D'un pas léger, je m'éloignais du baobab où je venais promptement de faire la connaissance d'un lion dénommé Siri et qui semblait être le nouveau dirigeant Mositus. Tant mieux, je ne pouvais pas encadrer l'ancien chef. Un brin charmeur et désinvolte, je n'étais pourtant pas déçu de cette rencontre. Je me plaisais à rencontrer divers dirigeants pour me faire une idée de ce que régner pouvait être et comparer leurs choix à ceux que j'aurais pu faire. La royauté m'avait toujours intéressé, j'avais ça dans le sang. Alors que je m'apprêtais à quitter le baobab, j'entendais les murmures tantôt affolés tantôt intrigués des différents lions qui croisaient ma route. Le regard d'abord mauvais, je calme mes nerfs en comprenant que je n'étais pas la cause de ces bouches à oreilles qui étaient en vérité dus à l'apparition d'un étranger aux frontières. Tiens donc... un brin curieuse, je changeais mon itinéraire avant de me rendre vers ce lieu de rencontre où se trouvait également le prince à qui j'aurais aimé toucher deux mots au passage. Trottinant avec légèreté, j'avançais vers le lieu indiqué par un guerrier Prideland. Je me demandais bien qui cela pouvait-être... Les rumeurs de la coalition menée par Kumpa avaient du se répandre et il n'était pas impossible que certains lions errants souhaitent y participer comme cela était le cas pour Tamariu.

Au fur et à mesure que mes pas me conduisait vers le point de rencontre, un effluve que je ne connaissais que trop bien me parvenait au museau. Non, c'était impossible qu'il soit ici, mon esprit devait me jouer des tours et pourtant, mon rythme cardiaque s'accélérait et je sentais mon cœur tambouriner sous ma poitrine. Si ma tête refusait d'admettre l'évidence, mon cœur la lui criait. Ce n'était plus par des pas décontractés que j'avançais mais bien par foulées puissantes et pressées, comme un démon au trousse puis je le vis. Je stoppais nette ma course, frappée par l'évidence de sa présence. C'était lui, Uhucha était ici. Que devais-je faire, partir ou bien m'avancer à sa rencontre ? Je ne l'avais pas revu depuis notre séparation mais au moins étais-je rassurée de le voir en vie, c'était le principal. Déglutissant péniblement, je m'approchais des deux lions d'un pas que je voulais détendu et digne malgré cette tempête qui se déclenchait dans mon fort intérieur. J'aperçus mon ancien compagnon balayer furieusement le sol de sa queue mais pris ce geste pour une forme d'agacement. Il n'était pas heureux de me revoir... Mais pourquoi devais-je en être attristée, j'étais celle qui avait mis fin à notre histoire après tout.

Arrivant à la hauteur des deux lions, je saluais le prince d'un signe de tête bien qu'un peu évasif. Toute mon attention était tirée vers le borgne, je voulais parler mais les mots restaient coincés dans ma gorge. J'avais peur que mes yeux saignent dans ils étaient traversés par une multitude d'émotions contradictoires : la joie, la peine, le soulagement, le regret... Après tant de nuit à songer à son retour, il était enfin là, face à moi et en vie. J'étais si heureuse qu'il n'ait pas été chercher revanche auprès des Nyeusis lui évitant ainsi la mort. Ces deux personnes me connaissaient bien et comprendraient que quelque chose me tourmentait et tandis que l'un était dans l'ignorance, l'autre savait en être la cause.

Balayant cet instant de faiblesse sentimentale, je tâchais de garder une posture digne et un visage de marbre malgré mon agitation. « Uhucha... » prononçais-je finalement son nom d'un ton que je voulais neutre. « Qu'est-ce qui t'amènes au baobab ? » Je voulais maintenir les apparences mais il me connaissait suffisamment pour savoir que j'étais troublée, après tout nous avions partagés bien des choses ensemble dont de l'amour.

Il m'ignorait et ne daignait pas même dresser un regard en ma direction. A cet instant, j'avais envie de lui hurler au visage que j'étais bien là et qu'il n'avait pas le droit de m'ignorer de la sorte pourtant, aucune mot ne se fit entendre. La situation n'avait pas échappé au prince qui se trouvait pris entre deux lions encore amer de leur amour perdu et pourtant toujours existant. Le regard du borgne se dressait enfin mais, son œil valide n'était pas lancé en ma direction. Il refusait de croiser mon regard et je baissais le mien, blessée par ce rejet. Je n'étais qu'un fantôme pour lui et ma présence qu'une gêne dans son entrevue. Mes oreilles tintèrent, respectives à cette voix qu'elles connaissaient et n'avaient pas entendu depuis trop longtemps mais comme je le redoutais, elle ne m'était pas destinée. Mobali... n'était-ce pas le chef des guerriers de Prideland ? Quelle genre d'affaire Uhucha pouvait-il bien avoir avec un tel lion ? Il était inutile de poser la question, je n'aurais aucune réponse de sa part.

Le borgne s'apprêtant à partir, je redressais mon regard dans l'espoir d'obtenir n'importe quel mot de sa part mais il n'en fut rien. Dédaigneux, le mâle se contentait de m'observer de haut en bas comme il l'avait pour habitude de faire avec ses ennemis puis s'en alla sans demander son reste. Je n'étais pas outrée de cette attitude mais terriblement blessée. A quoi m'attendais-je, à ce qu'il me serre contre lui et me dise ô combien je lui avais manqué ? Que folie, j'avais brisé son cœur et ne restait à mon égard plus que haine et mépris. Tournant le dos au prince, j'observais le mâle s'éloignait sans prendre la peine de le retenir, je savais cela inutile. Le regard misérable, je retenais mes larmes tandis que l'ombre du mâle s'éloignait. Nous n'étions plus que deux étrangers.

« Je m'excuse pour cette scène, Kumpa... » murmurais-je au prince une fois certaine qu'aucunes larmes ne couleraient de mes yeux.

Dans un bref soupire, je me retourna vers le lion doré et lui souris tristement. J'aurais préféré qu'il n'assiste pas à cela, je n'aurais même jamais du les rejoindre. C'était un acte stupide et irréfléchi, j'aurais du me contenter de savoir Uhucha vivant. Je n'avais jamais songé à la douleur de voir un être aimé devenir un étranger mais ce qui m'avait le plus blessé était son regard méprisant comme s'il avait effacé toute trace de notre amour. Je digérais mal cette nouveauté qui n'était guère à mon goût. Un peu tremblante, je viens m’asseoir aux côtés du prince pour ainsi calmer mes nerfs et souffla un grand coup avant d'expliquer le pourquoi du comment et ainsi répondre à sa précédente question qui n'avait toujours pas trouvé de réponse :

« Uhucha est mon ex-compagnon. » finis-je par dire le regard lourd. « Notre rupture date de peu ce qui semble expliqué la tension qui régnait. Puis-je te demander ce qu'il désirait ? »

Oui sembler était le mot car jamais je n'aurais cru le revoir dans de pareilles conditions et surtout sous une telle atmosphère mais n'étais-je pas celle qui avait commencer à adopter une attitude neutre ? Ce n'était là que le revers de la médaille. Détachant mon regard de la silhouette du mâle, je tournais la tête vers le prince pour croiser ses iris bleutées. Uhucha s'était-il allié aux Pridelanders et si oui dans quel but ? Je craignais qu'il ne cherche vengeance auprès des Nyeusis.

Avoir pour spectateur d'une telle scène le prince en personne était gênant et j'aurais préféré qu'il n'assiste pas à cela, son air abasourdi n'arrangeait rien à ma gêne. Était-il étonné par notre relation ? Cela semblait bel et bien être le cas aussi hésitait-il à me révéler la raison de la présence du borgne. Si cela n'avait pas été Kumpa, je n'aurais pas demandé la chose de la même manière et aurais exigée une réponse de façon... plus corsée. Bien qu'après avoir hésité, la mâle me révéla finalement les motivations du mâle et je claqua subitement de la langue, signe de mécontentement. Je n'aimais pas ça, pas du tout même et n'avais pas besoin de réfléchir à la situation pour comprendre ce que chercher le lion.

« Ne te méprends pas Kumpa, c'est légitime que tu acceptes un appui de taille dans ton mouvement et je ne t'en blâme pas. Seule sa vendetta m'inquiète. »

Je me souvenais encore de la rage dans le regard du borgne lorsqu'il était parti en direction du priderock. Mourir pour toi n'est pas mourir m'avait-il dit... Les fouettements incessants de ma queue laissait paraître mon agacement. Son but était clair : tuer Mopanga.

« Nous nous sommes séparés après mon retour de mission. Uhucha m'a trouvée alors qu'un des Nyeusis me battait au sang, prêt à me tuer. Bien qu'il ait fait fuir l'agresseur, sa colère n'est pas assouvie et il veut sa mort. C'est de ça que j'ai peur : que son désir de vengeance l'aveugle et qu'il se jette dans les bras de la mort. » expliquais-je d'un ton neutre, presque froid.

Qu'il ne se méprenne pas, ma colère n'était pas tournée vers le prince mais bien vers moi-même. Une fois de plus, je n'étais pas en mesure d'arrêter Uhucha... J'échouais à nouveau et ma faiblesse face à cette situation m'agaçait mais sous cette colère se cachait la peur : la peur de ne pas voir Uhucha revenir d'un combat qui n'était pas le sien. Je pensais qu'en le quittant, sa haine se tournerait vers moi et non les lions d'Ombres. Je m'étais lourdement trompée... Non seulement il était déterminé à assouvir son désir de vengeance mais il me méprisait et me traiter comme une vulgaire inconnue.

Je soupirais longuement, regrettant amèrement d'être intervenue dans cette situation. Je n'aurais pas du fourrer mon nez dans cette histoire et revoir mon ancien amant m'avais plus fait de mal que de bien.

« Je ferais mieux de rentrer. » murmurais-je finalement, souhaitant m’éclipser au plus vite. « Mais avant que je n'oublie, mon fils aimerait également te rencontrer. Si cela te convient, je reviendrais d'ici quelques jours en sa compagnie... d'ici là portes-toi bien, Kumpa. »

Adressant un faible sourire au prince, je pris la direction opposée à celle du borgne et d'un pas pressée, je quittais le Baobab et cette triste scène que je venais de vivre avec pour seule pensée que l'amour avait remplacé la haine dans son cœur et que j'en étais lourdement responsable.

[Je te laisse clore? c: ]