Cela avait été une longue journée, Nsaï était fatigué et il désirait plus que tout de la voir prendre fin, laisser place au lendemain. Mais il appréhendait terriblement le moment où il retournerait auprès de son amie, Baradi.

Il redoutait ce moment dès l’instant où les deux voyageurs s’étaient séparés, le matin même. Parce que tout le jour, il n’avait pas réussi à faire fonctionner son cerveau. Il se sentait terriblement lourd et bête, non seulement parce qu’il n’avait pas pu retrouver Jango, l’ami de la jeune lionne brune, mais aussi parce qu’il n’avait pas pu mener de réflexion poussée concernant sa relation avec cette dernière. Après une journée à arpenter les terres des Freelanders tout en esquivant au mieux ces derniers, une journée qui toucherait bientôt à sa fin et se solderait définitivement en un cuisant échec pour le mâle au regard émeraude, ce dernier décida d’abandonner. Il se traîna, sans grande conviction, jusqu’à la jungle qui se dressait devant lui. Ces grands arbres, ces lianes, cette verdure, tout cela le rassurait. Bien sûr, ce n’était pas celle de son enfance, mais elle était assez semblable pour causer chez le Mositu un profond sentiment de nostalgie. Il évolua entre les arbres, jusqu’à ce que le paysage Freelander s’efface. Puis il se laissa tomber là où il se tenait.

Il resta un instant allongé, juste à observer les alentours, comme il pouvait le faire autrefois, avant la guerre et l'exil de son peuple. Un moment de pure simplicité, d'appréciation du paysage, sans chercher à trop réfléchir. Aussi un moment d'intense solitude. Ce n'était pas totalement désagréable, mais... En cet instant, Nsaï aurait voulu avoir Baradi à son côté. Qu'elle soit juste présente avec lui, qu'ils apprécient ce lieu ensemble, sans la gêne qui les avait suivi ces derniers temps, sans les interrogations et le constant brouillard qui empêchait le lion brun de trouver réponses à ces questions. Mais cela était-il encore possible à présent, ou n'était-ce que la vision trop optimiste d'une réalité qui n'était plus ? La veille au soir, Baradi avait parlé de leur amitié, qu'elle pensait avoir gâchée. Cette image avait grandement perturbé Nsaï durant la journée. Était-ce vrai ? Avait-elle condamné leur relation en développant des sentiments pour lui ? Le lion ne comprenait pas réellement comment cela était possible. A vrai dire, il ne voulait pas le savoir. Il ne voulait pas que leur complicité se termine ici, au beau milieu de leur voyage. Il le refusait catégoriquement, et quoi qu'il se passe quand les deux camarades se retrouveraient ce soir là, ils repartiraient ensemble le lendemain.

Et là, juste dans un coin du cerveau de Nsaï, attendant son moment, se tenait la question qu'il avait éludée toute la journée : comment allait-il se présenter au rendez-vous du soir même ? Qu'allait-il dire à Baradi ? Une boule d'angoisse se forma dans son ventre, et le grand félin sauta sur ses pattes. Quand l'hésitation le frappait ainsi, il ne pouvait plus rester immobile. Il fallait qu'il bouge. Alors il fit les cent pas, tournant au rythme des pensées qui s'enchaînaient dans son esprit. Il aurait bien aimé penser en tout honnêteté qu'il allait s'élancer vers elle, et lui faire un long discours romantique qui mettrait fin à leurs tourments, mais non seulement cela ne lui ressemblait pas - il était tout à fait incapable de parler un certain temps sans bafouiller - mais en plus il n'était même pas sûr d'éprouver ce genre de sentiments pour son amie. D'ailleurs, à quoi devaient ressembler ce genre de sentiments ? Il n'en avait pas la moindre idée, ce n'était pas comme s'il en avait parlé avec qui que ce soit. Hélas, son père n'avait pas vécu assez longtemps pour ça. Et à présent, plus que jamais, Nsaï aurait eu besoin de lui.

Le Mositu ferma les yeux, prit une grande bouffée d'air, puis se posa à nouveau sur le sol. Assis, il garda les paupières closes. Il tenta de vider son esprit, il chassa les pensées parasites. Réfléchir ne le menait nulle part, il avait beau essayer, ce n'était à chaque fois que pour se heurter à un mur. Il avait enfin compris. Cette situation n'était pas une situation sur laquelle on réfléchissait. Il avait été bête de ne pas s'en rendre compte plus tôt. Mais il rattrapait maintenant son erreur. Il se mit à méditer. Il se laissa porter par les bruits environnants, l'air qui se déplaçait autour de lui. Et, la tête vide, concentré sur sa respiration, il attendit sagement d'être absolument calmé. Et l'image de Baradi vint à lui, lui arrachant au passage un sourire. Il pouvait presque entendre sa voix résonner sous son crâne. Il se l'imagina, comme elle était, sans les interrogations qui tournaient autour. C'était une lionne courageuse, optimiste, au regard et à l'esprit vif. Il ne lui trouvait pas un défaut. Et puis elle était belle. Il le savait déjà, d'une manière objective, mais c'était la première fois que ça le frappait. Enfin, autant que ça pouvait le frapper, puisque ce n'était qu'une image dans sa tête. Quelque chose s'insinua en lui, un sentiment qu'il ne fut pas sûr de reconnaître. Il sentit son cœur se serrer, il aurait tellement aimé qu'elle soit devant lui au moment où il ouvrirait les yeux. Et quand il releva les paupières, même s'il savait pertinemment qu'il serait toujours seul, il ne put s'empêcher d'être un peu déçu.

Quoi qu'il en fut, le jeune lion se sentait beaucoup mieux. Prêt à affronter le tête-à-tête qui l'attendait. Débarrassé du brouillard qui avait encombré son cerveau. Oui, il avait réussi à mettre de l'ordre dans son cerveau. Le recul aidant, il voyait déjà Baradi sous un nouvel angle, ne restait plus qu'à confirmer ce qu'il pensait avoir compris. Mais pour cela, il fallait qu'il ait la lionne brune en face de lui. Il se releva, se dirigea lentement vers la sortie de la jungle, par le même chemin qu'il avait emprunté en y venant. Le soleil commençait à disparaître, Nsaï allait être en retard. Il accéléra la cadence.

Cela avait été une longue journée, Nsaï était fatigué, mais il ne fallait pas qu'elle prenne fin maintenant. Parce que ce que le Mositu désirait plus que tout, c'était de retourner auprès de son amie, Baradi. Le lendemain pouvait attendre.

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