop comment m'y prendre tu sais... Enfin, et si je te faisais mal ? Je suis maladroit hein... Je... Je suis encore un petit lionceau au fond. Je veux dire... Aucune lionne avant toi, jamais, n'a eu l'idée de me proposer un tel acte donc, enfin... Je n'ai pas vraiment d'expérience...

J'étais tellement isolé d'habitude que jamais cette idée ne me serait venue en tête. Les lionnes ne me remarquaient pas forcément la plupart du temps puisque je me plaisais à être le plus invisible possible, et même si elles voulaient m'approcher, ma timidité refroidissait toujours la conversation et leurs ardeurs s'il y en avait eues... Pourtant, en cet instant au Baobab, c'était comme si une voix me disait que cet arbre ne serait pas seulement témoin de notre rencontre, mais de notre union, aussi charnelle puisse-t-elle être...


- Enfin je... J'en ai envie moi aussi mais... Mais je ne sais pas forcément si je serai capable de bien m'y prendre... Je préfère être honnête... M-Mais tu... Tu n'as pas trop peur à l'idée de franchir ce cap avec... Avec moi ?

Des bouffées de chaleur me prirent, et je gardai discrètement la gueule légèrement entrouverte. Si Asahi me donnait son consentement, alors nous serions tous deux entraînés dans un ballet de sentiments qui donnerait un nouveau tournant à notre histoire...

L'amour nous guidera... Ses mots me hanteraient toujours. L'amour serait donc ce qu'il y avait de plus puissant dans ce monde ? Si c'était le cas, alors pourquoi fallait-il qu'il y ait encore autant de confrontations dans cet univers ? Autant de personnalités dont les ambitions n'étaient liées qu'au pouvoir ? Tant d'êtres encore malheureux... Et nous ne pouvions rien faire d'autre que nous soutenir et nous aimer de notre côté en espérant que les jours heureux seraient à venir c'est ça ? Enfin, s'aimer à deux c'était déjà un bon début... Mais jamais je n'aurais pu envisager que je tomberais amoureux, et encore moins qu'une lionne comme Asahi soit intéressée par celui que j'étais. Timide et pas vraiment entreprenant, parce qu'il a peur de mal faire et est maladroit. Peut-être trouvait-elle ça mignon après tout... ?

Asahi, aucune expérience ? Pourtant je l'imaginais déjà convoitée, et accompagnée depuis longtemps... Les apparences parfois vous savez... Au moins ce serait notre baptême à tous les deux. Je me serais sentis bien moins à l'aise si elle avait offert la fleur de la pureté dont on ne peut faire don qu'une fois à un autre lion. Est-ce qu'on devenait plus exigeant par la suite sur ce genre de chose ? Une fois encore, je me perdais dans mes pensées, mais c'était pour mieux atténuer la chaleur qui montait en grade, réchauffant tout mon corps.

Mes songes se succédaient sur une voix rapide, à tel point que j'avais l'impression de penser mais à des détails si insignifiants que je ne pensais pas vraiment... Un état que je ne comprenais pas. De la hâte ? Du stress ? Moi-même je n'aurais su le dire, peut-être une sorte d'excitation-panique-amoureuse ?

Je déglutis, il était donc temps de laisser mes anciens fous rires de petit derrière moi et de devenir un grand. Je ne serais plus un lionceau après cela, ou du moins j'aurais perdu une partie de cette époque, qui m'avait toujours suivie. Le vent souffla dans ma crinière, comme s'il voulait m'encourager à ne plus vivre dans le passé. Je me souvenais rapidement de nos jeux avec Kumpa, et un sourire nostalgique se perdit sur mes babines...

« Il est temps de grandir, Damu. », me dis-je intérieurement.

Je tournai le regard une dernière fois sur cet horizon dont nous allions nous emparer lors de notre première étreinte, conscient que je porterais un regard nouveau sur le monde après celle-ci, et commençai à reculer pour me retrouver derrière la lionne. C'est là qu'étrangement, mes craintes disparurent... Le premier livre de mon histoire prenait fin, pour laisser place à la suite, dans un autre volume, une autre vie... Une vie qui me donnerait cet instinct protecteur que j'avais déjà, le renforçant pour que je soit apte à défendre nos futurs petits en cas de danger. Il était temps maintenant, de bâtir l'avenir une bonne fois pour toutes. Il était temps d'arrêter de fuir, d'écouter la voix de mon subconscient me conseiller...

Cette fois, il était temps de laisser la parole à mon cœur, lié à celui d'Asahi, et de se laisser guider par leurs battements à l'unisson, qui résonnaient dans cette nature endormie...