Ce jour-là, le grand lion brun ne voulait pas rester dans les terres libres, tant il redoutait de retrouver ses compagnons alors qu'il n'avait pas de solution à leur errance... Dans le vague, il vagabonda jusqu'à la ligne brûlante du désert. Voyant l'étendue poussiéreuse, Kuzimu s'arrêta, une colère non dissimulée dans les yeux. Pour lui, les dunes de sables étaient symbole de purgatoire et lui rappelaient la dure traversée qu'il avait endurée avec sa sœur un peu plus d'une saison auparavant.

"Tss... Que puis-je trouver ici... Dans ce Purgatoire ?" Fit-il à voix haute, les yeux rivés sur l'étendue dorée. Comme un duel entre la glace de ses yeux et la lumière aveuglante du soleil sur le sable. Il ne céderait pas, il n'avait cure que cette lumière mensongère. La vrai lumière venait du Paradis et celle-ci n'était pas celle qu'il cherchait.

Il resta un moment à la frontière, presque pathétique, du désert, plongé dans ses pensés, puis fit un pas sur le sable brûlant, mettant de côté la douleur de ses coussinets noirs. Le soleil tapait dur sur sa crinière de cendres charbonneuses et son pelage grenat corrompu. Il sentait ses cicatrices le tirailler mais il en faisait abstraction. Il ne savait pas trop ce qu'il cherchait, mais dans ce purgatoire, il devait trouver la solution. Coûte que coûte.

Au bout d'un moment, il sentit une odeur étrange, familière mais inconnue... Il se concentra dessus et tenta de déterminer son origine... Ça y est, il savait ! C'était un Jangowas qu'il avait repéré... Et un jeune, de surcroît... Il s'approcha, se demandant si le lionceau était seul et pourquoi il l'était. Il espérait juste qu'il ne s'agissait pas d'un écervelé en quête d'aventure comme la jeune Pridelander de la nuit d'orage. Mais en même temps, il ne pouvait espérer qu'un lionceau soit blessé ou en danger, fusse-t-il d'un clan qui, un jour, fut son ennemi.

Montant sur la dune qui le séparait de l'odeur, il regarda là où le lionceau devait se tenir, un regard de glace et aussi dur qu'à son habitude. Qu'allait-il faire à ce pauvre petit Jangowas, alors que sa conscience d'avoir été Mositus semblait reprendre le pas sur son esprit.

"Tiens, tiens, tiens... Qu'avons-nous ici ?"

Tss... Un petit lionceau des sables innocent et troublé à sa vue... Kuzimu n'en attendait pas plus de cette tendre souris... Il toisa le jeune lion doré de ses yeux de glace et prit à nouveau la parole, d'une voix dure et froide :

"Et bien, et bien, tu tremble, petit ange... Aurais-tu peur ? Pourtant je croyais que les lions du désert ne connaissaient pas ce sentiment... Comment dit votre meneur, déjà ? Ah oui ! La fierté et l'honneur ne laisse pas de place à la couardise et la peur dans le cœur d'un vrai lion..."

Il s'arrêta un instant, le regard inquisiteur, il avait toute la haine que les Mositus gardaient intérieure depuis des années en lui, mais lui savait exprimer... Cependant, sur un petit lionceau, aussi pâle que le or blanc du désert, il ne pouvait se résoudre à être violent, un simple grain de conscience qui calmait instantanément les ardeurs volcaniques de sa folie meurtrière...

Cela dit, il se plaisait à effrayer le lionceau Jangowas au nom si original. Si simple et pourtant, personne n'y avait pensé avec les parents de cette boule de poils. Il le regarda trembler de peur encore un instant puis reprit, d'un ton glaçant :

"Je suis celui qu'on appelle Kuzimu, l'Enfer sur Terre. Peut-être à tu entendu parler de moi ? Je sais que ton clan n'y croit pas trop car je suis un ancien Mositus mais peut-être cela a-t-il changé depuis un an... Lorsque j'ai tué deux des vôtres pour sauver ma peau et celle de ma sœur !"

La fin de sa phrase s'était terminée comme une piqûre de scorpion, vive et douloureuse. Dans le ton comme dans le cœur hermétique du lion brun, la colère semblait jaillir pour terrifier encore plus le petit lionceau. Son expression, pourtant assez neutre, n''entravait pas l'aura démoniaque qui émanait de lui, donnant une allure de Diable dominant au démon balafré...

Malgré sa peur, le lionceau sembla trouva le courage, ou la folie, de lui répondre, bégayant. La justification qu'on se sent obligé de donner lorsque notre cœur flanche, le lion n'aimait pas l'hypocrisie mais ce jeune Jangowas n'en avait pas, étrangement. Il donnait une vérité qu'il ressentait, tout simplement. Une pureté enfantine qui n'était jamais touchée par le clan ou l'origine.

Kuzimu trouvait les tentatives de justification du lionceau presque charmantes, il se délectait de sa peur, en vérité. Son sourire, carnassier, n'était que le résultat de son excitation grandissante. Il aimait voir la peur avant la mort. Bien qu'il n'avait l'intention de la donner aujourd'hui, voir cette boule de poils tétanisée le mettait en joie d'une folie meurtrière.

Et puis, après une tentative que le lionceau repéra tout seul comme étant suicidaire, il finit par lui demander :

"Euh...je voulais dire...pourquoi vous ont-ils attaqués ?"

Étrange question de la part d'un Jangowas, les choses avaient-elles réellement changées depuis cette saison ? La nouvelle génération étaient-elle plus prometteuse que le vieil empereur ? Toujours est-il que le Démon brun jugea intéressant de répondre à la boule de poils dorés, il le regarda, de ses yeux durs et froids puis déclara, sèchement :

"Comment veux quitter le désert sans 'gêner' les Jangowas... Le désert est la seule issue pour quitter l'oasis. Le choix n'était pas entre mes pattes et nous ne faisions que traverser, nous n'avions aucune raison et aucun avantage à rester dans les parages. Mais l'honneur des lions du désert est bien mal placé... Je n'avais pas prévu de tuer pour passer les sables... Mais il a fallu qu'ils viennent nous arrêter... Il a fallu qu'ils menacent ma sœur... Le choix n'était pas entre mes pattes..."

Mais à la fin de sa phrase, ce n'était plus la sécheresse qui dominait sa voix mais une amertume où filait un regret dissimulé. Il n'avait pas voulu tuer... Ces deux Jangowas, bien qu'ils étaient arrogants et irrespectueux, emplis d'un honneur sans fondement, n'étaient ses proies. Sa conscience n’arrêtait pas de lui rappeler, il les avait tués pour se protéger et survivre mais si ils n'avaient pas été là ? Si seulement il pouvait se repentir... Mais il était trop tard et le démon le savait. Un monstre il était, un monstre il resterait, il n'y avait pas d'échappatoire et le seul chemin qui se traçait devant lui était celui de l'Enfer.

Le lionceau réussit à reprendre un brin de consistance, il avait cessé de bégayer et répondait des inepties de jeune ignorant encore innocent. Même la question remplie d'espoir n'était qu'illusion et il semblait s'en rendre compte seul. Il le vit se relever et croiser son regard de glace de ses yeux couleur du ciel. Et aussi surement que les yeux du démon pouvaient percer les secrets de l'âme, les yeux innocents de Jango virent juste dans le coeur barricadé du lion brun.

"Vous n'êtes pas fait pour tuer, c'est cela ? Vous ne vouliez pas finir comme vous êtes devenu..."

La phrase résonna avec force dans l'esprit de Kuzimu, secoué par la vérité qu'il percevait, par la vérité qu'il redécouvrait... Ce lionceau n'était pas le seul à lui avoir dit cela... Mwokozi aussi l'avait sermonner à ce point... Kuzimu pouvait l'entendre de nouveau mais ses paroles étaient voilées par celles du lionceau des sables qui résonnaient dans son âme.

Et si il n'était pas le démon qu'on disait de lui ? Et si il pouvait faire marche arrière ? Le lion brun se perdit sa contenance et le fil de ses pensées, le doute et les questions l'emplissant. Mais il se reprit bien vite, une réponse à toute épreuve et marquée par le fer rouge de sa volonté écrasant les misérables doutes soulevés par une innocence oubliée : Il est trop tard ! Le démon balafré gronda, soufflant, irrité :

"Regarde moi, boule de poils, je suis une machine à tuer ! C'est clair dans ton crâne de sable ?! J'ai forgé mon corps et mon esprit à répandre le sang et la mort, tout ça à cause de rumeurs !"

Enragé, le lion brun tremblait, ses griffes labourant le sable qui lui brûlait les coussinets. Il n'avait aucune intention de tuer ou même de blesser le lionceau, mais la colère le rendait plus effrayant encore. Comme si il était prêt à sauter à la gorge de Jango et achever sa vie d'un simple claquement de croc.

"Rentre toi bien dans la tête que ce monde n'est pas aussi doux que la fourrure de ta mère ! Il y a des monstres partout, sauvages et cruels ! J'en suis ! Et estime-toi heureux de n'être tombé que sur moi ! Car j'ai décidé de ne pas te tuer, avorton... Tu n'es qu'à l'aube de ta vie, et j'ai d'autres projets pour toi..."

Finalement, le démon s'était calmé. Mais quand il parlait de projets, il fallait se méfier, ils étaient souvent pire que la mort elle même. Il fixa Jango de ses yeux de glace et se mit à sourire, du même sourire qu'il aborait au début de leur échange, du sourire qui soulignait ses manigances, il en avait trouvé une qui lui plaisait beaucoup. Il aurait deux autres visites à faire mais commençons pas la nouvelle génération du désert...

"Qu...qu'est-ce que...que me voulez-vous ? Que voulez-vous....dire par...projets ? Ça me fait peur."

Il espérait bien que ses paroles terrifieraient le lionceau, c'était son envie. Lorsqu'il s'éloigna de lui, Kuzimu eut un instant de tension, Jango allait-il s'enfuir ? Mais il se calma en voyant qu'il restait sur place, terrorisé, se mettant même à pleurer alors qu'il lâchait :

"Qu'est-ce que vous voulez me faire ? Du...du mal, c'est ça ?! C'est évident, sinon vous ne me regarderez pas comme ça..."

Il le voyait tremblant sur ses petites pattes, les larmes coulant le long de ses joues sous la peur. Le démon brun s'excitait à cette vue bien qu'il tentait de se calmer un peu, il lui fallait rassurer la boule de poils. Il se mit à rire, il ne voulait pas faire de mal à ce lionceau. Malheureusement, ce n'allait pas être son rire qui calmerait la peur de Jango. Il le savait mais il ne pouvait s'en empêcher, les réactions de survie d'un individu, lorsqu'elles n'étaient pas hypocrites l'amusait beaucoup, et en bien. Ce rire signifiait que Jango n'avait pas à craindre pour sa vie ou son intégrité physique, mais de là à comprendre tout cela, il y avait un abîme...

"Ne crains rien, petit ange des sable... Aucun mal ne te sera fait tant tu resteras à mes côtés."

Fit-il alors qu'il calme le rire qui l'avait pris. Il arborait un sourire, certes rassurant, mais tout de même étrange et loin d'être amical. Il continua :

"J'avais envie de te raconter certaines choses. Il me semblait qu'elles pouvait t'intéresser, puisque tu fais parti du clan du désert. Des choses que je connais pour avoir un jour vécu dans cette même fournaise, protégé dans le paradis de l'oasis. Veux-tu les entendre ? Je sais bien des choses de par mes voyages et mes rumeurs... Ton empereur et son honneur fragile, les assassinats dissimulés par la ruse et la fourberie des dunes, les accidents de romances et leur conséquences... Veux-tu savoir, petit ange ?"

Une tentation, la Tentation. Kuzimu en était familier, y avoir cédé lui avait beaucoup coûté mais sans la connaissance qu'il avait goûté, jamais il n'aurait survécu. C'était un troc de l'innocence contre la connaissance, l'ignorance contre la survie, il fallait choisir. Le démon brun était assez bon pour laisser le choix au petit lionceau, mais qui aurait dit non à cette question ? "Veux-tu vivre ?" Il regarda Jango de ses yeux perçant, attendant la réponse qu'il savait déjà... Entendre sa voix bredouiller, un sourire se dessina alors que ses yeux fixa ceux du lionceau. Il attendait.

« J'aime bien ce surnom que vous me donnez, Monsieur. »

Tiens, le lionceau trouvait même le temps de constater le surnom qu’il employait à son égard était appréciable. Kuzimu ne donnait pas souvent de surnoms affectueux aux personnes qu’il rencontrait, ce Jango pouvait s’estimer chanceux. Le lion se surprit à sourire, un sourire sans méchanceté ou sous-entendu, juste parce qu’il avait fait ce qu’il considérait comme une ‘bonne action’.

« Mais... Mais oui, je veux tout savoir ! »

Ah ! Cette réponse positive lui rappelle ses manigances. Il n’était pas là pour être le gentil lion généreux et sympathique. Il était temps de briser l’innocence de ce lionceau et de l’initier à la cruauté du monde extérieur, il aurait dû l’être depuis longtemps. Si ses parents avaient voulu le protéger des horreurs du désert, ça n’était pas à leur honneur, ce Jango devait savoir pour survivre. Dans ce monde, il n’y avait pas de place pour l’innocence.
Avec un sourire, il fit de son mieux pour adoucir ses traits, afin de ne pas effrayer le lionceau si jamais ses propos le faisaient déraper en insanité, il devait garder un contrôle impeccable sur ses écarts d’esprit. Il fixa le lionceau, ce dernier avait signé sa décision, une vie pour un esprit, c’était le prix :

« Je vois, tu as raison, la curiosité porte toujours ses fruits. C’est parfois même la meilleure solution.
Alors, voilà ce que je voulais te dire, petit Ange : Savais-tu que ton Empereur, trahi par la romance de sa compagne, est allé jusqu’à envoyer un lionceau, encore plus jeune que toi, à la mort ? Et certainement pas d’une mort douce et rapide comme des crocs… Abandonner un lionceau dans le désert, juste parce qu’il porte le pelage sombre des Mositus, où l’honneur dans tout ça ? »

Cela, Kuzimu l’avait su en tendant l’oreille, les rumeurs couraient vite, il en savait quelque chose. La mise à mort par abandon du fils de l’Empereur désertique qui portait pelage sombre ne lui avait pas échappé… Lui-même ne l’aurait pas fait, car il y avait tant de possibilité que de simplement le tuer. Et quand bien même il aurait décidé de le tuer, il n’aurait pas choisi de faire souffrir le lionceau, il n’y était pour rien et c’était surtout sa compagne que l’Empereur cherchait à punir… Tuer le lionceau devant ses yeux aurait eu bien plus d’impact et aurait aussi assuré la mort de la victime… Un abandon est tellement aléatoire, la nature voudrait qu’il meure, mais… Kuzimu avait appris à se méfier de la nature, elle est parfois fourbe et joueuse… Qui sait si ce lionceau est réellement mort à présent ?

« Je ne crois pas que ton Empereur ne se rende bien compte de ses actions, il vieillit, il perd sa cohérence… Tsss… Quel dommage… Il existe pourtant des esprits qui peuvent se lever contre lui… Comme toi. L’honneur ne devrait pas être entre les pattes d’un assassin de lionceaux, n’est-ce pas ? »

L'indomptable, le redoutable voyageur, grand lion brun aux cicatrices effrayantes, au regard terrifiant et débordant de folie meurtrière, me sourit à ma remarque. Cela me surprit très hautement, et plus encore même, car j'eux par la suite du b$mal à me tenir sur mes fragiles et tremblantes pattes. Mais il me souriait, et chaleureusement en plus ! Et le pire, c'est que cela était loin d'être la seule surprise de cet instant fort curieux maintenant que j'y repense.

Ce qui s'ensuivit manqua de me faire tomber tellement j'en tremblais d'effroi. L'Empereur, notre protecteur et notre chef, avait osé abandonner le fils de sa compagne dans le Désert pour que sa Loi le tue. Juste parce qu'il n'était pas de lui ? D'accord, je voulais bien admettre qu'il devait être furieux d'apprendre qu'il n'était pas de lui, mais tout de même...un pauvre lionceau...un copain de jeu en moins. Mais c'était foncièrement cruel que de faire cela !! En effet, l'autre avait bien raison de me poser la question, où était l'honneur dans tout cela ?

Mon visage reflétait bien plus de colère envers la lâcheté de ce monstre qui se prétendait notre Empereur honorable et glorieux, sans peur et sans reproche, plutôt que de la tristesse. Mais il ne fallait pas amalgamer : de la peine, j'en ressentais une très grande pour ce lionceau, cette vie gâchée après même pas quelques jours, et j'en éprouvais une bien plus forte pour Léhona, l'Impératrice, sa mère. Si seulement le vrai près du petit pouvait le venger...

- Non, fis-je, d'un air devenu maussade, car il fallait bien se résoudre, si le père du petit en avait cure, il aurait déjà tué l'assassin de son fils, le vieil Akili, qui devait certainement avoir du mal à se défendre avec son âge avancé, mais qui pour le punir de ses crimes ? Personne, car tout le monde le respecte ou en a peur...

L'envie de révolte émergeait en moi, mais qui, qui, chez les Jangowas, me suivrait, même après mon retour d'exil ? Tous étaient fiers du comportement "exemplaire" de leur Empereur, digne exemple de couardise. Je ne pouvais m'opposer seul face au Désert, car l'orgueil Jangowa avait intoxiqué jusqu'aux origines du clan. J'étais sûr que, bien des générations auparavant, ce clan était meilleur que ce qu'il était devenu aujourd'hui. Ce n'était qu'une lente décadence dissimulée par les paroles des plus couards et ambitieux des nôtres, cela ne faisait aucun doute, même si à cette époque, je ne le pensais pas encore de cette façon. Mais l'idée était déjà bien présente, et elle germait désormais dans mon esprit.

- Pourquoi est-ce que se sont les cruels qui dirigent notre monde ? Et pas les gens bons, vraiment honorables ? Pourquoi les Grands Esprits, s'ils existent, s'acharnent-ils à mettre à notre tête les plus mauvaises personnes ? Quelle leçon tirer de tout cela ?

Ce jour-là fut le premier de mon passage vers un âge plus mûr, mais aussi le premier où je remettais réellement en question l'existence et le but des Grands Esprits. A l'inverse de mes parents, qui juraient beaucoup en leur nom, ou encore que mon oncle, que vous connaissez bien, qui lui y croyait dur comme fer, je commençais ma vie de "blasphèmes", mais cela m'importait peu : un meilleur monde était en jeu face à ses impitoyables "dieux" qui prétendaient ne vouloir que notre bien à tous, nous, lions.

Touché, coulé! Kuzimu voyait bien que Jango changeait. Il gagnait en rébellion et pensée, il perdait en innocence et naïveté. Bien, il comprenait vite, ce lionceau. Satisfait de percevoir de la colère dans les yeux olives du lionceau, le démon releva la tête, avec un léger sourire, en écoutant ses propos.

"Non, mais qui pour le punir de ses crimes ? Personne, car tout le monde le respecte ou en a peur..."

Hmm... La rébellion gagnait ce lionceau mais il touchait un point. Qui suivrait une révolte contre un empereur qui inspirait tant de terreur ou de respect. Les Jangowas avaient été lavés de leur libre arbitre. Quelle tristesse... Cela dit, il ne fallait qu'une révélation pour qu'un lionceau ne prenne conscience de cette disharmonie.

"Pourquoi est-ce que se sont les cruels qui dirigent notre monde ? Et pas les gens bons, vraiment honorables ? Pourquoi les Grands Esprits, s'ils existent, s'acharnent-ils à mettre à notre tête les plus mauvaises personnes ? Quelle leçon tirer de tout cela ?"

Kuzimu eut une inspiration profonde qui gonfla son poitrail. Ces questions étaient malheureusement fatidiques et attendues par le démon. Il n'avait pas aimé la mise en doute de l'existence des Esprits. Il toisa Jango de ses yeux de glace et continua, de sa voix grave et dure :

"Pourquoi ? Oui, c'est une question que tu es en droit de poser. Mais ce n'est pas moi qui te donnera la réponse. Les Grands Esprits ne s'acharnent pas à nous malmener. Ou, du moins, ça n'est pas le but de tous. Il existe de Sombres Esprits qui, eux, répandent le chaos.
La leçon que tu peux tirer de cela, c'est que tu ne dois pas croire tout ce qu'on peut te dire. Et ça vaut également pour mes paroles.."

Il leva la tête, plus pour défier ces Grands Esprits, qu'il méprisait, que le soleil qui le brûlait. Ses cicatrices devenaient insupportables, déchirant sa peau comme une plaie qu'on rouvre sauvagement. Ses dents grinçaient pour ne pas flancher à la perte de contrôle qui le transformerait en suppôt des Sombres Esprits. Il redirigea son regard sur le lionceau, froid. Il attendait ses réactions mais ne put s'empêcher de rajouter une chose :

"Tu as demandé qui pourrait faire payer le vieil Empereur. Si tu ne t'en sens pas capable, tu devrais savoir qu'un jeune de ton clan le serait. J'ai entendu parler d'un adolescent proche de votre Exil obligatoire, je crois savoir qu'il cherche à devenir lui-même Empereur... Il doit être capable de vaincre l'orgueil du vieil Empereur. Ne crois-tu pas ?"

Il parlait bien étrangement ce lion. En plus de me conseiller de ne faire confiance en personne, il insistait sur le point que personne était véritablement personne, pas même celui qui venait de m'ouvrir les yeux, soit lui-même. C'était étrange...je ne savais quoi en penser. Voulait-il simplement me tourmenter avec ces affreuses révélations ? Peut-être...mais peut-être pas. Pourquoi aurait-il pris la peine d'inventer une histoire aussi glauque que celle-ci, bien élaborée avec tous les soins dont il était possible ? Pour un simple lionceau dont il ignorait quasiment tout ? Non, je n'y croyais pas. Il fallait donc conclure que ce qu'il m'avouait était vrai, et d'autant plus horrible.

Je choisis de ne pas répondre, mais tout bonnement d'afficher, ce qui était le plus naturel du monde, un air perplexe qui me seyait si bien en tant que petit lionceau naïf. Petit lionceau naïf dont j'espérais ne plus jamais être. La surprotection de mes parents en était terminée. Même si je les aimais beaucoup, il fallait que je me forge mes propres opinions, et cela commençait dès ce jour. Peut-être en était-il fini du gai luron que je fus, ce portrait que tous le Désert faisait de moi. Je m'assombrissais, je devenais peut-être enfin digne de l'adolescence, voire de l'âge adulte.

Il me parla alors d'un jeune lion qui allait entamer son exil. Mais de qui pouvait-il s'agir ? Il y avait tellement de lions dans le Désert, tellement de noms qui m'étaient inconnus, tellement de faces que je n'avais jamais vues. Et puis, un empereur déchu par un nouvel empereur peut-être encore plus vile, cela ne m'inspirait guère de bonnes nouvelles...

- Peut-être...comme beaucoup de toute façon. Mais...s'il renverse l'empereur, pouvons-nous être sûrs qu'il ne sera pas encore plus orgueilleux et mauvais que lui ? C'est là tout ce qui se passe depuis des générations dans le Désert, si j'ai bien compris : un empereur n'est renversé que par un lion encore plus cupide que lui...il n'y a pas de solutions, juste une simple constante...

Je parlais pour la première fois avec des mots plus "adultes" que j'avais entendus un peu partout dans le Désert, sans trop chercher à les comprendre, même si en vérité la compréhension de ces expressions me venait naturellement au fur et à mesure que je réfléchissais pour organiser mes idées et mes réflexions face à ce lion impressionnant qui semblait savoir tant de choses sur le monde extérieur. Peut-être pouvait-il m'apprendre ce monde, m'enseigner comment y survivre...mais il n'arriverait peut-être pas à vivre dans le Désert, vu son pelage. Il souffrirait beaucoup de la chaleur. Cependant, il fallait qu'une dernière question trouve sa réponse, malgré qu'elle n'était pas très intéressante, elle ma taraudait l'esprit depuis ces bien sombres révélations dont mes parents m'avaient soigneusement dissimulé les fait, ce dont en réalité je ne pouvait les blâmer, je n'étais pas prêt...j'aurais pleuré comme un idiot petit lionceau.

- Pourquoi m'avoir révélé tout cela ? Sachant que je ne peux mener une révolte contre Akili. Pourquoi à moi ? Même s'il est possible que je sois le dernier à être au courant...

Le lionceau n'était plus le même qu'au début de leur discussion, le démon était ravi. Extérieurement, il n'affichait qu'un sourire mystérieux, mais au fond de lui, un rire éclatait ! Il en fallait tellement peu pour transformer l'esprit d'un enfant ! Tellement peu !

"Peut-être...comme beaucoup de toute façon. Mais...s'il renverse l'empereur, pouvons-nous être sûrs qu'il ne sera pas encore plus orgueilleux et mauvais que lui ? C'est là tout ce qui se passe depuis des générations dans le Désert, si j'ai bien compris : un empereur n'est renversé que par un lion encore plus cupide que lui...il n'y a pas de solutions, juste une simple constante..."

Enfin, il parlait d'un ton et d'une teinte plus responsable. Kuzimu l'écoutait en silence, le sourire aux babines. Il n'avait pas tort, certes, mais enfin marcher la Loi du Désert. Pour la plier à sa volonté, il fallait d'abord l'apprendre et l'appliquer. Choses qu'il avait lui même faites des années auparavant. Il était désormais dans l'étape où les lois pouvaient être brisées, et il s'en donnait à cœur joie.

Le démon laissa le temps au lionceau pour réfléchir, il avait accès à la compréhension, il lui fallait l'appréhender. Le soleil était brûlant, ses coussinets frémissaient sur le sable enflammé et ses cicatrices n'étaient plus que lave en fusion à ses sens. Il en faisait abstraction, autant qu'il le pouvait, cette discussion arrivait à son terme et il pourrait repartir sur la douceur des herbes de la vallée. Cela ne valait pas le sable doux et pur de l'oasis, mais cela serait bien plus supportable que la fournaise des dunes.

Il fixa le lionceau, il sentait venir l'ultime question, la question que tout se posait sur lui lorsqu'il apparaissait. "Pourquoi ?" "Pourquoi moi et pas un autre ?" "Pourquoi fais-tu cela ?" Toutes ces questions qui, parfois, auraient mieux fait de rester silencieuses et mystérieuses sans réponses. Aujourd'hui était différent. Aujourd'hui, la réponse pouvait être donnée. La réponse n'était pas dangereuse...

"Pourquoi m'avoir révélé tout cela ? Sachant que je ne peux mener une révolte contre Akili. Pourquoi à moi ? Même s'il est possible que je sois le dernier à être au courant..."

Il eut un sourire, un sourire presque moqueur, il regarda le lionceau, du museau jusqu'au bout de la queue. Il était encore très innocent. Mais le départ avait été lancé, et le premier pas était déjà loin. Les traces de son parcours commençait même à s'effacer. Jango était sur le chemin, le premier croisement était franchi. Le prochain sera à sa seule décision...

Kuzimu prit la parole alors qu'il commençait à tourner autour du lionceau avant de repartir vers les plaines verdoyantes :

"Parce qu'il faut bien commencer par quelqu'un. Et si possible, quelqu'un qui m'écouterait. De ce que tu sais de moi, tu devrais savoir que les tiens m'écouteraient difficilement. Tu n'es peut-être pas à la hauteur d'une histoire qui peut changer. Mais il ne tient qu'à de changer la tienne. Et si tu veux 'sauver' ton clan, tu devrais prêcher cette parole lorsque tu seras digne d'être entendu. Si les Lois existent pour être brisées, il faut d'abord s'y plier."

Le grand lion brun commença à s'éloigner, si le lionceau voulait d'autre réponses, il lui faudrait d'abord le rejoindre et l'arrêter...

Le mystère. La révolte. Ces deux sentiments se mêlaient en moi. Je suis Jango, fils de Shaara et Valaka, du Désert, et pour la première fois de ma vie, je doutais que même cela puisse être vrai. Je doutais de tout. Et à plus forte raison de ce que je pensais être bien ou mal. Désormais, le Désert possédait un nouvel ennemi, et je pense pouvoir remercier ce lion terrifiant qui en vérité m'avait ouvert les yeux sur la bien plus horrifiante réalité du monde. Notre engeance était-elle donc tombée si bas ? Tant de questions sans réponses autres que celles que je trouverai moi-même au cours de ma vie, car le lion était déjà parti, et moi, assis dans le sable, je contemplais l'horizon par lequel il venait de disparaître.

Je me pris soudain à vouloir quitter le Désert, à courir derrière Kuzimu, à le supplier de me prendre comme apprenti ou quelque chose du genre, pour lutter contre le monde puis par la suite à mener, fort de mes capacités qu'il aura développé, la révolte du Grand Désert. Mais cela n'était qu'un rêve d'enfant...le Désert ne se laissait pas maîtriser aussi facilement, et encore moins les lions qui le peuplent. Néanmoins, je n'avais plus ma place ici, c'était clair, mais la peur de l'inconnu, malgré ma forte envie de découverte, me faisait hésiter à partir. Si ça se trouve, peut-être n'aurai-je même pas à faire ce départ par moi-même, peut-être serai-je poussé à l'exil. À l'époque, je ne savais pas encore à quel cela allait être vrai, mais quelques jours plus tard, cela se confirmera...

Il fallait que je rentre, ce que je fis, sans trop d'encombres autres que la faim qui me tiraillait l'estomac. Une fois de retour, mes parents ont bien vu que quelque chose avait changé, je tirais une triste mine, et je ne parlai pas de la soirée. Au moment d'aller dormir, je me mis à l'écart, sous un rocher, plutôt que contre ma mère, ma chère et tendre mère, à laquelle je devais tout.
Je me mis alors à réfléchir, encore, sur ce que Kuzimu m'avait dit. Peut-être que cette révolte allait se produire, après tout, par des lions de convictions. Mais il n'en existait que trop peu pour qu'on leur accorde la moindre importance...tout au plus ces voix montantes seraient vite éteintes. Et si mes parents étaient de ceux-là ? Alors il n'y avait qu'à espérer qu'ils ne fassent pas trop de bruit avant la bonne heure, sinon, je risquais fort de ne plus les revoir.

C'est la larme à l'œil suite à ces sinistres pensées que je m'endormis, et fis parmi les pires cauchemars de ma vie, mais fort heureusement, je n'en gardai aucun souvenir. La révolte grondait en moi, et j'ignorais encore qu'elle allait prendre une part importante de ma nouvelle condition, et de celle future...en particulier lorsque je rencontrerai quelqu'un de ma famille dont tous ignorent l'existence...