Depuis son retour du désert, Lakini était un peu déboussolée, elle ne savait plus trop où elle en était et dans la vallée verdoyante, elle ne faisait même plus preuve de précaution, de toute façon, les grands lions noirs avait envahi Prideland et n'étaient plus sur les Terres Libres. Elle en oubliait Sharkan et sa tyrannie. Elle boitillait dans les hautes herbes, errant sans vraiment de but.

Elle trébuchait souvent, et se relevait avec peine, avant de reprendre sa route pour nulle part. Elle aurait aimé revoir quelqu'un qu'elle connaissait, quelqu'un pour la rassurer. Mais il n'y avait personne, elle voulait pleurer mais rien ne venait. Encore une fois, elle s'écroula sur le sol après s'être pris la patte dans la poussière.

Elle allait se relever toute seule, tirant sur ses muscles qui commençaient à être meurtris par ses chutes quand ses oreilles se dressèrent, un son lui était parvenu. Quelqu'un qui s'approchait et qui... criait son nom ? Quelqu'un l'appelait ? Non, elle devait rêver, ce n'était pas possible, personne ne pouvait l'appeler maintenant, maintenant qu'elle avait perdu tout espoir de retrouver quelqu'un. Ses oreilles s’abaissèrent de nouveau mais pourtant, une odeur familière vint chatouiller ses narines.

Alors qu'elle redressait la tête, une masse cendrée et tachetée vint la percuter et les deux prédateurs roulèrent ensemble sur quelques mètres avant de s'immobiliser. Lakini, sur le dos, secouait la tête pour reprendre ses esprits et comprendre ce qui venait de se passer tandis que les pattes fines et tendues de celui qui l'avait entraînée se posaient de chaque côté de sa tête. Elle n'eut pas le temps de déterminer qui il était que le guépard cendré baissa la tête pour lui donner un coup de langue affectueux sur la joue.

"Lakini, enfin je te retrouve!" Fit-il, libérant la guépard dénuée de tâches pour l'aider à se relever.

"Jivu ?! C'est vraiment toi !" Lakini éclata, un grand sourire aux babines, elle se jeta sur son frère, des larmes de joie coulant le long de ses joues. "Vous êtes enfin revenus ! J'ai eu si peur de ne plus vous revoir !"

Le guépard cendré l’étreignit avec grande tendresse et joie entremêlées, qu'il était heureux de la voir saine et sauve, de la retrouver encore en vie. Mais quand elle supposa la présence de toute leur famille, il eut le cœur serré, bien qu'il n'en dise rien, il la garda contre lui, murmurant :

"Ça va allez, maintenant, je suis là..."

La guépard était si heureuse qu'elle n'avait pas tout de suite compris le sous-entendu de son frère et se confortait entre ses pattes, soulagé de l'avoir à ses côtés. Ils restèrent longtemps ainsi, sous bouger, parlant peu, juste à être l'un avec l'autre, c'était tout ce qui comptait.

Mais après un moment, Lakini vint à se demander pourquoi ils étaient seul. Jivu était seul avec elle, leur parents et leurs petits frères n'étaient pas là, pourquoi ? Elle se détacha de l'étreinte du guépard, inquiète.

"Où sont les autres, Jivu ? Papa et Maman ? Et Dara ? Athava ?"

Le guépard cendré resta interdit, silencieux... Son regard trahissait la mauvaise nouvelle qu'il devait annoncer à sa sœur et ça lui brisait le cœur de devoir le faire aussi tôt. Il la soutint un moment son regard mais s'en détourna bien vite, il ne voulait pas voir ce qu'il allait se passer... Il ne voulait pas lui dire, pas lui faire autant de peine juste après l'avoir retrouvée.

"Jivu... Qu'y a-t-il ?"

Toujours rien, le guépard ne voulait toujours rien dire et fuyait le regard de sa sœur, attristé.

"Où sont les autres, Jivu ? Dis-moi ce qu'il se passe !"

Le regard de Lakini commençait à paniquer, que son frère veuille taire ces informations lui faisait imaginer les pires destins pour sa famille qu'elle aimait tant. Elle implorait son frère de bien vouloir abréger ses pensées, elle préférait savoir qu'imaginer.

Si bien que Jivu fini par céder et lâcha la vérité :

"Ils... Ils ne viendront pas, Lakini... Il ne viendront pas nous rejoindre.Ils ne veulent pas retraverser le désert pour toi..."

La guépard dorée eut un sursaut de choc, sa famille... L'avait abandonnée ? Partagée entre le soulagement de les savoir en vie et la pensée qu'ils avaient choisi de la laisser mourir, son esprit était tiraillé de toutes parts et elle se savait prête à pleurer sous tant de pression. Elle baissa la tête, soufflant avec tristesse, comme une fatalité :

"Ils ne veulent plus de moi... Je ne suis qu'un fardeau pour vous, c'est ça ?"

Jivu s'approcha rapidement d'elle pour poser sa patte sur ses épaules, voulant la consoler, il déclara prestement mais peu confiant :

"Non, ce n'est pas vrai, tu n'es pas un fardeau, Lakini ! Ils... Ils pensent juste que tu n'as pas pu survivre seule, ils ne voulaient pas risquer la vie de Athava et Dara pour te retrouver m-... Mais j'ai toujours cru en toi, je savais que tu saurais t'en sortir, je les ai quittés pour te retrouver ! Je ne pouvais pas te laisser s-"

"Tu aurais dû !" Le coupa Lakini, laissant la colère la gagner "Tu aurais me laisser à mon sort ! Toi aussi, tu aurais dû me croire morte ! Tout le monde s'en serait mieux porté, c'est sûr !"

Elle grondait et hérissait son épine dorsal, sa queue se gonflait en même temps qu'elle l'élevait pour impressionner son frère, continuant d'éclater sa rancœur, avec grand renfort de cynisme agressif :

"Pourquoi t'es revenu, d'abord! Tu as eu pitié de la pauvre Lakini, c'est ça ? Tu voulais protéger ta faiblarde de sœur qui ne sait pas se débrouiller toute seule, c'est ça ?! Et bien surprise ! L'erreur de la nature que je suis s'en sort très bien !!"

Elle empêcha même le guépard cendré de s'approcher d'un coup de patte rageur et alla même jusqu'à le frapper avant de se relever. Elle commença à s'éloigner, fouettant l'air de sa queue avec colère. Jivu tenta bien de la retenir :

"Laki-" Commença-t-il avant de se faire couper une nouvelle fois par la rage de sa sœur qui s'éloignait encore :

"Vas te perdre dans les ombres !"

Interdit, le guépard resta figé sur place, les larmes auraient bien coulé mais il ne fit que regarder sa sœur le quitter avec rancœur et colère. Qu'avait-il fait ou qu'avait-elle vécu pour changer à ce point ? Lakini n'avait jamais été aussi agressive. Il baissa la tête et laissa échapper un soupir de tristesse. Que devait-il faire ? Il ne voulait pas se résigner à la laisser seule mais elle ne voulait plus de lui à présent...

Cependant, il la suivit à une distance, ne pouvant se résoudre à s'en retourner. Lakini le voyait bien mais ne fit rien pour l'en dissuader, elle se contenta de continuer sa route, ignorant son frère. Mais sur la route de la jeune guépard se dressa une ombre immense et menaçante, que ? Qu'est-ce que c'était ? Lakini se figea sur place, tandis que la noire silhouette se révélait devant elle. Une grand lion brun, couvert de cicatrices, dont deux horribles lacérations sur les flancs, des yeux de glace pétrifiant les sangs de la guépard par un regard de tueur prêt à faucher la vie qu'il avait à porté de crocs. Crocs de neige qu'il révéla d'un grondement sourd et fataliste.

Lakini voyait la mort arriver mais ne pouvait pas bouger, figée par la peur, ses pattes se mirent à trembler et elle eut un unique cri alors que le lion infernal se jetait sur elle ! Mais ses crocs ne se renfermèrent pas sur la nuque si fragile de Lakini; quelque chose la percuta avant le choc fatal et elle tomba quelques pas plus loin. Un craquement sinistre se fit entendre et un choc sourd. Le silence retomba.

Reprenant soudain ses esprits, Lakini se releva avec difficulté, aussi vite qu'elle put et regarda horrifiée le sacrifice qui l'avait sauvée. Devant les griffes noires du lion brun, une masse ensanglantée respirait avec peine entre deux toux écarlates.

"NON!! JIVU!!" Hurla-t-elle, se jetant à aux côtés de son frère, ignorant même la menace toujours présente du démon brun qui, du reste, s'était reculé d'un pas, laissant un sursis au couple de guépards, un souffle irrité sifflant entre ses crocs sanguinolents.

Le guépard cendré, le cou lacéré, perdant plus de sang à chaque seconde, trouva, entre deux toux sanglantes, la force de parler et murmura, avec peine :

"S-sauve-toi... L-aah..Laki... ni... Je ne veux... veux pas que toi... Tu te perdes... D-dans... Dans les o-ombres... Aah..."

Mais il n'eut pas la force d'en rajouter, pris d'une horrible toux, crachant des flots de sang. Il fut prit de spasmes violents avant d'expirer devant les yeux larmoyant de sa sœur qui ne contrôlait plus ses mots : "Non... non... Jivu... Non!"

Mais c'était trop tard, le guépard cendré avait cessé d'être, son corps était désormais sans vie... Lakini resta un instant figée, pleurant sans discontinuité, mais elle releva soudainement la tête, défia le terrible lion brun et lâcha, d'une voix brisée :

"Pourquoi ?! Pourquoi mon frère ?! Pourquoi tant de cruauté ?!"

Le démon brun resta immobile un moment puis avança d'un pas vers la guépard, lentement, menaçant. Il se fixa Lakini de haut en bas, comme si il la voyait pour la première fois, comme si il n'avait pas remarqué comment était celle qu'il voulait tuer quelques minutes auparavant. Son regard s’arrêta un instant sur sa patte manquante et revint se fixer dans son regard où il plongea le sien, glacial. Il déclara, d'une voix froide et dure :

"La cruauté n'est qu'un remède à mon orgueil blessé... Maintenant, cours ! Petite miraculée... Que son sacrifice ne soit pas vain. Sans lui, c'est entre mes crocs que ta vie aurait pris fin..."

Terrorisé, Lakini resta sur place. La voix du lion infernal et le sang de son frère coulant encore de sa mâchoire la tétanisaient. Les larmes coulaient profuses et elle ne bougeait pas, fixant avec terreur le meurtrier brun. Un grondement, le lion leva sa patte et frappa la guépard pétrifiée et l'envoya rouler quelques foulées plus loin, il rugit avec violence : "Cours ! Cours pour ta vie, inconsciente !!"

Se relevant avec peine, Lakini s'enfuit avec toutes les ailes que lui donnait la peur, prenant enfin conscience de la chance qu'elle avait. Elle courut à en perdre haleine, manquant de trébucher à chaque foulée, les larmes traçant son triste sillage. Et, à présent loin dans l'horizon, le lion brun resta immobile, il la regardait s'éloigner à toute vitesse, une vitesse aussi digne que n'importe quel autre guépard... "La Peur donne des Ailes... Ne suis pas ma route et reste dans la lumière, miracle de la nature..."