Obscurité. Silence. Effroi. Un seul sentiment, celui de l'anéantissement. Le néant. L'impression de ne pas exister contrastait avec sa conscience toujours vivante mais incapable de penser. Ca semblait durer depuis une éternité et partit pour l'infinie à venir lorsqu'un léger battement, venu de nulle part, perturba le processus. Calme et régulier, il venait de plus bas mais battait dans la tête. La tête ? Oui, tout semblait revenir petit à petit, transporté par les battements d'un cœur. Ca revenait. Elle revenait. Comme la braise vitale qui reprend feu, c'était comme si elle revenait à la vie. Le silence perdurait et pourtant, il était différent. Le noir était toujours là et cette fois-ci, elle en était consciente. Tout à coup, un esprit, une pensée, elle savait qu'elle était encore vivante. Doucement, un mélange de chaleur et de douleur l'envahit. La douleur se stabilisa au niveau de la tête, lui donnant une affreuse nausée. Le reste du corps était engourdi mais elle sentait qu'il s'étalait de tout son long, ventre contre terre. Elle ne l'avait pas encore remarqué, mais elle soufflait par une bouche entrouverte la respiration de la vie, soulevant de petits nuages de poussière à chaque expiration. Ce même nuage se trouvait d'ailleurs dans sa tête et embrumait son esprit. Mais que s'était-il donc passé ? Et où était-elle désormais...?

Il s'était écoulé un temps avant que la jeune lionne ne se prenne elle même pour morte. Son corps était parsemé de multiples blessures acquises durant la guerre contre les Jangowas, donc certaines, chauffées à blanc par le soleil du désert, n'étaient même pas encore parvenues à cicatriser. Mais il y en a une qui ne cicatrisera probablement jamais, hormis l'atroce défaite des Mositus dans le désert...Narafi. La vieille lionne n'était plus de ce monde depuis...Oh eh bien depuis plusieurs jours déjà. Blessées par la guerre, c'est finalement le désert qui eut raison d'elle. Vukia avait eut à peine assez de larme pour pleurer ce corps sans vie qu'elle veilla jusqu'au lendemain. Mais elle avait dû l'abandonner, à son immense regret. Abandonné sa mère dans le désert, ce corps qu'elle chérissait tant, cet être qui lui avait donné naissance, qui lui avait tout appris, tout donné, cet individu qui avait emporté dans la mort une part de l'âme de Vukia, car elle était ses gènes, son sang, sa chair...Mais c'était ça, où mourir à ses côtés. Durant des jours, la jeune lionne avait vagabondé à travers les dunes de sable brûlantes, poursuivit par la mort, et peut-être par les Jangowas, bien qu'elle n'ait pas de souvenirs d'en avoir croisé un dans cet exil.

Et était-ce fini désormais ? Elle ne s'en souvenait plus. Elle n'avait plus mémoire de rien, car en ce moment, ce n'était que le néant, le noir, l'inconscience. La chaleur avait-elle eut raison d'elle ? Ces pensées étaient-elle vraie ? Hallucinait-elle ? Mourrait-elle ? Probablement. Elle avait tout donné pour essayer de survivre. Mais il n'y avait plus de force, plus d'énergie, et peut-être bientôt, plus de vie...Son seul réconfort pourrait-être de retrouver sa mère auprès du Grand-Esprit...

Depuis combien de temps la guerre contre les Jangowas était-elle fini ? Depuis combien de temps errait-elle dans le désert ? Depuis combien de temps ne pouvait-elle plus penser librement ? Que d'ignorance. Que d'incertitude. Peut-être se souvenait-elle d'un soupçon de peur, d'un brin de regret, de beaucoup d'amertume, juste avant de perdre connaissance. Elle avait échouée. Elle avait perdue. Les siens n'étaient plus, ou égarés tout comme elle l'était. Impossible de savoir si d'autres Mositus avaient échappés aux lions des sables, ou à la fureur du désert. Quels autres membres de son clan étaient aussi résistants qu'elle ? Même sa mère n'avait pas tenu et elle…Elle qui sait si elle tiendra.

"Par le Grand Esprit, Vukia, réveille toi.."

Une fois pourtant lointaine, d'après elle, parue être amplifiée par cent sur les tympans de la jeune lionne, explosant de douleur tout comme sa cervelle en proie à une nouvelle souffrance. Son ouïe était revenue également et le silence lui manquait déjà. Elle déglutit malgré elle. Un goût de sang glissa amèrement au fond de sa gorge. Etait-ce réel ? Ou n'était-ce qu'une impression d'avoir constamment ce désagréable goût sous le palais ? Elle gémit faiblement. Ses paupières frissonnèrent et tentèrent de s'ouvrir. D'abord mi-close, la lumière du jour aveugla ses iris d'émeraude. Elle referma les yeux aussitôt, fronça les sourcils. Vukia émit une respiration plus bruyante, plus prenante. Plus elle essayait de réfléchir, de se souvenir, plus elle souffrait et se sentait atrocement faible. A nouveau, elle tenta de regarder l'extérieur. Cette lumière solaire était insupportable, et pourtant, elle ne se rendait pas encore compte qu'elle était à l'ombre. Où était-elle au final ? Sous son ventre, le sol était chaud, sur son dos, son pelage avait absorbé les rayons du soleil. Elle se sentait trop serrée dans cette peau déshydratée, dans ce corps endoloris. D'abord floue, sa vision se posa sur une silhouette à la couleur familière.

- M-Mère…?

La couleur du pelage était en effet relativement semblable. Mais en levant un peu les yeux vers le haut, elle remarqua cette masse sombre qui faisait office de crinière. Non, ce n'était pas elle…Comment le pourrait-elle ? La jeune lionne se souvint enfin que sa mère n'était plus…Elle baissa les yeux, les ferma à nouveau pendant un temps. Il fallait faire le point, mais sur quoi ? Déjà, elle était toujours vivante. Comment cela se faisait ? Un coup de chance ? Elle se savait résistante, mais depuis tous ses échecs, pensait que la mort était la dernière étape à franchir pour vivre en paix. Non, elle n'était pas seule, elle avait été secouru, ça devenait clair dans sa tête. Vukia ouvrit à nouveau les yeux, et tenta d'y voir un peu plus net, bien que cela ne fut pas chose aisée. Ses yeux lui paraissaient être aussi sec que sa gorge et son gosier. Depuis combien de temps n'avait-elle pas touché l'eau ? Ou sentit de l'ombre sur son pelage ? De l'ombre…Ce fut seulement maintenant elle remarqua que la lumière ne s'étendait pas au-delà d'une certaine limite autour d'elle. Elle était à l'ombre. Sa tête était si lourde qu'elle crut s'évanouir de nouveau, mais elle redoubla d'effort pour ne pas sombrer.

La lionne tenta de se relever, prenant appui sur ses pattes avant. Lorsque le haut de son corps retourna en position verticale, à moitié couché, la migraine s'amplifia comme si son cerveau venait de se retourner lourdement dans sa boîte crânienne. Elle grimaça et se força à garder les yeux ouvert pour reposer son regard vers la silhouette de tout à l'heure. C'était un lion…C'était…

- Hofu…?

La Mositus regarda un temps le lion. A vrai dire, c'était assez surprenant de se croire mort et de reprendre conscience à côté de lui. Elle laissa vagabonder son regard un peu partout, pivotant doucement la tête à gauche, puis à droite. Elle aperçut le tronc de l'arbre qui lui faisait de l'ombre, et les murs des gorges baignés de lumière.

C'était comme si elle revenait à la vie. Pourtant, elle ne prenait pas part au fait qu'elle venait peut-être de vivre un miracle. A cet instant, elle ignorait encore que cela n'était pas arrivé par hasard, qu'elle avait été sauvée. Comme quoi un peu d'ombre pouvait changer beaucoup de chose, même si ça ne pouvait pas résoudre tous les problèmes. Soudain, alors que la jeune femelle essayait de se remettre sur ses pattes, malgré les nombreuses difficultés d'équilibre et de douleur que cela occasionna, elle vit se pencher sur elle la silhouette qu'elle avait jadis prise pour sa mère. Sachant désormais que ce n'était pas le cas, la Mositus émit un grondement, faible, certes, mais bien présent. Elle était faible, blessée, presque morte, elle conservait l'instinct de défendre, même si elle savait qu'elle ne pourrait sans doute pas survivre à une attaque. Il ne s'agissait là que d'un réflexe d'auto défense et si elle avait eu plus de force, peut-être se serait-elle laissé emporter par un coup de griffe à la volée. Qui que soit la forme devant elle, elle voulait lui faire comprendre que son état actuel la rendait plus farouche et que même presque morte, elle tentera de se protéger. Au vautour ou à la hyène qui se trouvait dans le coin, prend garde !

Mais ce n'était ni un vautour, ni une hyène, ni un quelconque danger ou même une hallucination puis que la lionne finit enfin par distinguer des traits plus nets, une épaisse crinière, des yeux d'azurs, un regard inquiet, un visage familier qu'elle ne pensait jamais revoir de sitôt…C'était bien Hofu. Ce dernier hocha la tête, confirmant son identité. La lionne lâcha un soupire, à la fois fatigué mais soulagé. C'était donc à lui qu'elle devait la vie. Pour la deuxième fois déjà, même si elle avait déjà payé sa dette à la première.

"Je pense que tu ferais mieux de rester allongée pour le moment, tu es trop faible et pourrais perdre à nouveau connaissance.."

Tout à fait d'accord. Mais c'était déjà trop à accepter de la part de la femelle qui n'aimait pas se savoir en si piteux état. Mais au bout d'un moment, elle n'eut pas d'autre choix que de se résigner à son état actuel : sans force, comme une vieille peau de chat bouffée par les mites. La lionne se recoucha à plat ventre, aussi dépitée que son propre corps. Mais pas seulement par sa faiblesse actuelle, mais par tout ce qui arrivait depuis un certain temps : les siens qui étaient morts à la guerre, la défaite de son clan, sa mère…C'était…Beaucoup à digérer, même si elle cherchait à tout mettre à l'écart pour demeurer forte. Forte comme lui avait si bien enseigné sa génitrice. Vukia avait l'impression que tous ces enseignements avaient disparus avec la vieille lionne…

"Comment te sens-tu ?"

Mais Vukia ne répondit rien. Le regard vague, elle contemplait un point invisible qui reposait au soleil au beau milieu des gorges tandis que les souvenirs d'avant son malaise lui revint en tête. Elle entendit à nouveau l'écho de la bataille, le goût du sang quand elle égorgeait un adversaire, la douleur d'un coup de griffe sur son épaule, les rugissements de fureur des félins à l'affrontement, le sable dans les yeux, la brûlure du désert, le chagrin…Vukia soupira une nouvelle fois, agitant un nuage de poussière devant son museau. Il s'écoula un long moment de silence entre les deux fauves, jusqu'à ce que la femelle daigne bien prendre la parole et dire au lion :

- Merci de m'avoir sauvé…

Comment se sentait-elle ? Hofu avait renouvelé la question. Mais Vukia ne savait pas vraiment quelle réponse lui apporter. Pour ainsi dire, elle se sentait aussi mal physiquement que mentalement. Le lion devrait probablement sans douter mais il avait de l'intérêt pour la lionne, chose dont elle n'arrivait pas toujours à se rendre compte. Elle soupira. Elle ne pouvait rien faire pour le moment. Elle ne pouvait pas se lever, elle ne pouvait pas se déplacer, elle ne pouvait que se sentir affreusement faible. Un sentiment dont elle avait horreur par-dessus tout. Elle n'avait même pas été capable de sauver sa mère. La honte, le déshonneur même s'abattit sur elle autant que la chaleur. Elle ignorait tout du reste de son clan mais Siri avait eut raison de puis le début. Grâce à lui au moins, des Mositus étaient encore vivants. Pour combien de temps cela dit ? Est-ce qu'ils parviendront à survivre ? A trouver une nouvelle jungle ? Même dans son état, elle arrivait encore à ne penser qu'aux siens…

- Si tu veux tout savoir Hofu, je crois que je n'ai pas de mot pour décrire comment je me sens actuellement, répondit finalement la jeune femelle, sans once de colère, mais beaucoup de regret dans la voix.

Oh oui, beaucoup de regret. Elle ne regrettera cependant jamais d'être partit au combat. Elle avait été animée d'une colère sans pareille et d'une soif de vengeance dévastatrice. Rien n'aurait pu l'empêcher d'aller se battre. Elle regrettait par contre que sa mère ai pris le parti de Kwadja pour suivre sa fille. Elle aurait dû prendre l'autre. Elle était trop âgée pour la bataille. Cette initiative l'avait conduit à sa perte. Au moins, si elle avait suivi Siri, elle serait encore en vie. Vukia regrettait également d'avoir fui le combat lorsque les Jangowas ont gagné. Elle aurait pu continuer jusqu'à la mort, mais elle était pourvue d'un instinct de survie à ne pas sous-estimer. Et elle aurait aimé que jamais Hofu ne soit témoin d'une telle défaite, et de la voir ainsi dans un état des plus déplorable.

"Vukia.. Que s'est-il passé?"

A vrai dire, la lionne s'attendait à cette question. Elle pensait même qu'elle viendrait avant la première. Une fois encore, le lion devait se douter de ce qui était arrivé. Un désastre, tout simplement.

"Ne me réponds pas si tu ne t'en sens pas capable.. Ou si tu ne le veux pas. Je comprendrais parfaitement."

- Non, répondit Vukia en redressant la tête, il n'y a rien à cacher. Les Mositus ont subi une terrible défaite…

La femelle Mositu dressa son regard vers les iris bleutés du mâle.

- Ce qui est arrivé marquera le désert d'une croix de sang.

Elle soupira, puis dévia ses prunelles verdoyantes vers le décor des gorges qui englobait les deux félins abrités sous l'arbre.

- Il y a eu beaucoup de morts…Même après la bataille.

Vukia se décida de marquer une pause avant de demander :

- As-tu aperçu des Mositus récemment ?

Que ce soient ceux de Siri, ou les survivants du désert. En tout cas la lionne n'avait pas d'espoir. Mais elle n'avait pas de désespoir non plus si le lion lui répondait négativement car ce n'était pas dans les parages qu'on risquerait de croiser Siri, sauf si lui aussi avait eut des ennuis. Vukia savait très bien que ce n'était pas parce que Hofu n'en avait pas vu que cela signifiait l'extinction de la race. La lionne abaissa alors la tête en soupirant à nouveau, mais cette fois-ci, c'était un soupire exténué, sec.

- Sais-tu...fit-elle de sa voix faible, s'il y a de l'eau dans les parages...?

Elle même ne saurait dit depuis combien de temps elle n'avait pas bu, ni depuis combien de temps elle n'avait pas mangé, mais une chose était certaine, elle n'avait pas l'intention de finir comme sa mère. L'ennui étant qu'il semblerait que le processus soit déjà en marche...

La lionne n'en voulait pas à Hofu de demander de ses nouvelles, même si la réponse était d'une évidence hors du commun. A vrai dire, même si sa réponse pouvait paraître sèche, au fond d'elle, Vukia était touchée que le mâle s'inquiète autant pour elle. Bien évidemment, ça remettait son honneur bien à mal, mais Vukia, en dehors de son côté "tête brûlée", savait aussi qu'elle venait d'atteindre ses limites. Il était inutile de se prendre pour une invincible alors qu'il suffisait d'un coup de vent pour la faire tomber. La mort de sa mère l'ayant fortement affecté, elle avait perdu un peu de sa combativité habituelle et se permettait de se laisser aller. Tant pis si elle n'était pas vu aussi forte qu'elle l'aurait voulu. De plus, elle avait confiance en Hofu. C'était un lion sage, il comprendrait sans doute sa situation, même sans connaître les détails. Ils avaient déjà lutté ensemble, ils se connaissaient à présent, et s'était probablement le seul animal qu'elle appréciait en dehors des lions de son clan. Hofu avait vraiment une relation privilégié avec la femelle. Cependant, celle-ci veillera bien à ce qu'il soit le seul. Au fond d'elle, son caractère ne changeait pas. Néanmoins, même face à Hofu, la lionne essayait de ne pas trop montrer sa peine. Elle se permettait de se laisser aller faiblement, mais devait remettre à plus tard la tristesse d'avoir perdu sa mère et les siens. Elle décida également d'interroger le lion à son tour, lui demandant s'il n'avait pas vu de Mositus récemment. Elle savait que Hofu était un voyageur et elle misait sur cette seule information pour espérer ne pas apprendre que le reste de son clan avait été massacré lui aussi. Tiens ? Hofu ne répondait pas tout de suite. Vukia redressa la tête ainsi que les oreilles en avant en scrutant le mâle devant elle. Elle attendait sa réponse. Peu importe si elle était bonne ou mauvaise, elle voulait une réponse et ne lâcherait pas le mâle avant de l'avoir. Elle attendait, atrocement patiente.

"Non, je suis navré. Je n'en ai aperçu aucun récemment.. Mais bien que je ne pense pas t'apprendre quelque chose, ceux ayant suivit un dénommé.. Siri? Sont partis de leur côté pour de nouvelles terres.. La seule chose que je peux dire, c'est que je n'ai entendu aucune mauvaise nouvelle les concernant."

Bon. Bien. Vukia supposait qu'il fallait voir du bon dans cette réponse. Si un massacre avait eu lieu, la disparition d'un clan entier aurait forcément fait le tour de la Terre des Lions. Vukia était un peu plus rassurée. Elle faisait confiance à Hofu pour avoir pioché les bonnes informations. Et si jamais les siens avaient disparu dans la jungle pour vivre une vie heureuse ? Oh comme elle l'espérait de tout cœur ! Mais…Comment serait-ce possible avec ces singes agressifs ? Et elle qui n'était même plus auprès d'eux pour les aider…Enfin…Elle avait sans doute choisit de suivre ceux qui avaient eu le plus besoin de son aide. Mais au final, elle n'avait pas pu faire grand-chose pour eux.

Bon. Assez de questions. Pour le moment du moins. Si Hofu voulait connaître des détails, ou si Vukia voulait lui demander des choses, cette dernière n'allait pas rester en vie bien longtemps pour le faire si elle n'offre pas à son corps autre chose que de l'ombre pour se remettre de son expédition mortelle dans le désert. Elle était assoiffée, affamée, faible, épuisée, déshydratée, maigre…Si elle n'était pas aussi forte, elle n'en serait pas sortie vivante de là. Mais elle avait atteint sa limite et sa résistance restante diminuait de minutes en minutes. Elle demanda alors à Hofu s'il y avait de l'eau dans le coin, ce qui était une priorité avant la nourriture ou tout autre soin.

"Oh, bien sure, désolé.." répondit alors le lion sombre.

Il regarda un peu partout autour de lui. Vukia reposa sa tête au sol et ferma les yeux pour économiser ses dernières forces qui lui permettaient encore de faire vivre son cerveau et battre son cœur meurtri. Mais elle gardait l'oreille tendue pour toute suggestion venant du mâle.

"Si mes souvenirs sont bons, il doit y avoir plusieurs points d'eau formés dans les gorges durant la saison des pluies.. Néanmoins il nous faudra marcher un peu.."

Vukia aurait dû se douter qu'il n'y aurait pas d'eau dans le coin. Les gorges étaient trop proche du désert pour cela. La lionne n'a pas vraiment d'autres choix que de se déplacer, comme le disait Hofu.

"Te sens-tu capable de marcher?"

Là était toute la question. Vukia se sentait forte dans son cœur mais son corps n'était plus aussi solide qu'avant. Elle avait hâte de récupérer et de redevenir la guerrière accomplie que sa mère avait formée durant toute sa vie. Elle devait se lever, elle devait marcher ! Elle ne pouvait pas se permettre de mourir maintenant ! Pas après tout ce qu'elle avait vécu ! Elle avait encore des lions à protéger, un clan à retrouver. De plus, pour la première fois de sa vie, Vukia sentait qu'elle rendrait triste quelqu'un si elle venait à relâcher son dernier souffle. Elle rouvrit les yeux et regarda le concerné. Jamais elle n'aurait pensé qu'un lion extérieur à son clan puisse prendre autant de place dans sa vie. Mais il avait tout fait pour et il continuait de tout faire pour qu'elle reste en vie. C'était donc ça, un ami ?

"Sinon, je pourrais peut-être te porter.. Si cela peut te permettre d'économiser tes forces.."

- Je…Je vais essayer…répondit faiblement la Mositu.

Vukia rassembla ses forces et essaya de se lever. Elle sentait ses membres aussi frêles que celle d'un lionceau venant de naître. Elle se sentait atrocement pitoyable. La tête baissée par la fatigue, pendante non loin du sol, la lionne se mit sur ses quatre pattes. Quatre pattes instables, tremblantes, à bout de force. Quatre pattes jadis vaillantes, musclées, qui lui avait permis de survivre à la guerre et à traverser le désert. Quatre pattes qui avaient, hélas, tout donné...Vukia manqua de tomber, elle essaya de conserver son équilibre, mais ce fut peine perdue. Elle se recoucha à terre, incapable de se lever à nouveau. Mourir…N'avait-elle pas d'autres choix…? Vraiment…?

- Je…

Il n'y avait rien de plus dur à admettre pour la lionne, que de dire qu'elle était incapable de se lever. Incapable de poursuivre sa vie. Décidément trop d'humiliation d'un coup, elle préféra se taire finalement.

Plus encore que la fatigue, que la colère, que la peine, Vukia ressentait cette honte insurmontable de ne pas pouvoir montrer à Hofu ce qu'elle était d'habitude : une lionne forte, déterminée, paraissant invincible. Tout avait été réduit à néant dans le désert. Pas durant la guerre, car même après sa défaite, Vukia avait donné toute son âme pour vagabonder dans le désert avec sa mère en espérant en sortir. Mais la mort de cette dernière avait porté un coup qui avait affaibli cette rage de vivre, sans pour autant la perdre totalement, fort heureusement. Et maintenant, elle avait son esprit scindé en deux. D'un côté, elle ne voulait pas que Hofu la voit dans un pareil état, même si c'était trop tard, et d'un autre côté, elle était soulagé que ce soit que lui qui la voit ainsi et pas un membre de son clan ou une autre de ses rares connaissances extérieures aux Mositus, le genre d'individus qui n'avait d'image d'elle qu'une féroce lionne.

"Si tes pattes ne te portent plus, alors je le ferai à leur place.. Si bien sure tu l'acceptes. " répondit alors le mâle lorsqu'il se rendit compte que malgré ses dernières forces, il était impossible pour la femelle de se remettre debout, moins encore de marcher vers un lieu qui lui sauverait la vie.

Vukia leva son regard d'émeraude vers les iris d'azur du voyageur. C'était, semblerait-il, la seule solution. Elle aurait eu tendance à refuser et l'aurait sans doute fait si ce n'était pas Hofu qui le lui avait demandé. Mais…Elle avait confiance en lui. Après un moment de silence, elle hocha la tête. C'est alors que le lion s'approcha d'elle avant de lui demander à nouveau :

"Penses-tu pouvoir te hisser sur mon dos?"

Le lion aussitôt se coucha pour éviter à Vukia de devoir trop se hisser en hauteur. La lionne observa le mâle attentionné, de plus en plus mal à l'aise par sa situation. Cela dit, elle lui était extrêmement reconnaissante de l'attention qui lui portait ainsi. Mais elle ne pouvait se permettre de tout lui laisser faire. Aussi, Vukia tenta de rassembler ses dernières forces pour espérer tenir sur le dos du lion. La femelle se dressa à nouveau sur ses pattes tremblantes, accablée par un estomac douloureux, des vertiges dans la tête, un corps sec et un cœur lourd. Elle fit un pas, et se concentrait pour maintenir sa position debout. Doucement, calculant son coup, elle enjamba d'une première patte le corps du mâle devant elle. Elle respirait fortement mais passa la seconde patte, s'installa de tout son long sur le dos musclé du voyageur où elle avait la sensation de lui peser une tonne sur le corps. Elle soupira de fatigue une fois cet effort de fait. Le mâle parviendra-t-il à la porter ? S'il ne pouvait pas, elle ne lui en voudrait pas de l'abandonner au plaisir des vautours du coin. Car après tout, c'est peut-être finalement à cela qu'elle est désormais destinée, même si pour le moment, elle refusait d'y croire, tout comme Hofu apparemment.

Cela fit un étrange effet à la lionne lorsque Hofu se mit en marche à la recherche d'un point d'eau. Elle sentait contre elle le moindre de ses mouvements, ses pattes qui avançaient, ses épaules qui bougeaient en conséquence, la force de ses muscles, les battements de son cœur…Vukia sentit à nouveau son corps chauffé lorsque les deux félins quittèrent la sécurité de l'ombre de l'arbre pour s'aventurer à nouveau dans l'antre des gorges, s'éloignant de plus en plus du désert derrière eux. Vukia ferma les yeux et se laissa aller au rythme du mâle qui la portait désormais. Bien que la sensation fut étrange pour elle, ainsi que désagréable car rompant tous ses principes originaux, il devint, au fur et à mesure, réconfortant…C'était la première fois qu'elle confiait sa vie à quelqu'un. C'était la première fois de sa vie qu'elle reposait sur les épaules de quelqu'un, qu'elle se laissait aller, qu'elle se laissait soutenir. Cette expérience nouvelle était plus qu'une découverte. C'était un pas en avant.

Vukia se laissait lourdement porter par le mâle voyageur. Cette sensation d'être un fardeau était difficilement acceptable, mais réconforté dans l'idée que quelqu'un tient à elle. A part sa mère, personne n'avait jamais été aussi attentionné avec elle. Cela faisait un drôle d'effet que de se dire que l'on n'était pas tout seul pour sortir les griffes face à l'adversité de ce monde. Le temps passé dans les gorges fut extrêmement long. Peut-être n'était-ce qu'un effet de l'imagination de la lionne à l'agonie. Il faisait toujours chaud mais c'était néanmoins un soulagement minime que de s'éloigner du désert. Vukia faisait des efforts pour rester consciente, ne pas sombrer à nouveau dans le coma à cause de sa faiblesse. Elle devait tenir le coup ! Très bientôt viendrait l'eau. Il fallait l'espérer. Elle n'avait rien d'autre à regarder que les falaises de roche baignées de soleil qui l'enveloppaient, elle et Hofu. Au bout d'un moment, le lion s'arrêta.

"Ça devrait pouvoir faire l'affaire pour l'instant."

Penchant un peu la tête sur le côté, Vukia pu alors apercevoir la petite flaque d'eau qui survivait comme elle pouvait sur le sol sec de la gorge. Cette flaque était une véritable chance et même si elle était petite et peut-être stagnante ici depuis des jours, c'était une opportunité à ne pas manquer. Cette eau était salvatrice et est déjà beaucoup pour Vukia. Hofu se baissa donc près du tout petit point d'eau. La lionne en profita pour descendre avec les mêmes difficultés que lorsqu'elle était montée sur son dos. Elle n'eut que quelques petits pas à faire pour se retrouver bien en face de l'eau qui reflétait la lumière du soleil. La Mositus plia ses pattes et amena son museau près de la surface du liquide avant dans sortir la langue et de boire avidement. Plus rien ne semblait avoir d'importance, si ce n'était que de boire en continue. L'eau qui s'infiltrait dans sa gorge lui fit un bien fou, plus encore quand elle sentit sa fraîcheur lui couler jusque dans l'estomac. Voilà ce dont son corps avait le plus besoin. Au bout d'un moment, la langue de la femelle se mit à râper le fond de la flaque tant elle avait déjà absorbé une bonne partie de l'eau, mais cela ne l'arrêta pas pour autant.

Une fois sa soif satisfaite, la lionne se stoppa puis se redressa doucement en position assise, la tête néanmoins basse car ce n'était pas l'eau qui allait lui rendre toutes ses forces, son endurance, son essence de vie d'antan. Elle leva alors son regard verdoyant vers le mâle qui était resté près d'elle.

- Je ne pourrais jamais assez te remercier pour ce que tu fais pour moi…lui dit alors la femelle.

Ce qui était d'ailleurs assez frustrant pour son sens de l'honneur. Comment la lionne pourrait-elle un jour rendre la pareille au lion voyageur ? Même si lui s'en moquait sans doute qu'elle le remercie, étant bonne âme, la lionne se sentirait bien mal à l'aise de ne pas rapporter toute l'aide qui lui avait donné. Il ne fallait pas oublier que c'était grâce à son premier sauvetage qu'un lien s'était tissé entre les deux félins. Un lien unique pour Vukia.

- Merci pour tout…lui dit-elle néanmoins.

C'était mieux que rien pour l'instant. Sitôt dit, la lionne se recoucha au sol. Le plus dur restait probablement à faire. Trouver de quoi se nourrir. L'eau lui avait redonné un peu de vie en elle, mais pas assez pour chasser ou même se déplacer trop loin par ses propres moyens. De plus, elle se trouvait sur un territoire qui n'était pas à elle et qui n'était pas à personne. Depuis son escapade dans le désert, elle ignorait ce qu'il était advenu du territoire de Prideland. Vukia tourna alors la tête un peu partout pour voir où elle en était dans les gorges désormais. Elle ne voyait plus le désert en tout cas.

Il s'écoula quelques minutes durant lesquelles la lionne ne dit rien, et ne bougea plus. Elle avait posé sa tête au sol et se contentait de regarder ce que son champ de vision lui permettait de voir. Mais au bout d'un moment, elle se leva, étirant difficilement ses pattes encore tremblante. Se tournant vers Hofu, elle se regarda droit dans les yeux, un éclair de détermination, jusque-là effacé, était revenu hanter ses prunelles.

- Je ne peux pas rester ici, fit-elle sur un ton néanmoins doucereux, comme pour ne pas brusquer le mâle.

Après tout, elle avait toutes les chances d'y rester si elle s'attardait ici. Alors ce point d'eau n'aura pas été d'une grande utilité. La lionne devait user de l'eau qu'elle avait récupérée pour retrouver un peu de sa force vitale et avancer par elle-même, du moins, comme elle le pouvait. A partir de maintenant, Hofu était libre de la laisser ou de continuer à la soutenir. A vrai dire, elle espérait grandement qu'il reste, et pas parce qu'elle avait un doute sur ses chances de survie en solitaire. La tête toujours un peu basse, elle poursuivit :

- Il faudrait sortir d'ici…

Elle regarda Hofu. Il devait bien connaître la sortie des gorges puisqu'il avait pu y entrer.

- Est-ce que…Prideland est toujours une terre hostile ? demanda alors la lionne.

Hofu était un lion très calme et il ne cessait de le prouver. Au moins il ne fit pas le coup à Vukia du fameux "ne me remercie pas, ce n'est rien" et se contenta simplement d'hocher la tête. Pour le moment, le lion n'avait rien dit lorsque la lionne, ayant repris un minimum de vitalité, jugea qu'elle était apte à se déplacer un peu plus pour quitter cet endroit sinistre qu'était le cœur des gorges. Il n'y avait rien de bon pour elle, rien vraiment à boire ou à s'abriter et surtout rien à se mettre sous les crocs. Elle allait y passer rien qu'en restant ici et si Hofu ne l'avait pas trouvé, elle serait peut-être morte de soif ou dévorées à petit feu par des vautours de passage. La Mositu voulu également se renseigner un peu sur ce qui risquait de l'attendre à la sortie des gorges. Elle ne connaissait pas par cœur la Terre des Lions mais savait au moins une chose : les gorges faisaient la communication entre le Grand Désert et Prideland. Le lion voyageur nia d'un signe de tête tout danger vis-à-vis de ce royaume.

"Les Nyeusis sont tombés, tu ne risques rien sur ces terres.."

Ah. Bien. C'était déjà ça. Normalement, Prideland était une terre relativement accueillante donc si les Pridelanders étaient revenus, le danger était effectivement écarté s'il fallait passer par là pour se trouver une terre plus fertile pour permettre à la lionne de retrouver ses forces. Les Pridelanders, elle ne les avait pas plus cotoyer que ça. Elle les avait juste toléré à proximité de son clan mais avait toujours veillé à ce qu'ils ne s'en approchent pas trop. Mais dans un sens, la Mositu ne s'était pas vraiment fait connaître d'eux non plus.

"Je ne peux pas te laisser partir seule, pas tant que tu seras dans cet état, et pas avant de m'assurer que tu sois en sécurité." ajouta aussitôt le lion du plus sérieusement possible, si c'était encore possible.

Vukia leva son regard vers le grand mâle. En temps normal, quelqu'un qui lui aurait parlé de la sorte en aurait déjà subi une séquelle. On ne donnait pas d'ordre à Vukia. Pas si on ne s'appelait pas Kwadja. Pas même si c'était pour sa santé. Vukia n'aurait voulu des conseils de personne. Elle se serait probablement levé, malgré son état et repoussé toute aide que ce soit par fierté ou parce qu'elle se sentait vraiment capable de continuer. Normalement. Mais là, la situation était différente. D'une part, parce qu'elle n'était pas capable de continuer seule, c'était évident, sauf si elle voulait aller mourir dans un coin. D'autre part, elle n'aurait pas pu refuser l'aide de Hofu qui avait déjà tellement fait pour elle. Ce serait que ingrat de sa part de lui dire de dégager après ce qu'il venait de faire. Elle avait cependant encore du mal à comprendre l'étrange attachement qu'elle éprouvait vis-à-vis de son sauveur. Par moment, elle se disait que c'était juste une sensation temporaire dû au choc de la perte de sa mère et de son état actuel. Une sensation si bizarre que cela lui faisait éprouver un soulagement certain, un soupçon de plaisir peut-être, que d'entendre le mâle disant qu'il resterait avec elle quoi qu'il arrive jusqu'à ce que les choses s'améliorent. Le regard d'ordinaire sévère de la lionne s'était quelque peu adouci aux dires du lion, soit à cause de la fatigue, soit vraiment parce qu'elle comptait sur lui, ou les deux.

Vukia attendit encore un peu dans le silence après avoir hocher la tête aux dernières paroles du lion. Elle ferma les yeux et tenta de concentrer ses forces qui étaient un peu revenu grâce à l'eau salvatrice. Au bout d'un moment, elle se dressa doucement, lentement mais sûrement sur ses pattes tremblantes. Elle fit un pas, puis un autre, doucement, s'éloignant petit à petit de la flaque d'eau. A maintes reprises, elle tituba, trébucha et manqua de se remettre à plat ventre contre le sol chaud des gorges. Mais à chaque fois, elle parvint à se redresser et à poursuivre le deuxième round de sa survie en se laissant guider par le lion au sombre pelage.