D'un pas léger, Léhona s'éloigna de son clan qui bénéficiait de la chaleur torride du Grand Désert pour somnoler sous le soleil à son ascension. Cette dernière avisa Vako et sa fille, Shabel – bien que cette dernière semblait peu à peu dépendre d'elle-même étant à l'aube de son adolescence – quant à son absence pour l'espace de quelques heures seulement mais elle s'assura de ne pas trop s'éloigner de son clan : leur position géographique était alternante et successive et il était facile de s'égarer si nous ne prenions compte des déplacements cadencés des Jangowas.

La vielle lionne se dirigea dans un rythme des plus lents au cœur du Grand Désert, sans aucun but particulier. Les bourrasques ardentes qui fouettaient furieusement le sol sablonneux caressaient le pelage de l'ex-impératrice et cette dernière, le corps frissonnant de plaisir sous les vents chauds se retrouvait parfois à ronronner sous les douces touchées sur son corps. D'un pas de velours et d'une discrétion sans pareille, Léhona dévorait du regard les méandres du Grand Désert en espérant trouver le moindre gibier dans le cadre : mais le son du silence résonnant tel un écho dans les vallées sablonneuses affirmait l'absence d'une proie lambda.

Prise par sa volonté et sa constance vivifiante, la lionne se lança dans une course infernale : pendant un instant, Léhona se revoyait jeune, filant sur le sol poudreux de ses pattes, essayant de se mesurer face à la rapidité du temps. Souvenirs, souvenirs... cela lui arracha un sourire bref et la lionne dorée intensifiait avec ardeur sa course sans fin, accélérant le rythme à chaque bond tandis qu'elle enjambait chaque dune, prise par l'allégresse et la nostalgie. Il y avait bien longtemps qu'elle ne s'était peinée à sa rapidité, Léhona se sentait libre comme le faucon et elle sentait ses ailes qui avaient par antan brûlées autant par le chagrin que la honte revivre de plus belle en prenant son envol. Son visage brillant de quiétude et bien-aise décelait son plaisir à cette course folle où son cœur aberrant mêlait réalité et imaginaire.

Tandis que ses pattes foulaient le Désert d'une insistance des plus tenaces, les nombreuses étendues que pouvaient offrir le Grand Désert défilaient sous les paupières closes de la vielle lionne. Cependant, une odeur étrangère lui parvint et cette dernière ajoura rapidement ses yeux clos pour détecter l'effluve qui émanait de l'extérieur. Qui était donc assez fou pour se promener aisément dans le désert alors que la morphologie épaisse des étrangers ne leur permettait pas ? Les Jangowas étaient réputés aussi bien pour leur corps mince qui les protégeaient de la chaleur étouffante que leurs manières quant à garder jalousement leur territoire, et rares étaient les inconnus qui bénéficiaient de leur chaleur vivifiante.

Freinant dans sa course infernale, la Jangowa s'approcha en toute discrétion et elle persista dans son approche tout en réduisant la distance entre elle et l’intrus. Lorsqu'elle se tint sur une dune pour parfaire sa vision, Léhona discerna dans l'étendue sableuse l’intrus : un mâle, au même pelage atypique de celui des Jangowas. Mais le détail qui aimanta son attention était l'épaisse toison noire qui ornait son cou. Confuse, la vielle lionne se rapprocha prudemment pour aller à l'encontre du fameux mâle. La chaleur ne semblait pas être un aléa pour lui, et on lui aurait rapidement assimilé l'identité d'un Enfant du Désert, mais cette crinière noire trahissait son appartenance. Son effluve, bien qu'en s'étant accaparée de ce qui se trouvait hors du Grand Désert était originaire du Désert et sans aucun doute, le mâle n'était sûrement pas inconnu au Désert. Dans un élan de curiosité, Léhona franchit la distance qu'il y avait entre eux et se fixa sur une plate-forme rocheuse, en prenant soin de ne pas se faire repérer. Après quelques longues minutes d'analyse, la conseillère l'interpella sans une once d'agressivité, aussitôt l'avait-elle reconnut :

« Lukah ? »

Bien qu'en l'ayant interpellé, Léhona n'en restait pas moins sûre quant à son identité. Elle ne connaissait Lukah que de vue : enfant du Grand Désert rejeté pour sa crinière noire et c'était le lion qui avait dirigé la guerre de son côté pour les Mositus. En parlant d'eux...

« Que faîtes-vous ici ? » l'interrogea-t-elle en penchant de son perchoir. « Pourquoi n'êtes-vous pas avec les Mositus ? »

Sa voix était suave et sans une once d'agressivité, la lionne voulait éviter toute interaction agressive. Lukah avait rejoint les Mositus peu après, et Léhona ne doutait pas que ce dernier s'était façonné à leurs habitudes pacifistes.

Tout d'abord méfiante, la lionne du Désert finit par rompre la distance qui les séparaient mais tout en étant vigilante. Bien que Lukah semblait inoffensif, il ne fallait pas se fier aux apparences aussi Léhona en avait fait les frais en accordant sa confiance à parfait inconnu qui l'avait souillé pour ensuite disparaître le lendemain. Son adultère lui avait enseigné tant de choses et désormais, elle ne voyait plus cela comme une malédiction. Certes, on lui avait ôté son honneur, mais elle avait gagné quelque chose de précieux : l'expérience.

« Pour la dernière fois ? » Ses mots étaient gorgés de double-sens  : soit les Mositus avaient trouvé plus loin un territoire où s'installer et finalement mettre une croix sur l'Oasis, soit l'ex-Jangowa sentait peu à peu la vieillesse l'emporter... Lukah était désormais patriarche, et la vétusté l'avait bien marqué de ces traits. Chaque jour qui passait et nous nous voyons décliner.

« Je vous en remercie. » Répondit tout simplement la Jangowa, le visage presque impassible. Le ton qu'elle avait abordé la surprenait elle-même : de nature suave et sereine, sa voix avait fermement tonné. Peut-être était-ce seulement à l'évoquée d'Akili éveillé la froideur soudaine de l'ancienne Impératrice, froideur qui l’abasourdissait... Ce n'était pas contre Lukah, mais La relation qui liait Léhona à Akili était loin d'être un amour purement partagé, et toute sa vie, Léhona avait été soumise à Akili. Bien que désormais, l'ancien Empereur n'était plus, un mal rongeait le cœur de la lionne... Intérieurement, Léhona s'en voulait pour ne pas avoir été la compagne qu'il aurait voulu qu'elle soit, et d'avoir été sa pire déception.

« C'est désormais Vako qui règne en maître dans le Grand Désert. » déclara la lionne, désormais plus douce. « Une nouvelle ère commence pour les Jangowas. » Tandis que son regard se perdait dans l'immensité du Désert, la lionne s'égara dans ses songes. Quand même bien les guerriers avaient promis loyauté à Vako, on ne savait pas de quoi demain sera fait. Loin de plaire, ses idéologies avaient outrés une partie des Jangowas, et Léhona avait peur de ce que ça pourrait engendrer... Une rébellion ? Soupira longuement, elle reporta son regard vers Lukah, plantant ses yeux dans les siens.

Citation :

Désolé pour le retard, ça ne se reproduira plus x)

Le géhenne de la guerre et le souffle de tourments semblaient se dissiper tel un souffle dans le Désert tandis que les deux natifs du Désert conversaient paisiblement. La rencontre fortuite entre l'un des bâtards du Désert et l'ancienne Impératrice pouvait se dérouler en toute aise, mais ils ne pouvaient malheureusement ignorer ce qu'il se tramait sur la Terre des lions. Personne ne le pouvait, et personne ne pouvait dormir sur ses deux oreilles et mener un quotidien presque paisible sans être dévoré par la crainte de voir la guerre approcher à grands pas.

D'une oreille attentive elle écoutait les paroles du grand mâle, quoique incompréhensive lorsqu'il eut fini. Sa réponse n'affirmait et ne limitait en rien la thèse de la lionne du Désert, sans quoi cela tairait les différentes sortes de théories naissantes dans son esprit. Mais plutôt que d'approfondir dans le sujet, Léhona avait préféré se taire et de retrouver sa mine neutre, ne souhaitant d'avantage poser des questions qui selon elle étaient futiles et horriblement intrusives, au risque d'offenser clairement Lukah qui était bien trop clément.

« En effet. » Elle hocha doucement la tête à l'annotation du grand mâle. A vrai dire ce qui la préoccupait le plus était ce que pourrait engendrer l'action de Vako lorsqu'il avait épargné Hatari, mais une chose était sûre, cela n'avait pas plu à tout le monde. Par crainte de voir leurs lois évincées par un nouvel Empereur qui selon eux instauré une nouvelle mentalité – qui plus est, pacifiste – quelques Jangowas avaient instaurés entre eux et Vako une barrière de méfiance que seul le nouvel Empereur du Désert pouvait briser en prouvant qu'il était bien digne de son rang.

«  Ces cicatrices... vestiges de guerre ? » interrogea-t-elle, légèrement importune, le regard scrutant sans la moindre once de répulsion - et peut-être même, d'admiration et de profonde considération - les cicatrices de Lukah. La dame du Désert s'était osée à la fâcheuse indiscrétion menée dans la plus grande délicatesse et elle en évidemment consciente. Cependant, libre à Lukah de trouver un intérêt à sa question et d'y répondre, dans le cas contraire elle serait sûrement compréhensive : après tout elle avait été presque intrusive. Et c'était avec un sourire que Léhona attendait patiemment la réaction de son aîné, le vent du Déert battant contre son pelage pâle.

Heureusement Lukah eut la bienséance de répondre à sa question légèrement importune. Il lui expliquait alors qu'elles provenaient de son combat contre des gardes Jangowas alors qu'il foulait la terre Jangowas. Sa virée périlleuse n'était laissée sans conséquences, les Jangowas étaient connus pour être puritains et ces derniers défendaient leur territoire de tout étranger, sans aucune pitié et sans aucun scrupule : car telle était la loi du Désert.

« Inconscient est le mot, en effet. » nota-elle, une simple constatation. « Vous pouvez vous proclamer vainqueur Lukah, il est rare qu'un lion survive suite à un combat inégal. »

Surtout en terre étrangère à vrai dire. Ce n'était pas un combat à armes égales : Lukah avait peut-être eu le don d'une corporalité plus imposante, les Jangowas jouissaient eux d'une morphologie plus fine qui leur permettait de supporter le soleil du Désert, c'était un avantage non négligeable qui autorisait à créer un climat favorable pour chasser l'ennemi, en plus d'être à plusieurs contre le patriarche.

Ensuite Lukah s'osa à une touche d'humour qui ne manqua pas d'ôter à la dame du Désert un rire doux. Une affinité se nouait doucement entre les deux enfants du Désert malgré les différents de leurs clans. Oui, ils étaient bien loin de la réalité, où Mositus et Jangowas étaient voués à se détester et ce pour l'éternité ; et le choses n'avaient fait qu'empirer depuis la première bataille, cette conclusion ne faisait que s'avérer au fil du temps, condamnant les opposés à se haïr mutuellement.

« Il serait malaisé de blesser mon invité.» répondit-elle, un brin rieuse. « Votre dernière virée dans le Désert se doit d'être paisible, Lukah, c'est impératif : qu'il en soit ainsi. »

Le désert semblait soutenir ses paroles et c'était une nouvelle brise qui venait doucement caresser leur pelage sable. Assurément elle veillait à ce que son dernier voyage ne lui soit fatal, l'âge ne cessant de puiser ses forces d'instant à instant et elle doutait réellement de ses forces si une patrouille venait à le découvrir.