Peu à peu, il se rapprochait de son objectif. Prideland. Sa terre natale. Celle où il avait grandit, et passé la plus grande partie de son enfance. Il avait parcouru des kilomètres avec Usiku, exploré chaque recoin. Ils avaient passé des heures à jouer ensemble et à découvrir les merveilles du monde. Jusqu'à ce que tout cela se termine brutalement. Si Kifua l'avait emmené ici, les explications sur son enlèvement n'avait jamais été donné. Et son passé en restait de ce fait flou. Comme s'il en manquait un pan entier. Comme s'il avait loupé une information capitale, qui pourrait changer l'Histoire entière. Alors il avait imaginé. Et il avait conclu, comme il pouvait. Sans penser un instant qu'il pouvait être à l'opposé de la réalité.

Le pas las et le regard vide, Hatari marchait encore. Depuis qu'il s'était rapproché de Prideland, il restait dans les mêmes environs, ne cherchant pas à trop approcher le Rocher pour l'instant. Il avait besoin de remettre au clair ce qu'il avait toujours tenté d'oublier. Besoin de faire le point. Besoin de se remémorer chaque détail de sa vie d'antan. Il en était donc là lorsqu'il aperçut un pelage doré au loin. Désireux de savoir si c'était un pridelander ou non, il s'en approcha. Il était légèrement réticent à l'idée de pouvoir retrouver des lions qu'il avait côtoyé dans le passé. Une fois dans le dos de ce qui se révélait être une jeune lionne, il s'arrêta. Elle ne l'avait pas entendu. D'une voix puissante, il lâcha :

─ Il est dangereux de faire face au vide pour tourner le dos au reste du monde.

La lionne se retourna, détachant son regard de l'horizon qu'elle contemplait jusqu'alors :

─ Peut-être ai-je besoin de m'évader de ce monde.

C'était une façon de voir les choses. Tant de promesses, et pourtant si peu d'échappatoires. La vie était ironique. La lionne se leva, et se rapprocha de quelques pas, s'éloignant par la même occasion du vide. Avait-elle peur que le jeune mâle la pousse ? Redoutait-elle de tomber ? Cela aurait pu représenter un bon moyen de s'évader. Sa voix claire s'éleva de nouveau :

─ Qu'est-ce qu'un étranger peut bien faire sur Prideland ? Il n'y a plus rien à trouver ici...

Hatari n'avait pas bougé, suivant les mouvements de son interlocutrice de la tête, sa masse immobile. Il aurait pu se jeter sur elle, ou continuer son chemin. Pourquoi s'était-il arrêté ? Il n'en savait rien. Mais pourquoi l'aurait-il mise à terre ou ignoré ? Il n'avait pas plus de raisons de le faire que de rester là. Alors il avait seulement suivi son instinct, sans réellement réfléchir. Qu'avait-il à perdre ? D'une voix basse, il rétorqua :

─ Tout dépend de ce que l'on cherche.

Cependant, la phrase de la jeune lionne n'était pas tombée dans l'oreille d'un sourd. Que pensait-elle qu'il était venu chercher ? Et pourquoi dire qu'il ne restait rien sur Prideland ? Était-ce une période de sécheresse ? De famine ? Le paysage semblait pourtant tempéré, et le jeune mâle n'avait pas eu de mâle à se nourrir sur le chemin. Etait-il parti depuis si longtemps, si loin qu'il en avait manqué quelque chose de capital ? Il se devait d'en savoir un peu plus, aussi ajouta t-il :

─ Notamment lorsqu'on n'est pas si étranger que cela.

Un sourire moqueur se dessina sur les lèvres de la lionne, plaquant les oreilles d'Hatari sur son crâne :

─ Si tu connaissais ces terres comme tu le prétends alors tu devrais savoir que tous les lions en ont été chassés depuis la défaite de Prideland. Mais tu l'ignorais pas vrai ? Une bataille a eu lieu il y a quelques temps de cela et les Pridelanders ont été vaincus par les Nyeusis. Le clan a du s'exiler plus au nord du royaume et c'est désormais Gara qui règne sur ces terres.

Ébahi par ce qu'il entendait, Hatari réfléchissait à toute vitesse, bien qu'impassible. Cette annonce remettait en question bien des choses. Lui qui se pensait à souhaiter trouver des Pridelanders ici ne trouverait rien d'autre que des lions qui semblaient sans loi. S'il voulait réellement poursuivre son dessein, il devait encore continuer sa route. Mais pour trouver quoi ? Usiku et ses parents seraient-ils encore en vie ? Une once d'inquiétude lui serra le coeur, juste avant que des souvenirs douloureux déferlent. Sa vie houleuse était la faute de son jumeau. Il devait payer. Quoi qu'il lui soit arrivé auparavant.

─ Quoi que tu cherches, je doute que tu le trouves ici.

Hatari retrouva une allure moins agressive, et détacha son regard de la lionne. Elle avait sans doute raison, il ne trouverait pas son jumeau ici. Nul doute que les Nyeusis avaient tués chaque Pridelanders qu'il pouvait. Son jumeau était soit mort, soit auprès de sa famille. Il était peu probable qu'il soit captif, ou parti autre part. Il réalisa alors à quel point la Terre des Lions était en train de changer. Les Mositus avaient été chassés une nouvelle fois de leur Terre. Les Pridelanders s'étaient vu prendre les Terres qu'ils occupaient depuis des décennies. Et il y avait sans oute bien d'autre chose que le jeune mâle ignorait.

─ Si je ne le trouve pas ici, alors je le trouverai ailleurs.

L'ancien Jangowa s'apprêtait à tourner le dos quand il s'arrêta, posant une dernière fois son regard sur la lionne dorée :

─ Si les Nyeusis sont réellement ce que tu décris, alors il ne fait pas bon pour une lionne de rester seule. Poursuit donc ta route.

[Je laisse ouvert, comme ça soit on peut continuer, soit si tu veux arrêter là, on peut ]

Un drôle de rictus se dessina sur les babines de la lionne lorsqu'il la mit en garde, mais Hatari ne dit rien. Après tout, peut-être était-elle un de ces Nyeusis, qu'en savait-il ? De ce qu'il venait d'entendre, par les temps qui courraient, nul n'était en sécurité. Il ne fallait se fier à personne. Ou presque.

─ Ce serait plus sage en effet mais je ne peux pas. J'ai encore quelque chose à faire...Libre à toi de me répondre ou non mais que cherches-tu ?

Le jeune mâle s'arrêta. La tête tournée vers la lionne, il plissa les yeux, silencieux. Etait-ce une question piège ? Ou simplement de la curiosité ? Comment savoir si elle n'allait pas interférer dans ses plans ? Peut-être était-elle capable de tout rapporter aux Nyeusis ou au Pridelanders. A n'importe quel autre clan, d'ailleurs, puisqu'il était incapable de dire d'où elle venait. Cependant, le faciès de la lionne ne semblait pas inquiétant, et qu'avait-il à perdre ?

─ Je cherche un lion. En quoi cela t'importe t-il de le savoir ?

Sa voix n'était pas agressive ni froide. C'était une simple déclaration. Il était resté vague. Très vague. Il aurait pu chercher un lion pour mille et une raisons. Mais en réalité, ce qu'elle ne savait pas, c'était que son objectif était déjà parfaitement clair.

La lionne l'observa, le regard neutre. Ou du moins, sans trace d'agressivité. Elle semblait l'observer, nul doute qu'elle réfléchissait derrière ce regard immobile.

─ Je comprend ta méfiance mais elle n'est pas nécessaire. Je ne suis pas ton ennemi. Cela fait déjà un petit temps que je traîne sur ces terres, peut-être pourrais-je t'aider.

Hatari scruta son interlocutrice et fit un pas sur le côté, reportant son poids sur son autre patte avant. Qui était-elle réellement ? Il était facile d'avancer qu'elle ne lui voulait pas de mal. Même si elle ne lui avait pas encore sauté dessus, elle pouvait bien être à la recherche d'informations ou de noms pour un quelconque autre clan. Peut-être même était-elle à la solde d'Akili, bien que ce fut peu probable. Si elle voulait savoir, elle devrait d'abord lui expliquer :

─ Soit. Mais dis moi d'abord qui tu es réellement. Ta présence ici semble bien mystérieuse, et je doute que tu vienne de Prideland.

S'il n'ajouta rien, le jeune mâle n'en pensait pas moins. Si elle se rebiffait, il aviserait, mais il n'était pas non plus certain de la laisser repartir aussi facilement. Elle s'était impliquée, à elle d'en assumer les conséquences jusqu'au bout.

Si la lionne hésita quelques instant, elle finit cependant par répondre :

─ Mon nom est Kuzali, exilée des Terres du Soleil. J'ai quelques personnes à surveiller...Mais je n'en ai pas après toi, tu n'es pas ma cible.

Son regard s'était un instant posé sur le rocher majestueux. Le destin était ironique. Deux exilés, venant chacun chercher quelque chose sur Prideland. Coïncidence ? Sans doute. Mais la situation avait le mérite d'être originale. Elle fit tomber la méfiance d'Hatari. Il croyait la lionne, désormais. Et le fait qu'elle soit - comme lui - exilée le faisait se sentir plus proche d'elle que de bien des lions qu'il avait croisé par le passé. Tournant à son tour la tête vers le priderock pour y poser les yeux, Hatari déclara :

─ Hatari.

Il n'ajouta rien. La lionne serait suffisamment intelligente pour comprendre qu'il lui révélait son nom. Tandis que son regard scrutait le grand rocher, il se rappela les mois passé à jouer autour, à escalader le moindre recoin et à explorer la moindre grotte. Au fond, le temps n'avait pas tout effacé. Peut-être même n'avait-il fait que rendre les souvenirs plus brillants qu'ils ne l'étaient. Après un moment de silence, il ajouta :

─ Exilé, comme Toi. Je suis à la recherche de mon frère.

Tandis qu'il prononçait ces mots, qu'il avait gardé si longtemps silencieux, son cœur se serra furtivement. Plus sa vie dans le désert s'éloignait, plus ses convictions s'effritaient. Il n'était désormais plus certain de ce qu'il voulait entreprendre. Il n'était même plus sur de vouloir revoir Usiku.

─ Ton frère ? Je ne me souviens pas avoir croisé un lion te ressemblant

Hatari laissa échapper un léger soufflement, tandis qu'un sourire narquois se dessinait sur sa face. Lorsqu'ils étaient petits, ils se ressemblaient beaucoup, mais pour des jumeaux, ils étaient déjà bien différents l'un de l’autre. Comment pourrait-il en être autrement maintenant, alors que chacun avait vécu sur des Terres différentes, sous un climat différent ? Lui-même n'avait plus rien à voir avec celui qu'il était jadis, comment aurait-il pu ressembler encore à Usiku ?

─ Si je ne peux t'être utile à ce niveau-là, je peux néanmoins t'affirmer que les Pridelanders ont trouvé refuge au Grand Baobab depuis leur exil. Sans doute trouveras-tu ton frère là-bas. Du moins, je te le souhaite.

Elle n'ajouta rien. Pourtant, son expression n'en trahissait pas moins ce qu'elle pensait. Ou du moins, ce qu'elle cachait. Hatari n'était plus un enfant, et il se doutait que la guerre avait du faire des ravages pour que les Pridelanders abandonnent le rocher et leurs terres, acquises depuis si longtemps. Faisant quelques pas, il se rapprocha du vide, pour observer le fond du gouffre, comme l'avait fait Kuzali avant lui. Il était obscure et profond. Comme lui.

─ Tu ne pourras rien pour Moi. Je ne suis même pas sure que trouver ce que je cherche soit à souhaiter. Ni pour lui, ni pour Moi. Pour personne.

Si son ton était monocorde, presque las, son esprit, lui bouillait. Et tandis que ses yeux fixaient un point vague au loin, il se pris un instant à penser qu'il était bien loin du lion innocent qu'il avait toujours pensé être. Il était un hors-la-loi, un exilé. Et peut-être un meurtrier.

─ On dirait que tu sembles un peu perdu...

Le grand mâle tourna ses yeux chocolat vers la jeune lionne. Ne l'était-elle pas tout autant que lui, à vivre sur des Terres qui n'étaient pas les siennes ? Tout n'était qu'une question de point de vue. Toutefois, il ne répondit rien. Peut-être avait-elle raison, au fond. Ne se perdait-il pas dans trop de réflexion et de sentiments ? N'aurait-il pas été plus simple de faire ce qu'il avait entrepris de faire sans se poser plus de questions ?

─ Chaque exilé porte une histoire souvent lourdes en conséquences. S'écrouler sous son poids ou se redresser, tout dépend de nous.

Elle s'était rapprochée, et fixait désormais le fond du gouffre, tout comme lui fixait de nouveau l'horizon. Alors qu'ils se connaissaient à peine il y a quelques temps, ils se tenaient désormais côté à côté, comme solidaire face à une histoire bien lourde à porter. Ils en savaient plus l'un sur l'autre que bien des lions de leurs anciens clans. Si tant est qu'il y avait un jour eu un clan, une famille pour eux. Dans un murmure emporté par le vent, le jeune mâle déclara alors d'une voix basse :

─ Nul besoin d'être exilé pour devoir faire face à son histoire.

Une légère brise soulevant leur pelage simultanément, il se détourna de quelques pas. Ses yeux rencontrant une dernière fois ceux de Kuzali, il la salua brièvement :

─ J'espère que tu parviendras à obtenir ce que tu souhaites.

Sur ce, il détourna la tête, et reprit son chemin d'une foulée ample et puissante. Sa crinière crème reflétait le soleil à chacun de ses pas, tandis que son corps couturé de cicatrice ondulait à chaque sollicitation de ses muscles. Et bientôt, il ne fut plus qu'une vague silhouette au milieu de la roche, comme si les deux exilés ne s'étaient jamais croisés.

[Fin pour moi, je te laisse répondre une dernière fois si tu le souhaites, puis demander les points. Chouette RP, merci beaucoup Kuzali ♥]